« Van Gogh le suicidé de la société », Antonin Artaud
L’auteur de ce texte, Antonin Artaud était un théoricien du théâtre, acteur, écrivain, essayiste, dessinateur et poète français. Il est aussi inventeur du concept « théâtre de la cruauté » sur lequel il parle dans son ouvre « Le théâtre et son double ». Derrière « cruauté » il faut entendre « souffrance d'exister » et non une cruauté envers autrui. Pour Artaud, l'acteur doit brûler sur les planches comme un supplicié sur son bûcher. Il pense que le théâtre doit retrouver sa dimension sacrée, métaphysique et porter le spectateur jusqu'à la transe. Ainsi, Artaud a tenté de transformer radicalement la littérature et surtout le théâtre.
On peut dire que « Van Gogh le suicidé de la société » est aussi une sorte d’autoportrait, car Artaud lui-même était en souffrance physique (on lui avait diagnostiqué une syphilis héréditaire) ainsi qu’en souffrance psychique depuis son jeune âge. Il a passé 9 ans de sa vie dans les asiles psychiatriques. Dans cet ouvrage quand il parle de Van Gogh, il parle aussi de lui et quand il parle du psychiatre de Van Gogh, le Docteur Gachet, il parle aussi de son propre psychiatre qui, selon lui, voulait redresser sa poésie.
Le contexte de l’écriture de l’essai
À la fin de l'année 1946, Pierre Loeb (1897-1964), fondateur de la galerie Pierre à Paris, a suggéré à Artaud d'écrire sur Van Gogh, en pensant qu'Artaud, qui avait passé 9 ans dans un hôpital psychiatrique, était bien placé pour écrire sur un peintre considéré comme fou.
Cependant, Artaud, qui était en train de publier ses propres œuvres, n'a pas été très enthousiaste à l'idée du projet, mais les choses ont changé lorsque des extraits du livre du psychiatre François-Joachim Beer, intitulé "Du démon de Van Gogh", ont été publiés lors de l'ouverture d'une exposition Vincent Van Gogh au Musée de l'Orangerie à Paris à la fin de janvier 1947. Artaud s'est vivement opposé à la description clinique de la folie du peintre faite par Beer. Au contraire, il a accusé la société entière d'avoir poussé Van Gogh au suicide que ce soit par indifférence ou pour l'empêcher de révéler des vérités insupportables.
Un fou Van Gogh ?
Tout d’abord, dans cet essai Antonin Artaud explique que Van Gogh n'était pas fou. Le texte commence par la comparaison de ses actes tels que couper son oreille, avec les gens dits normaux qui mangent l’immangeable :
« On peut parler de la bonne santé mentale de Van Gogh qui, dans toute sa vie ne s’est fait cuire qu’une main et n’a pas fait plus, pour le reste, que de se trancher une fois l’oreille gauche, dans un monde où l’on mange chaque jour du vagin cuit à la sauce verte ou du sexe de nouveau-né mis en rage, tel que cueilli à sa sortie du sexe maternel, et ceci n’est pas une image mais un fait abondamment répété et cultivé à travers toute la terre, et c’est ainsi que si délirantes que puissent paraître ces affirmations, que la vie présente, se maintient dans sa vieille atmosphère de stupre, de désordre, de délire, de dérèglement, de folie chronique, d’inertie bourgeoise, d’anomalie psychique (car ce n’est pas l’homme, mais le monde qui est devenu anormal) »
Il y a donc dès le début de cet essai les questions qui émergent. Comment trancher entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas dans ce monde qui lui est devenu fou ? En quoi une personne est plus folle qu'une autre, en quoi une personne gêne la société plus qu'une autre ? Et enfin, qu’est-ce qu’est d’être fou dans une société folle ?
Pour Artaud, Van Gogh n’était pas fou, bien au contraire, il souligne sa « terrible sensibilité », lucidité et son génie.
"Un fou Van Gogh?, - demande-t-il en faisant référence à l’auto portrait de Van Gogh « Que celui qui a su un jour regarder une face humaine regarde le portrait de Van Gogh par lui-même [...].Peinte par Van Gogh extra-lucide, cette figure de boucher roux, qui nous inspecte et nous épie, qui nous scrute d'un œil torve aussi. Je ne connais pas un seul psychiatre qui saurait scruter un visage d'homme avec une force aussi écrasante et en disséquer comme au tranchoir l'irréfragable psychologie ».
L'auteur met en contraste l'œuvre de Van Gogh avec le travail des psychiatres, soulignant que même les professionnels de la psychologie ne peuvent pas analyser un visage humain avec la même intensité que Van Gogh a réussi à capturer dans son portrait. Il avance l'idée que le regard puissant de Van Gogh a réussi à saisir une profondeur psychologique dépassant celle des psychiatres.
Artaud s'intéresse à Van Gogh en tant qu'artiste avant tout, le considérant non seulement comme un peintre, mais également comme un écrivain (il mentionne les lettres et les virgules dans ses tableaux), et comme un musicien même s’il a conçu ses œuvres principalement en tant que peintre. On peut noter le sens du rythme présent dans les œuvres de Van Gogh, ainsi que le mouvement qu'Artaud décrit comme une « convulsion », un mouvement désordonné. Ainsi, Van Gogh crée du désordre dans l’ordre, où le rythme et la convulsion coexistent.
Gyte SKIRKAITE
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