GEORGES POLITZER ET LES CONTRADICTIONS DANS LE MENTAL
Auteurs : Yewon Choi, Luka Mongelli, Ophélia Paris, Lydia Schabirosky
Introduction
Ouverture de la journée sur Politzer
L’influence de Georges Politzer sur le CPMS et l’APPS est bien sûr notable, étant donné qu’il a été demandé que le CPMS serait rebaptisé “Centre Georges Politzer CPMS”. Cela témoigne d’une volonté d’emprunter la philosophie de pensée de Politzer et son apport concret, qui donne des pistes de réflexion et de pratiques, et nourrit ainsi notre travail et nos échanges.
Oeuvres étudiées
Les supports sur lesquels nous construisons cette présentation sont trois œuvres importantes de Georges Politzer : Critique des fondements de la psychologie, La philosophie des mythes et Principes élémentaires de philosophie.
Dans Critique des fondements de la psychologie (1928), Politzer prône une psychologie concrète, en opposition à la “psychologie abstraite”. La psychologie concrète correspondrait mieux au vécu des personnes et se place dans une dynamique émancipatrice et désaliéniste. Politzer fait la critique de l’introspection, du behaviorisme et de la Gestalt theory, il présente les apports de Freud en mettant en lumière leurs aspects pertinents et aussi leurs dérives. A travers l’analyse du travail du rêve, il expose son argumentation en confrontant psychologies abstraite et concrète, sans manquer d’admettre les failles théoriques de son propre postulat. La psychologie concrète, selon Politzer, part de de la relation humaine et non du diagnostic, elle se concentre sur le récit de la personne, dans lequel un drame prend place. Elle est en cela profondément proche de la réalité.
La philosophie et les mythes
L'œuvre regroupe des textes de Politzer publiés entre 1924 et 1941, ils permettent de suivre le cheminement de sa pensée, sur les pas de Marx.
Jeune professeur de philosophie, Politzer critique ce qu’il nomme la mythologie, qui place la philosophie au service du pouvoir en place.
Démontrant qu’un matérialisme dialectique, tel que proposé par Marx est le seul permettant à la philosophie de nourrir les sciences sociales, il s’appuiera sur les exemples de l’histoire pour illustrer ce propos.
Ainsi il dénonce le totalitarisme nazi mais également l’absurdité du système capitaliste et les révolutions bourgeoise.
Après la démobilisation, Politzer choisit la clandestinité.
Il cesse son activité de professeur de philosophie pour se consacrer à son travail de militant du parti communiste français.
L’ouvrage « Principes élémentaires de philosophie » est publié en 1946, après sa mort. Le livre est une retranscription de ses cours sur le matérialisme dialectique rédigé à l'aide des prises de notes d’un des ses élèves. Il était important pour Politzer de rendre des sujets complexes compréhensibles pour tous. Il s’adresse notamment aux ouvrier(e)s qui n’ont pas le même accès au savoir. Pour donner une première idée de ce qu'est le matérialisme dialectique, on pourrait y répondre dans des mots simples que c’est la philosophie du marxisme.
Dans le livre de Georges Politzer "Principes Élémentaires de Philosophie", l'idée de contradiction est au cœur de sa compréhension du matérialisme dialectique. Politzer soutient que les contradictions sont inhérentes à toutes choses, y compris la société et la pensée humaine, et qu'elles ne sont pas négatives mais nécessaires au progrès et à la croissance.
1. Politzer
Biographie brève
Né en 1903, Georges Politzer est issu d’une famille de la bourgeoisie juive hongroise. Déjà très jeune lycéen, il adhère au parti communiste et est engagé dans le mouvement révolutionnaire jusqu’à la chute de la République des conseils de Hongrie en 1919.
Plus tard, il participe aux séminaires de la société psychanalytique de Vienne où il y fait la connaissance de Freud et de Ferenczi. En France, il est agrégé de philosophie et enseigne dans divers lycées, il fonde plusieurs revues dont la première revue théorique marxiste en France. Ensuite, il se tourne vers l'étude de l'économie, il devient membre du bureau d'information de la CGTU et enfin responsable de la commission économique du comité central du Parti communiste français. En 1940, Politzer dirige l’édition d’un bulletin clandestin et crée avec ses amis communistes Jacques Decour et Jacques Solomon, le premier réseau de Résistance universitaire. Il est arrêté en 1942, interné résistant et fusillé au Mont Valérien.
Influence et impact de Politzer
Politzer est donc un philosophe communiste inspiré par le matérialisme, c’est aussi un théoricien dont les écrits sur la psychologie et la psychanalyse ont nourri la pensée de l’époque. Notamment avec Critique des fondements de la psychologie (1928), qui, d’après Louis Althusser, a influencé Lacan, Sartre et Merleau-Ponty : “il est à l’origine de “l’entrée de la psychanalyse dans la réflexion philosophique française”.
2. Les contradictions et Politzer
Politzer admet l’apport certain de Freud et notamment de son analyse des rêves, mais aussi sa tendance à tomber dans l’abstraction. Il voit dans la psychologie classique l’annonce d'une volonté d'être dans le concret, mais elle garde des notions abstraites, presque malgré elle et elle se tourne vers des notions abstraites de manière systématique, faute de savoir expliquer les faits psychologiques. L’auteur y voit là “la dualité de la psychanalyse” : admettre à la fois l’existence d’un psychisme “pour soi” et d’un psychisme construit (spéculé), ce qui est impossible à concilier. Il pense que la psychologie est enfermée dans l'antithèse de l'objectivité et de la subjectivité et prétend, par la psychologie concrète, pouvoir en faire la synthèse.
Dans[1] La philosophie et les mythes, Politzer présente une critique de cette mythologie et propose de voir la philosophie se nourrir du progrès de la science, elle a doit être attentive à ses avancées, y compris dans le domaine qui est nouveau pour l'époque des sciences sociales.
Les philosophes doivent être “ amis de la vérité et ennemis des dieux”.
Politzer illustre les contradictions sociales par divers exemples concrets et historiques. Il montre la contradiction que présente le système fasciste, avec l’idéologie raciste qu’il promeut. En effet le racisme prétend servir une cause nationaliste, mais se base sur un mythe biologique, et réfute en réalité l’idée de nation. Le pangermanisme, idée métaphysique est dénoncée comme idée purement mystique de l’ancienne âme germanique. Le racisme se réfère à la biologie, mais à une fabulation biologique. Hitler a exploité le sentiment national du peuple allemand, alors même qu’il ne correspond pas aux critères biologiques du racisme qu’il promeut.
Le racisme oppose la notion de race à celle de nation en effaçant la réalité historique qui fonde les nations, niant ce qui fait sens dans la construction du peuple en tant que groupe.
S’inspirant grandement des travaux de Maurice Thorez, Politzer explique qu’une nation civilisée se rapporte à la conscience d’une histoire, et non de la zoologie.
Par ailleurs, la notion de race dans l’idéologie fasciste vient remplacer la notion de classe, en cela participe à l’aliénation du peuple.
Dans la critique de la religion, Politzer citant Marx rappelle que le dogme impose au peuple une vie précaire, postulant qu’il existerait le paradis.
Il se réfère à des écrits, et non au concret, aux réalités historiques et sociales que les écrits présentés comme saints effacent, et c’est ainsi qu’il explique la féodalité, par la royauté de droit dit divin.
La philosophie, si elle est au service de la théologie, prétend aussi présenter des écrits anciens, comme des notions transcendantales de vérité”.
Par le formalisme stérile de la scolastique, la philosophie devient servante de la religion.
Ainsi il critique également le fatalisme, citant les travaux de Diderot, et les matérialistes du 18ème siècle, qui présentent seulement le moyen âge comme ayant été une grande nuit, il reste métaphysique et garde l'idée que l’homme agit d'après l’idée. Il nourrira ainsi le règne idéalisé de la bourgeoisie.
Pour Politzer, le seul matérialisme, et la philosophie qui est au service de l’humain est le matérialisme dialectique, ”science sociale vraie qu'est la condition de l’action sociale efficace, fait passer le socialisme de l' utopie à la science, et du rêve dans la réalité”.
L’accent est mis sur la thématique des contradictions et pour cela on examinera la troisième loi de la dialectique nommée justement “la contradiction”. D’après cette troisième loi, les contradictions sont liées entre elles. Il n’y a pas “d'opposés isolés”. Les choses peuvent se transformer en leur contraire. Par exemple, la vie et la mort ne sont pas isolées l’une à l’autre. Si un arbre est à la fin de sa vie, la vie se transforme en mort. De la même façon, la souche de l’arbre mort peut donner un espace de vie pour des insectes.
Politzer explique que les choses changent en permanence, que les transformations s’enchaînent et que les choses se transforment mais pas de n’importe quelle manière. Elle se transforme dans leur contraire. Pourquoi y a-t-il un changement ? «Les choses changent parce qu’elles renferment une contradiction interne (…). Les contraires sont en conflit, et le changement est la solution du conflit. » (p.191)[1] Du coup à la question « Que faire avec les contradictions dans le mental ? » , la dialectique répond qu’il faut les prendre en charge par le changement.
Pourquoi le changement est une solution ? Il est considéré que chaque chose est une unité de contradiction. Tout a un antagonisme. Deux forces s’opposent, elles luttent à l’intérieur de chaque chose : une force pour rester à l’état actuel et une force vers le changement. L’idée est qu’avec une nouvelle contradiction, l’ancienne contradiction n’aura plus d’importance. Le changement semble alors être une solution. On peut s’imaginer que la souffrance liée aux contradictions va disparaître avec la contradiction elle-même. On entend aussi que c’est seulement grâce à la destruction de l'ancienne contradiction qu’on peut évoluer. On sera donc toujours confronté à des contradictions dans notre mental. Ce n’est pas la contradiction en elle-même qui pose problème, mais quand on arrive pas à passer à la suivante. C’est cette fixation à la contradiction qui procure de la souffrance.
Georges Politzer soutient que les contradictions dans l'esprit surviennent lorsque les individus ont des idées ou des croyances contradictoires qui ne peuvent pas être facilement conciliées. Plutôt que de rejeter ces contradictions comme un problème, il suggère qu'elles sont une occasion d'affiner sa pensée.
Il encourage les individus à confronter et à accepter les contradictions dans l'esprit en examinant les causes et les origines des idées contradictoires, en explorant les hypothèses et les valeurs sous-jacentes et en développant de nouvelles idées ou perspectives qui peuvent synthétiser des points de vue opposés.
Il donne exemple de la vie et de la mort.(p.71)
La vie et la mort se transforment continuellement l’une dans l’autre, les choses se transforment dans leur contraire
En s'engageant dans ce processus de pensée dialectique, Politzer soutient que les individus peuvent approfondir leur compréhension du monde et évoluer vers une perspective plus précise et nuancée. Dans la pensée humaine, Georges Politzer soutient que les contradictions sont présentes dans toutes les idées et tous les concepts de la réalité.
3. Ouvertures, pistes de discussion
Apport concret
→ Pour l’APPS :
Le travail de Politzer sur la psychologie concrète peut nous guider dans nos pratiques, comme une boussole, de sorte à ce que nous ne perdions pas de vue l’importance d’individualité et de la réalité concrète des choses, et du drame que la personne expérimente.
Les œuvres de Politzer permettent d’illustrer l’impact des réalités sociales, et dénoncent le primat de l’idée, qui est au service de l’idéologie bourgeoise, comme elle l’a été au service de la féodalité. Il est intéressant de s’appuyer sur ces écrits, qui se réfèrent à des observations historiques, et proposent une psychologie concrète, qui place le sujet dans son contexte historique et sociétal. C’est le travail que nous entreprenons à l’APPS, en opposition à l’approche de la psychopathologie classique.
En rapport avec l’APPS, c’est une idée d’aborder les valeurs comme des contradictions. Il y aura des valeurs qui sont en contradiction avec d'autres valeurs. De cette manière, quand on reste figé entre des poussées contraires, cela crée une souffrance. La solution sera de procéder au changement de valeurs.
Par exemple, la contradiction entre les intérêts des riches et des pauvres crée une tension qui ne peut être résolue que par un changement de système. Ou l'idée de justice peut contredire l'idée de miséricorde. Cependant, au lieu de voir ces contradictions comme problématiques et devant être éliminées, Politzer les voit comme une opportunité de développement et de progrès par le changement, le transfert.
→ Pour nos pratiques :
Découvrir le travail de Politzer permet d’alimenter nos savoirs théoriques et vient questionner nos habitudes, nos “réflexes” pratiques ; le mot d’ordre étant concrétude et focalisation sur l’individu. L’idée étant de puiser dans chaque nouvel apprentissage ce que l’on estime être le meilleur pour les personnes que l’on rencontre.
Dans notre pratique, ces propositions permettent d’avoir une approche différente de celle de la psychopathologie, de voir l’humain dans un contexte, de comprendre ainsi les souffrances dans le mental. Sans tomber dans l'écueil de citer ces œuvres comme étant un support de vérité historique, ce que Politzer lui-même dénonce, il me semble pertinent de parler avec les personnes que nous accompagnons du fait qu’il existe d’autres approches et propositions, qui ne présentent pas l’humain en souffrance comme déficitaire, mais comme une personne prise dans les réalités concrètes et sociales qui créent de la souffrance dans le mental. ( donner exemple si on a le temps )
La reconnaissance et la compréhension des contradictions permettent aux individus de développer une compréhension plus complexe et nuancée du monde. En acceptant les contradictions, les individus peuvent briser la pensée binaire et développer une approche dialectique de la société et de la pensée qui peut conduire dans un monde meilleur.
En pratique, Politzer souligne qu’il ne faut pas poser des interprétations sans connaître l'histoire des personnes et qu’il faut se détacher des pensées abstraites qui ne reflètent pas forcément la réalité des choses. L'important est que l’on parte de nos réflexions à propos des faits réel.
Yewon Choi, Luka Mongelli, Ophélia Paris, Lydia Schabirosky
[1] Politzer, G. (1972). Principes élémentaires de philosophie. Editions sociales.
Illustration : ©Moebus
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