Critique de la religion psychanalytique classique : la religion de l’amour
1. La mystification de la formule « Le transfert c’est de l’amour qui s’adresse au savoir »
« Le transfert c’est de l’amour qui s’adresse au savoir » Cette formule lacanienne qui confine la question de l’amour aussi bien que celle du transfert est devenue une ritournelle psychanalytique des plus courantes. La question de l’amour de transfert - de l’amour dans le transfert - est certainement dans la relation psychanalytique entre deux personnes, le psychanalyste et le psychanalysant, le versant le plus populaire dans sa dimension hollywoodienne du terme.populaire C’est pourtant ce qui a fait peur à Freud au début des effets ressentis de la talking cure : Freud a été apeuré par le transfert note Lacan dans le séminaire 1, « Les écrits techniques de Freud » (1953) et a été retardé de ce fait dans son élaboration théorique. Il est clair que la confrontation de Freud aux symptômes de la souffrance et de l’amour, dans son expérience transférentielle première, a donné lieu à une réponse totalement différente des standards académiques de l’époque notamment médicaux et moraux. Du nouveau se manifestait incontestablement et brisait les cadres académiques.
Freud est donc parti de sa pratique et a été confronté dans ses conditions à l’angoisse de la rencontre humaine : l’existence de rencontres répétées provoquait la production d’effets, d’ affects et notamment la magie de l’amour. Après ses peurs premières Freud dégagera donc assez tardivement le concept de transfert dans cette orientation de manifestation de l’amour, et le nommera « Übertragung». Dans « Remarques sur l’amour de transfert » en 1915, il concèdera à l’amour du transfert psychanalytique, le caractère d’un amour authentique.
Pour autant Lacan, dans ce premier séminaire, insistera sur le fait que Freud en 1900 dans l’interprétation des rêves avait déjà utilisé le terme Übertragung pour désigner un phénomène de déplacement et il est retrouvé avec cette signification dans l’index allemand de l’édition complète des oeuvres de Freud.
Freud va choisir ce même terme « Uberträgung » pour désigner cette expérience entre le praticien et le patient. Lacan résume d’ailleurs dans le Séminaire I de façon tout à fait intéressante : « L’expérience analytique est instaurée par les premières découvertes de Freud, sur le trépied rêve, lapsus, trait d’esprit. Un quatrième élément est le symptôme (…) C’est dans cette expérience, et avec retard sur l’instauration de celle-ci –Freud lui-même dit avoir été apeuré-, qu’il isole le phénomène du transfert. De n’être pas reconnu, le transfert a opéré comme obstacle au traitement. Reconnu, il devient le meilleur appui du traitement. Mais avant même de s’apercevoir de l’existence du transfert, Freud l’avait déjà désigné. En effet, il y a déjà dans la Traumdeutung une définition de l’Uberträgung en fonction du double niveau de la parole (…) Il y a des parties du discours désinvesties de significations qu’une autre signification, la signification inconsciente, vient prendre par derrière. Freud le montre à propos du rêve (…) » Il y a donc un hiatus à souligner dans l’emploi de Uberträgung.
Ce qui est donc intéressant dans cette remarque de Lacan à propos du terme Ubertragung est qu’il est « placé » du côté du déplacement.
Le savoir inconscient transcendantal comme simple déplacement est ainsi mis en place de savoir émancipateur noué à l’amour. Ainsi le transfert de mots, le déplacement révèlerait que quelque chose échappe au sujet mais le représente en même temps. Cela se nomme en psychanalyse la division du sujet par le signifiant. Cette division, qui n’est jamais pensée en psychanalyse comme contradictoire du fait des tables de la loi freudienne : « l’inconscient ne connait pas la contradiction! », serait la condition du transfert : un trou dans la maitrise. Rassurez vous cependant la maîtrise est toujours présente. En effet dans le transfert le sujet peut dire ce qu’il ne sait pas mais détient néanmoins ce savoir. Là réside la pseudo-émancipation psychanalytique par la pratique de la parole, et le transfert psychanalytique devient ce qui connecte le sujet qui parle à « l’inconscient qui sait ». « L’inconscient qui sait » est le pivot de la mystification de l’inconscient freudien et plus largement psychanalytique, y compris lacanien,
« L’inconscient qui sait » est une expression caractéristique du caractère autoritaire et aliénant de la psychanalyse, écueil que Georges Politzer avait souligné dès 1928 dans sa critique des fondements de la psychologie et de l’éloignement de Freud du concret. « L’inconscient qui sait » est évidemment dangereux et justifie la position de condamnation exprimée par Georges Politzer face à l’obscurantisme de la psychologie des profondeurs dont se nourrira notamment et historiquement le nazisme. Ainsi contre toute raison logique et contrairement à ce qu’enseigne la simple rencontre humaine, c’est l’hypothèse de l’inconscient qui devient nécessaire pour expliquer le transfert !
Le transfert et l’amour deviennent la conséquence de l’inconscient freudien et la demande portée par la personne en souffrance est obligatoirement une demande alors adressée à l’inconscient ! Le glissement vers la transcendance mystifiante s’illustre pour les Lacaniens de façon caricaturale : l’analysant s’adresse à un lieu, celui de l’Autre qui est aussi le trésor des signifiants où il doit bien admettre que son existence s’y décide. Le transfert est alors rapporté à la reconnaissance de ce savoir étrange qui expliquerait sa « division subjective ». Ce que le sujet ne sait pas lui-même, il faut en déduire que c’est l’Autre qui le sait. Un Autre qui du lieu de l’inconscient peut répondre à celui qui le questionne. Là repose le lieu de l’interprétation psychanalytique. Là repose la mystification et la réside le fondement de la religion psychanalytique. Althusser avait souligné cet aspect de façon très partielle en énonçant dans le séminaire « Ou pire » que ce Grand Autre venait en place topologique de Dieu.
La formule « Le transfert c’est de l’amour qui s’adresse au savoir » est une mystification et nous poursuivrons dans un second article comment avec l’outil Marx nous pouvons travailler autrement cet élément fondamental pour l’humain qu’est l’amour.
Hervé Hubert
Illustration : ©Georges Braque
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