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L’AMOUR II


Nous avions mis en évidence dans l’article précédent la mystification de la pratique psychanalytique reposant sur la base de l’amour.

Il est intéressant de saisir l’apport de Marx dans ce contexte et d’évoquer le renversement fait par rapport à Ludwig Feuerbach.

Lorsqu’on parle du renversement chez Marx, il est fait référence généralement au renversement produit d’emblée dès 1843 par Marx sur la question de la dialectique du Droit hégélien. Un autre renversement tout aussi important a lieu en 1845 dans l’Idéologie allemande : celui qui concerne les idées développées par Feuerbach. L’idéologie de l’amour dans la civilisation occidentale, la civilisation chrétienne, est au menu de ce renversement. Et là aussi comme avec Hegel il y a un acte historique philosophique : un avant et un après Marx.

Le transfert historique de la période qui va de Hegel à Marx concerne la fonction historique du christianisme en Allemagne soit la fonction sociale et politique de Dieu : le travail du théologien David Friedrich Straus qui publie en 1835 la « Vie de Jésus », celui de Ludwig Feuerbach et son « Essence du christianisme » en 1841 en témoignent. Ce travail transférentiel  des contradictions sociales mystifiées par le christianisme et le Droit hégélien va permettre à Marx de sortir de la philosophie en 1845-46 avec « l’Idéologie allemande » et « La Sainte-Famille ».

Il serait tout à fait judicieux de produire une réflexion sur le croisement des deux renversements faits par Marx entre 1843 et 1846, celui de la religion de la dialectique hégélienne du Droit et celui de l’amour de la religion chrétienne. Nous pourrons produire cette réflexion dans un prochain article ayant trait à cette dimension novatrice du transfert social en croisant Hegel et Feuerbach et leurs religions laïques respectives.

Dans sa préface à l’édition aux PUF de la traduction en français de l’article de Freud connu sous le titre « L’avenir d’une illusion » le psychanalyste Jacques André note : « Pour une large part, les attaques de Freud contre les religions empruntent à une tradition philosophique issue des Lumières. L’influence de Feuerbach, l’auteur de l’essence du Christianisme, est sans doute la plus prégnante. Le jeune Sigmund écrivait de lui : il est ‘’ de tous les philosophes celui que je révère et admire le plus’’ (lettre à Silberstein du 7 mars 1875). Cette prégnance de Feuerbach chez Freud est un repère important souvent méconnu dans l’histoire de la psychanalyse, et cela explique en partie sa conception aliénée et aliénante de l’amour, Freud n’ayant pas lu Marx et sa critique de Feuerbach.

Quant à Lacan il fera étrangement son dit-retour à Freud en partant de Hegel et restera hégélien jusqu’à la fin. Lui aussi rate les renversement produits par Marx. La critique faite à Lacan par Althusser sur le fait qu’il n’aurait produit qu’une philosophie de la psychanalyse est fort juste, ce qui va de pair avec le constat fait par le même Althusser que dans cette philosophie de l’histoire, le concept de grand Autre est un abri théologique pour la psychanalyse lacanienne.

Les propos de Marx sur le renversement hégélien et le renversement de la religion de l’amour échappent totalement à la sphère freudo-lacanienne.


La critique faite par Marx à Feuerbach de « faire abstraction du cours historique et de fixer le sentiment religieux comme un en -soi, en présupposant un individu humain abstrait - isolé. » est tout à fait adapté aux théories de la psychanalyse. Il s’agit donc pour nous de partir de son envers.

Marx ne part pas du concept d’homme - fut-il ramené à un jeu de représentations signifiantes - mais du primat du fait historique. « Ma méthode analytique  ne part pas de l’homme mais de la période sociale économiquement donnée » écrit-il dans ses « Notes marginales sur le traité d’économie politique » d’Adolph Wagner en 1880. Feuerbach a créé ce qu’Engels appellera à son propos une « religion de l’homme » et cette religion concerne étroitement la religion psychanalytique de l’amour.

Lisons l’Idéologie allemande dans le chapitre qui porte ce titre (1). Marx note que Feuerbach a sur les matérialistes « pur » le grand avantage de se rendre compte que l’homme est aussi un « objet sensible »; Cependant il ne sait pas les hommes « comme activités sensibles » car là encore écrit Marx, « il s’en tient à la théorie et ne saisit pas les hommes dans leur contexte social donné, dans leurs conditions de vie données qui en ont fait ce qu’ils sont ; il n’en reste pas moins qu’il n’arrive jamais aux hommes qui existent et agissent réellement, il s’en tient à une abstraction, « l’Homme », et il ne parvient à reconnaître l’homme «réel, individuel, en chair et en os », que dans le sentiment : autrement dit, il ne connait pas d’autres « rapports humains » «  de l’homme avec l’homme » que l’amour et l’amitié, et encore idéalisés. » (p. 85) Cela signe ce que recouvre l’analyse faite par la psychanalyse : l’amour idéalisé masque dans l’analyse des rapports humains celle des conditions de vie qui font des hommes ce qu’ils sont, des hommes réels, en chair et en os. Les conflits humains sont ramenés avec cette approche à des conflits d’amour, de préférence, de rivalité affective loin des enjeux de transferts de valeurs que nous avons mis comme outils d’analyse à l’APPS. Engels renchérira en parlant à propos de Feuerbach «  d’une psychologie qui aboutit à des dithyrambes à la gloire de l’amour et qui l’idéalisent » (p.234)

Il serait intéressant de voir ce que le mythe d’Oedipe ou le narcissisme doivent à l’admiration freudienne envers Feuerbach. Il en découle une analyse restreinte des « rapports humains » réduite à l’analyse des rapports «  de l’homme avec l’homme » sur une base d’amour idéalisé. Très tôt Marx plutôt que le primat de l’amour chrétien fait le choix des rapports sociaux et de ce qui les conditionnent dans la vraie vie. Dans son chapitre de l’idéologie allemande intitulé « sur l’individu et le communisme », il indique que dans la société communiste «  La conscience que les individus auront de leurs relations réciproques aura, elle aussi, un caractère tout différent et donc sera aussi éloignée du ‘’principe d’amour’’ que du ‘’dévoûment’’ ou de l’égoïsme » ( p. 193)

En poursuivant le croisement des renversements du christianisme et de la philosophie du Droit hégélien, nous parions que prenant pour base l’amour en tant que besoin, nous arriverons par le biais de la révolution communiste réelle à une société où l’amour pourra être autre chose qu’une collusion de la perte( le droit hégélien) et du déchirement ( le christianisme)


Hervé Hubert


(1) K Marx, F Engels L’idéologie allemande, Paris Editions Sociales, 1982


Illustration ©James Ensor

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