Critique de la religion psychanalytique classique : le transfert de la structure
Structure ? Psychotique ! « Cool ! J’ai échappé au diagnostic de structure perverse » disait ironiquement une dissidente de la question du genre… Structure ? Pervers narcissique ! « Bof ! Pervers, cela n’est qu’un jeu de mots…Père-vers, la version du père, c’est bien connu », disait un analysant sur le divan et « narcissique qui ne l’est ? » répond l’Echo. Structure ? Névrose ! « J’ai un vieux truc qui date…Une névrose…Une histoire oedipienne paraît-il ». La structure ? Un truc qui dure en psychanalyse classique et s’accorde au fameux psycho-pathologique et ses classifications de malade mental. La structure du « cas » signe le gouffre qu’il peut y avoir entre cette psychanalyse-là et l’accueil fait à un autre qui a pour base la pratique du transfert envers un camarade poète en souffrance, celle qui prend comme boussole le transfert vivant dans le social. Comment cette religion de la structure s’est-elle fabriquée ? Il conviendrait de reprendre dans le détail l’histoire du structuralisme qui a caviardé la psychanalyse. Je me cantonnerai ici à quelques repères succincts. Il faut tout d’abord signaler son succès à partir des années 60. Quoi de plus séduisant qu’une explication où l’ensemble structurel qui relierait la partie et le tout donne tant de puissance à l’esprit ? Ce qui a été déterminant dans cette captation de l’esprit fut certainement l’appât linguistique, la science du langage. Le langage devint le fait culturel par excellence, distinguant l’homme de l’animal et la linguistique fut proclamée science - poisson pilote de cette aventure. Lacan s’empara de cet élan. Il est à noter un précurseur, le philosophe marxiste Georges Politzer, qui a été le premier et le seul à son époque en 1928 à mettre en évidence le caractère linguistique de la découverte freudienne. Lacan le note dans son séminaire « L’envers de la psychanalyse » en 1969 en faisant son éloge, indiquant qu’il avait mis en évidence un fait : « l’essentiel de la méthode freudienne pour aborder ce qu’il en est des formations de l’inconscient, c’est de se fier au récit. L’accent est mis sur ce fait de langage ». Politzer le déploiera d’une belle manière dans son soucis de bâtir une psychologie concrète. Le versant transcendantal lacanien sera plus séduisant dans les années 1960 que le versant du concret. Il en naitra finalement le transfert religieux de la structure via Lacan. Le religieux a plusieurs facettes. La vielle structure freudienne Névrose, Psychose et Perversion trouvait ainsi des habits de jeunesse pour pouvoir convoler avec les dandys. La dialectique hégéliano-marxiste avait quant à elle une jeune concurrente qui paraissait nettement plus dans le vent de la liberté pour faire danser ensemble les différents champs des sciences sociales et humaines. L’histoire devenait articulation entre synchronie et diachronie où tout s’expliquait comme dans un livre. C’est sur ce point précis que dans la pratique comme dans la théorie s’organisa le hiatus avec le vivant : l’histoire n’est pas un livre. Cette histoire petite ou grande échappe à toute structure dans le transfert actif de la vie sociale, et c’est ce qu’apprend peu à peu chaque praticien pas trop dur de la feuille. Le postulat de la structure se dirige vers la pente « an-historique » : la structure est déjà là et devient appareil de lecture d’une vie humaine pré-établie. Tout est déjà écrit à l’avance dans la structure. Ce qui se déploie dans le temps est en soi immobile et « plus ça change, plus c’est la même chose » pourrait-on dire des histoires qui rentrent dans le cadre de la structure. Le primat de la pratique sociale et de l’histoire réelle sont au devant de la scène chez Marx lorsqu’il renverse Hegel. Le processus historique est fondamental, interagit avec le transfert de valeurs, transport de valeurs qui illumine la première section du Capital. Cela a beaucoup d’incidences sur le rapport au Savoir et crée ainsi d’autres conditions de travail par rapport à la psychanalyse classique où ce savoir a une place de maîtrise. La structure en revanche est dans ce contexte hégélienne et permet d’expliquer la séparation qui se produit entre la vie réelle et le rapport au savoir. Chez Michel Foucault cela est très clairement présent : les époques historiques du savoir qu’il délimite sont au final exclusivement connectées au repère épistémologique. Le Savoir est roi dans « Les mots et les choses ». Dans cette méthodologie foucaldienne unidimensionnelle, le rapport au travail ou à la production sociale est loin d’être une préoccupation centrale, de même l’étude dialectique des contradictions et des poussées contraires est exclue et au final la question de l’ordre, ordre naturel ou ordre hiérarchique, peut dormir tranquille dans un sommeil d’allure paradoxal. Nulle chance avec cette religion de la structure de remettre en question quoi que ce soit de fondamental. La structure conserve un ordre bien établi. Elle substitue la métaphore à l’analyse scientifique, tout devient équivalent par déplacement de mots. Rien ne change en effet. Cette religion de la structure met en avant un cadre qui paraît naturel, ordre naturel. Le fait de structure est premier indique de façon très réactionnaire Claude Lévi-Strauss dans « l’homme nu » lorsqu’il termine sa série « Mythologiques » en 1971. Les temps ont beaucoup changé. Les praticiens, encore récemment férus de structures, ont progressivement délaissé cette référence pour se diriger vers des problématiques plus concrètes. C’est dans ce contexte du concret que la dialectique ternaire initiée par Marx dans son oeuvre poético- scientifique peut nous éclairer et nous orienter dans la pratique, car au fondement social vivant : il y a le rapport humain.