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Le matérialisme féministe à l'épreuve du genre et de la transitude : repenser l'oppression en termes de classes sexuelles


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Le matérialisme féministe, héritier du marxisme, propose une lecture profondément politique de l’oppression des femmes. Mais à l’heure où les luttes féministes croisent les revendications trans, queer et antiracistes, que reste-t-il de ce cadre théorique ? Comment peut-il encore éclairer les nouvelles formes d’exploitation liées au genre ?



Le féminisme matérialiste : une théorie des classes sexuelles

Né dans le sillage du marxisme, le féminisme matérialiste, notamment porté par Christine Delphy ou Colette Guillaumin dans les années 70, considère que l’oppression des femmes repose sur une base matérielle : leur place spécifique dans les rapports économiques, notamment via le travail domestique gratuit, leur mise en dépendance économique, et leur assignation à la reproduction. Le patriarcat n’est pas un simple système culturel, mais un mode de production spécifique, parallèle et articulé au capitalisme. Il engendre une division de classes entre les hommes (classe dominante) et les femmes (classe exploitée).


Le sexe comme fait social, pas naturel

Le matérialisme féministe repose sur une thèse antinaturaliste : ce que nous appelons "sexe" est déjà traversé de représentations sociales. Le genre précède le sexe, qui est lui-même une construction idéologique. Loin d’être une donnée biologique neutre, le sexe est un produit d’un système de hiérarchisation des corps. Les catégories "homme" et "femme" ne sont donc pas naturelles, mais bien des classes sociales, dont l’appartenance détermine des positions d’exploitation ou de domination.


Transfeminisme matérialiste : vers une critique renouvelée du genre

Les mouvements trans ont contribué à réinterroger le féminisme matérialiste, parfois dans la tension. Des théoricien·nes trans matérialistes proposent une relecture radicale : la transidentité n’est pas un phénomène psychologique individuel, mais une expérience sociale structurée par l’exploitation, la précarité, et les violences systémiques. Le sexe est alors pensé comme appartenance de classe, et la transidentité comme un transfuge social : changer de sexe, c’est aussi changer de place dans la hiérarchie patriarcale. Cette mobilité est asymétrique : la "féminisation" d’un homme est davantage sanctionnée que la "masculinisation" d’une femme, révélant les rapports de pouvoir sous-jacents.





Obstacles à la reconnaissance des personnes trans dans les féminismes

Le féminisme queer a parfois déplacé la focale vers le langage et les identités individuelles, au détriment des rapports sociaux concrets. Parallèlement, un certain féminisme cisgenre (notamment les TERF) rejette la légitimité des femmes trans, au nom d’une "socialisation féminine" essentialisée. Ces discours entretiennent un climat de méfiance, d’exclusion, voire de paternalisme envers les femmes trans, souvent sollicitées non pas comme femmes, mais "en tant que trans".


Inégalités et violences : les réalités matérielles des trajectoires trans

Les trajectoires trans sont traversées par des inégalités sociales profondes, structurées par le sexe, l’âge, la race, et la classe. Les personnes trans racisées cumulent les oppressions : difficultés d’accès à la santé, au logement, à l’emploi, aux droits civiques… L’absence de reconnaissance institutionnelle pousse à la précarité, l’économie souterraine, voire à la prostitution. La médicalisation du parcours trans renforce encore cette violence structurelle : les médecins imposent des stéréotypes de genre pour valider les transitions, notamment par le test de « vie réelle » excluant ceux et celles qui ne se conforment pas aux normes attendues.


Politiser les vécus, refuser l’essentialisation

Les expériences trans racisées ne doivent plus être considérées comme des objets d’étude, mais comme des sujets politiques. Elles doivent pouvoir parler pour elles-mêmes, hors des catégories occidentales, médicales ou académiques. L’autodétermination passe par le refus de l’universalisation du modèle "trans occidental" et par la reconnaissance de la pluralité des systèmes de genre, ancrés dans cultures non occidentales, en témoignent les hijras, two-spirits, kathoey entre autres, souvent réduits à des curiosités exotiques.


Résister dans les marges : entre solidarité politique et autodéfense

Là où les discours théoriques peinent à construire des ponts, des pratiques concrètes comme l’autodéfense féministe permettent de créer des espaces de solidarité inter-féminine, incluant toutes les femmes, cis et trans. La reconnaissance des violences vécues par les femmes trans, notamment dans le couple, la famille ou par les institutions, reste marginale, pourtant elles révèlent avec acuité les violences fondées sur le genre dans toute leur brutalité.


Vers un féminisme matérialiste renouvelé et inclusif

Le féminisme matérialiste a posé des bases fondamentales pour penser l’oppression des femmes en termes de rapport matériel et de classe sexuelle. Mais son avenir se joue dans sa capacité à intégrer les expériences trans et racisées sans les réduire ni les subsumer. La lutte féministe ne peut être qu’intersectionnelle, antiraciste, anticapitaliste et transinclusive. Sans cela, elle se condamne à reproduire ce qu’elle prétend abolir.


Alison PARDIEU


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