Jun WEI - De la souffrance mentale à l'éveil révolutionnaire
- alain.charreyron
- il y a 7 jours
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Dans Les Théories sur la Plus-value, Marx critique les économistes classiques comme Adam Smith ou Ricardo sur leur conception du profit, de l’intérêt ou de la rente. Pour lui, la plus-value n’est pas un phénomène économique “naturel”, mais le résultat d’une exploitation. C’est un outil théorique qui nous permet de comprendre ce qui se cache derrière la façade prospère du capitalisme.
En réalité, le capitalisme n’est pas un système d’échange juste, mais un système d’exploitation déguisé sous le mot “salaire”.
Alors, comment les prolétaires, à partir de leur expérience de l’exploitation, peuvent-ils prendre conscience, se rassembler, et devenir une force organisée capable de remettre en cause le système ?
L’éveil intellectuel en Chine et le témoignage de Lu Xun : l’indifférence du peuple chinois comme produit de l’oppression sociale
Après 1895, alors que la Chine devient une société semi coloniale et semi féodale, les intellectuels chinois commencent à réfléchir à cette question et à s’intéresser à la souffrance du peuple. Le plus célèbre écrivain chinois, Lu Xun (鲁迅), a raconté une histoire lorsqu’il étudiait la médecine au Japon. À l’époque, il pensait que la meilleure façon de sauver son pays était de soigner les corps affaiblis des Chinois. Mais un jour, Pendant un cours, son professeur japonais projeta une vidéo documentaire sur la guerre russo-japonaise. Dans ce film, Lu Xun vit une scène : un Chinois, accusé d’espionnage, était décapité par les Japonais, sous les yeux d’autres Chinois — impassibles, silencieux, presque indifférents. Cette expérience a changé les idées de Lu, il a réalisé que la médecine était incapable de transformer la nation ; et la chine a besoin d’une force d’éveil de la conscience collective.
L’indifférence est regardée comme un résultat d’une oppression sociale ; une fois la conscience éveillée, le peuple doit se révolter contre un système rétrograde, une politique extérieure humiliante et une culture traditionnelle dépassée.
Dans la culture traditionnelle chinoise, la société enseigne au peuple : « Le souverain est la norme du ministre, le père est la norme du fils, le mari est la norme de l’épouse1 »(君为臣纲,父为子纲,夫为妻纲).
En même temps, elle exige que chacun apprenne à endurer, à dissimuler ses pensées et à bien jouer son rôle. Un tel système renforce l’autoritarisme et le cadre hiérarchique, tout en réprimant la liberté individuelle. Il constitue ainsi un mécanisme de contrôle social intériorisé, qui produit une obéissance silencieuse et une forme d’auto répression marquée par l’indifférence.
Après 1919, les étudiants chinois, éveillés à la conscience nationale, ont organisé des manifestations pour dénoncer l’oppression de l’impérialisme et celle exercée par leur propre gouvernement. Il s’agit d’une poussée contraire, le peuple chinois aspirait à une réforme en profondeur et à la liberté d’expression. Dans le contexte chinois, cette poussée contraire s’inscrit dans une logique de privation collective, non seulement matérielle, mais aussi symbolique — il ne peut pas être privé de la reconnaissance, de la parole, et de l’existence. La tension constitue aussi une contradiction structurelle : elle ne se réduit pas à une dissonance individuelle, mais reflète une organisation historique des rapports sociaux, façonnée par le féodalisme, le patriarcat et la domination impérialiste. Ces contradictions, relayées et reproduites à travers le transfert social, « organisent les mouvements de vie » : elles sont à la fois source de souffrance et moteur potentiel de transformation.
Cette contradiction se rejoue dans chaque corps, chaque silence, chaque geste de soumission.
La vision révolutionnaire de Mao et la rupture avec l’ordre ancien
Le Parti communiste chinois et Mao ont su percevoir avec acuité cette contradiction, et ont remis en question la société de l’époque ainsi que la culture traditionnelle. Inspirés par le communisme, ils ont voulu rompre avec l’ancien ordre et reconfigurer la conscience collective par la voie révolutionnaire.
Comme l’écrit Marx dans la Préface à la Critique de l’économie politique, « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, mais, au contraire, leur être social qui détermine leur conscience. » Autrement dit, les idées ne peuvent évoluer durablement sans une transformation des conditions sociales concrètes.
Dans son article La Démocratie Nouvelle (1940), Mao reprend le cœur du raisonnement marxiste : la plus-value provient du travail non payé de la classe laborieuse. Il montre que l’exploitation n’est pas seulement un phénomène économique, mais une forme d’oppression systémique, inscrite dans l’organisation même de la société.
Les paysans sont comme sujet politique central
Mao a pleinement accepté le principe fondamental de Marx sur la plus-value, à savoir qu’elle provient du travail non rémunéré des ouvriers. Dans La Démocratie nouvelle, il affirme clairement que la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie accumulent leur richesse en exploitant les paysans et les ouvriers. Cette exploitation n’est pas seulement un processus économique, mais aussi une forme institutionnalisée d’oppression de classe.
Mao ajoute que « là où il y a oppression, il y a résistance », une formule qui exprime précisément l’explosion de la contradiction au niveau de la pratique sociale : une logique d’action par laquelle les individus et les collectifs cherchent à reconquérir leur souveraineté sur leur propre valeur.
Mao et le Parti communiste chinois ont placé le peuple au premier plan, en particulier les paysans, qui constituaient la majorité de la population chinoise.
Ainsi, ils accordent une place centrale aux paysans dans le processus révolutionnaire chinois.
Mao reconnaît dans cette majorité longtemps marginalisée une force motrice capable de transformer radicalement la société. Le peuple paysan devient ainsi non seulement acteur mais aussi sujet politique de son propre destin, dans une logique d’appropriation collective du pouvoir et de recomposition de l’être social.
De plus, dans ce nouveau régime, une alliance durable entre les paysans, les ouvriers, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale, dans laquelle chaque classe contribue à la libération collective.
C’est dans ce contexte qu’il élabore la stratégie des bases révolutionnaires rurales, selon Mao, chaque individu dans la révolution est important : tels de petites étincelles, ils peuvent, une fois rassemblés, embraser toute une plaine.
En conclusion, il n’y a pas de “maladie mentale”, la souffrance mentale est bien un effet d’une poussée contraire.
Mao a vu une potentialité révolutionnaire.
Il ne s’agissait pas de soigner des “malades”, mais d’organiser les masses : non pas guérir un symptôme, mais transformer le régime.
Car, comme le montre l’expérience chinoise, il n’y a pas de maladie mentale en dehors de la société qui produit la souffrance mentale, et c’est dans la lutte que le sujet retrouve sa voix, son corps, et sa capacité d’agir.
Jun WEI
avril 2025
1 Cette maxime résume le principe des « Trois liens » (san gang 三纲) dans la pensée confucéenne, codifié notamment dans le Livre des rites (Liji 礼记) et formalisé sous la dynastie Han par Dong Zhongshu (董仲舒).
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