Notes sur la "mort de la famille de David Cooper
"La mort de la famille" est un livre de David Cooper, publié en 1971, qui explore la notion de la famille et son rôle dans la société. Dans cet ouvrage, l’auteur expose la famille comme un concept obsolète qui ne correspond plus à la réalité du monde moderne. La famille traditionnelle, fondée sur le mariage et la procréation, aurait, selon lui, perdu sa pertinence et les nouvelles formes de relations interpersonnelles sont en train de prendre sa place.
Selon l’auteur, le noyau famille permet aux sociétés capitalistes de prospérer. Le fonctionnement social de la famille est utilisé en tant qu'instrument de conditionnement, à des fins d’exploitation, c’est une idéalisation dans la société et non pour une vocation humaniste. Par l’endoctrinement illusoire conscient, se produirait un pacte-suicide secret. Le pouvoir familial et sa fonction font des ravages sociaux.
L’auteur souligne au sujet des personnes que nous connaissons: « comme si nous avions la moindre chance de connaître la personne qui connaît les gens que la personne suppose elle-même qu'elle connaît. » p.7
La famille, telle que la société la conçoit, rend anonymes les personnes qui travaillent et vivent ensemble. L’auteur souligne la volonté de résumer le passé de notre famille pour accomplir notre libération vis-à-vis d'elle. La libération n'est efficace que sur le plan personnel. Parfois, après la libération, il est possible d'aimer sincèrement et librement ses parents, sans être emprisonné dans un amour, étouffant et ambigu qui viendrait léser parents et enfants.
Une des premières leçons du conditionnement familial est que nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes. La famille dépossède le sujet de lui-même et l’oblige à vivre agglutiné aux autres, comme si le sujet colle des lambeaux de la personnalité d'autrui, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus distinguer ce qui lui appartient ou non. Selon l’auteur, une aliénation s’opère chez le sujet qui est soumis passivement à la vision des autres, qui sont à l'origine les membres de sa famille. Il souligne que cette soumission et cette invasion de l’autre est un libre choix de la part du sujet.
L'institution est un moyen de défense dont dispose la famille pour contrecarrer l'autonomie du sujet. Le point crucial de la famille est rôle qu’elle joue et qui introduit au travers de la socialisation initiale de l'enfant, la normalité et la base du conformisme. L'auteur explique qu’ « élever un enfant c’est détruire une personne » (Cooper, 1971, p.13). La famille n’existe pas seulement comme une abstraction, une fausse existence, elle existe aussi pour inciter à dépasser tout le conditionnement qu'elle a fait subir. Cependant, cette voie de dépassement est bloquée.
Il y a de nombreux tabous dans le système familial, hormis le tabou de l’inceste. On retrouve le tabou de la gourmandise ou de la saleté, ils représentent l'implicite prohibition de l'autonomie.
L'auteur explique que peu de mères permettent aux enfants de développer leurs facultés à être seul.
Il donne comme exemple: l’enfant qui gémit. Les gémissements sont arrêtés par la mère, ne serait-ce que pour elle-même et non pas pour le bien-être de l'enfant. Selon l’auteur, il y aurait une violation du temps de l'enfant par l'emploi du temps de la mère qui reflète celui de la société. L'enfant a besoin d'expérimenter son propre temps qui comporte de la frustration, du désespoir et de la dépression.
Dans ce texte, l'auteur fait une étude de l’antithèse: « Comment une personne privée de sa vitale solitude durant ses premières années de vie, inventera plus tard et dans l'angoisse, sa séparation avec le monde. » Si le sujet ne découvre pas l'autonomie durant les premières années de sa vie avec des moments d'angoisse dans l'enfance, plusieurs chemins s’offrent à lui. Soit il devient fou vers la fin de son adolescence, soit il abdique et devient un citoyen « normal », soit il prend un chemin laborieux vers une liberté, grâce à des relations ultérieures, spontanées ou psychanalytiques.
L'auteur souligne que la tâche principale du sujet est de se libérer de sa famille dans deux sens: c’est-à-dire en se séparant de la famille réelle, mais également de la famille intériorisée. Sa séparation se fera au travers elle. Le sujet doit alors recourir à la visualisation au travers une série de voiles. L’auteur explique que le sujet rencontre plusieurs voiles au cours de cette séparation:
- Le premier voile: est celui de la mère, l'image de son expression faciale qui lui revient spontanément lorsqu’il pense à elle.
- Le deuxième voile: est celui du père, lui aussi avec une expression faciale qu'il connaît.
- Puis successivement celui de ses frères et sœurs, ses grands-parents et toutes les personnes ayant tenu une place dans la vie du sujet.
- Enfin, le dernier voile serait sa propre image. Le sujet regarde au travers de tout ces voiles, sonde au travers de lui-même, c'est-à-dire rencontre le néant. Le néant qui le ramène à lui-même, car c'est le néant particulier de son être. Après cette contemplation suffisante, la terreur qui en découle s’amenuise.
L'auteur souligne qu'il y a des aspects familiaux qui auront toujours un effet de nier l’homme, tels que l’agglutinement des personnes qui est fondé sur leur sentiment d’incomplétude.
Il prend l'exemple d'une mère qui est incomplète pour deux raisons principales ; la relation avec sa propre mère et dans son rôle effacé de la société.
Cette dernière s'accroche à son fils pour qu'il compense un double manque dont un qui est subjectif, puisque c’est la mère qui lui a donné ce sentiment, et l'autre qui est objectif, la suppression sociale. Le fils, bon gré malgré sa réussite, n’arrivera jamais à être complet. Car au travers des moments critiques de sa formation, il s'est ressenti comme l'appendice du corps et de l'esprit maternel. Pour lui, le seul moyen de s'en sortir est d'opérer une série d'actes qui le feront passer pour un « fou », il sera transféré dans ce que l'auteur appelle « la réplique de la famille », qui n’est autre que les hôpitaux. Une seule réelle solution existe: la chaleur de l'amour qui permet aux gens enfermés dans la famille et dans les institutions sociales, de s'en dégager. L'auteur souligne que cette solution est efficace seulement si le sujet traverse une région aride de total respect pour sa propre autonomie et celle de toutes ses relations.
« Topographie de l’amour »:
Ce chapitre aborde les différentes façons dont l'amour est vécu et expérimenté dans la société contemporaine. Cooper soutient que les normes culturelles actuelles entourant l'amour ont un impact négatif sur les relations et limitent notre capacité à expérimenter pleinement l'amour.
Cooper commence par critiquer la vision traditionnelle de l'amour comme une émotion individuelle romantique. Selon lui, cette conception est limitée et ne prend pas en compte les dimensions sociales et politiques de l’amour. L'amour doit être compris comme une relation sociale, l’expérience de l'amour est influencée par des facteurs tels que la classe sociale, la culture et le sexe.
L’auteur explore la façon dont les normes culturelles actuelles entourant l'amour limitent la capacité à aimer. La société occidentale actuelle a des attentes irréalistes envers l'amour romantique, qui sont alimentées par des industries telles que les médias et la publicité. Ces attentes créent des relations basées sur la consommation plutôt que sur la véritable intimité et connexion.
Par la suite, il aborde les dimensions sexuelles de l'amour et affirme que la sexualité est souvent réprimée ou exploitée dans les relations amoureuses. La sexualité doit être comprise comme faisant partie intégrante de l'amour et qu'elle doit être explorée et célébrée dans les relations saines.
Enfin, il propose des solutions pour transformer notre compréhension de l'amour et créer des relations plus saines et plus égalitaires. Il appelle à une révolution de l'amour, qui implique de déconstruire les normes culturelles existantes et de créer de nouvelles formes d'intimité et de connexion. Et encourage également l'exploration de différentes formes d'amour, y compris l'amitié, la communauté et l'amour pour la nature.
Ce chapitre offre une critique perspicace des normes culturelles actuelles entourant l'amour et propose des solutions pour créer des relations plus saines et plus égalitaires.
« Les deux faces de la révolution »:
Dans ce chapitre, l’auteur explore la question de la révolution sociale et de ses conséquences sur la psychologie et la subjectivité individuelle. Par examen de la dialectique entre l'individu et la société, une remise en question la nature de la révolution sociale s’opère.
L’auteur examine les hypothèses de base de la théorie de la révolution, qui suppose que les individus sont les agents du changement social et qu'ils peuvent transformer la société par leurs actions collectives. Cette vision de la révolution est fondée sur une vision individualiste de la société qui ne tient pas compte des relations de pouvoir et des structures sociales. Il se réfère à la théorie de la psychologie sociale pour expliquer comment les normes sociales et les attentes influencent le comportement, et comment la domination des individus est soutenue par ces normes sociales.
Cooper examine également, les conséquences psychologiques de la révolution sociale, en particulier en ce qui concerne l'identité et la subjectivité individuelle. Et explique comment les identités individuelles sont construites à travers des processus sociaux et comment la révolution peut perturber ces processus, entraînant des conflits et des tensions dans la vie individuelle.
Enfin, il propose une vision alternative de la révolution, qui met l'accent sur la transformation de la mentalité dominante de la société plutôt que sur l'action individuelle. Comment les individus peuvent être influencés par leur environnement social et comment le changement social peut être promu par la construction d'une culture alternative qui valorise la solidarité, l'empathie et l'équité.
« Fin de l’éducation: ce n’est qu’un début »:
Dans ce chapitre, la question de l'éducation et de son rôle dans la construction de la subjectivité individuelle est abordée. L'auteur explore les limites de l'éducation traditionnelle et propose une vision alternative de l'apprentissage qui met l'accent sur l'autonomie et la créativité individuelle.
En premier lieu, il examine les hypothèses de base de l'éducation traditionnelle, qui suppose que les individus peuvent être façonnés par des institutions sociales telles que l'école, et qu'ils peuvent être formés pour répondre aux normes sociales dominantes. Il explique également comment l'apprentissage est un processus actif qui dépend des motivations individuelles et de l'interaction avec l’environnement.
En explorant les limites de l'éducation traditionnelle, en particulier en ce qui concerne la créativité et l'autonomie individuelle, l’auteur explique que les individus nécessitent de l’autonomie et de la liberté pour atteindre leur plein potentiel. L'éducation traditionnelle peut inhiber ce développement.
Enfin, il propose une vision alternative de l'apprentissage, qui met l'accent sur l'autonomie individuelle et la créativité. Selon lui, l’apprentissage peut être facilité par la création d'un environnement éducatif qui encourage l'autonomie, la créativité et la collaboration.
« Affamez vos porcs »:
Ce chapitre aborde la question de l'oppression et de la domination à travers l'examen des systèmes d'alimentation industriels, en particulier en ce qui concerne le traitement des animaux, des travailleurs et de l'environnement. L'auteur explique les conséquences psychologiques de l'oppression et propose des solutions pour y mettre fin.
La façon dont les animaux sont traités dans les systèmes d'alimentation industriels reflète la mentalité dominante de la société. Les normes sociales et les attentes influencent le comportement, la domination des animaux est soutenue par ces normes sociales. Selon Cooper, la domination des animaux est un exemple clair de l'oppression systémique, qui se produit lorsque les personnes considèrent les autres êtres vivants comme des objets plutôt que comme des êtres sensibles et respectables.
Il examine également les conditions de travail dans les systèmes d'alimentation industriels, et comment cela affecte les travailleurs. Ces derniers sont exposés à des conditions de travail déplorables, à des risques pour leur santé et à des niveaux élevés de stress et d'épuisement professionnel. Cette oppression systémique des travailleurs est soutenue par la culture du capitalisme, qui met l'accent sur la maximisation des profits plutôt que sur le bien-être des travailleurs.
Enfin, l’auteur propose des solutions pour mettre fin à l'oppression dans les systèmes d'alimentation industriels. Les systèmes alimentaires durables et éthiques peuvent être promus par les individus et les communautés en modifiant leur comportement d'achat et en choisissant de soutenir les producteurs locaux et écologiques. Il souligne également l'importance de changer la mentalité dominante de la société, en reconnaissant l'interconnexion des différentes formes d'oppression et en promouvant une vision de la société qui valorise la justice, l'égalité et le respect de tous les êtres vivants.
« L’autre rive de la thérapie »:
Ce chapitre explore les limites de la thérapie traditionnelle et propose une approche alternative qui met l'accent sur la libération individuelle et la transformation sociale. L'auteur explique comment les traumatismes individuels et les problèmes sociaux sont interconnectés, et comment la guérison individuelle peut être liée à la transformation sociale.
Les hypothèses de base de la thérapie traditionnelle supposent que les problèmes psychologiques sont causés par des facteurs individuels tels que des déséquilibres chimiques ou des expériences traumatiques passées. Les traumatismes individuels peuvent souvent être liés à des problèmes sociaux plus larges, tels que les inégalités économiques ou les oppressions sociales.
Il explore les limites de la thérapie traditionnelle et de son potentiel de transformation sociale. Comment la guérison individuelle peut être liée à la transformation sociale, en encourageant l'autonomie individuelle et la libération collective. Une approche alternative de la thérapie, qui met l'accent sur la libération individuelle et la transformation sociale pourrait aider à la guérison par la transformation sociale. Il faudrait, selon l’auteur, encourager les individus à remettre en question les structures sociales oppressives et à s'engager dans des actions collectives de changement.
« Révolution de l’amour et de la folie »:
Ce chapitre explore la relation complexe entre l'amour et la folie, en particulier dans le contexte de la psychiatrie et de la société. Cooper remet en question les notions traditionnelles de la folie et de la normalité, et suggère que la folie n'est pas une maladie mentale, mais plutôt une forme de désobéissance et de rébellion contre la norme dominante.
Par cette mise en lien de la folie et de l'amour, l’auteur souligne que l'amour peut souvent conduire à des comportements considérés comme "fous" par la société, tels que l'obsession et la dépendance. Il suggère que ces deux derniers impliquent une rupture avec les normes sociales et une remise en question des valeurs et des croyances dominantes.
La psychiatrie traditionnelle, dans la régulation de la folie et de l’amour, cherche à maintenir la norme sociale en considérant la folie comme une maladie mentale à guérir. L'auteur critique cette approche, affirmant qu'elle prive les individus de leur autonomie et de leur liberté en les réduisant à une catégorie diagnostique.
Enfin, Cooper propose une approche révolutionnaire de la folie et de l'amour, qui implique une transformation radicale de la société et de la psychiatrie. La révolution doit se faire par la destruction de l'ordre social existant et la création d'un monde nouveau et plus juste, où la différence et la désobéissance sont valorisées plutôt que stigmatisées. Il soutient également que les individus doivent être considérés comme des agents actifs de leur propre guérison plutôt que comme des patients passifs soumis aux décisions de la psychiatrie traditionnelle.
« Mort et révolution »:
Ce dernier chapitre permet d’explorer la notion de mort comme élément clé de la révolution. Cooper soutient que la mort est un concept essentiel pour comprendre la révolution, car elle représente la fin de l'ancien ordre et le début d'un nouveau. La mort est souvent utilisée comme une arme dans les révolutions, car elle permet de détruire les structures de pouvoir existantes et de créer un vide qui peut être rempli par de nouvelles idées et de nouvelles formes de vie. Cette dernière est un moyen de libération, car elle permet de se débarrasser des vieilles identités et de se reconstruire sur de nouvelles bases.
La mort joue un rôle dans la thérapie et l'auto-exploration. La confrontation avec la mort peut aider les individus à se libérer des schémas de pensée limitants et à accéder à de nouveaux niveaux de conscience. La mort peut également aider les individus à se connecter avec leur essence profonde, ce qui peut les aider à trouver un sens plus profond dans leur vie.
Le lien entre la mort et la révolution sexuelle, affirme que la mort de l'ancienne morale sexuelle peut ouvrir la voie à une nouvelle forme de sexualité plus libératrice et créative. Selon Cooper, cette révolution sexuelle est liée à une révolution plus large qui implique la mort de l'ancienne structure de pouvoir patriarcale et la naissance d'un nouvel ordre basé sur l'égalité et la liberté individuelle.
En conclusion, ce livre aborde des sujets tels que la sexualité, l'amour, la parentalité, la psychologie, la sociologie et la politique, et examine comment ces aspects de la vie humaine sont liés à la famille. Cooper argumente que la famille est un lieu où se produisent des formes de violence et d'oppression, et que les relations familiales peuvent être source de souffrance pour les individus qui en font partie.
La société doit, selon lui, se libérer de l'emprise de la famille et créer de nouvelles formes de relations interpersonnelles plus égalitaires, plus coopératives et plus ouvertes à la diversité. Cela nécessite une révolution sociale qui remettrait en question les normes de genre, les rôles sociaux, la sexualité et la parentalité.
En résumé, "La mort de la famille" de David Cooper, est un livre provocateur qui remet en question l'idée de la famille traditionnelle et explore les nouvelles formes de relations interpersonnelles qui peuvent émerger dans un monde moderne en mutation. Cet ouvrage est considéré comme un texte clé dans le mouvement de libération des femmes et dans le développement de la psychologie sociale critique.
Valentine Dos Anjos
Illustration : ©Enki Bilal
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