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Critique de la religion psychanalytique classique : le transfert de l’homme abstrait


©Bacon


L’actualité virale nous place dans une dimension inédite depuis la seconde guerre mondiale et nous mène au concret de notre existence : la menace fondamentale envers la vie humaine. Avec ce rappel du concret de la vie, il est d’autant plus important de sérier les problèmes liés à ce que j’ai appelé la religion de l’homme abstrait dans la psychanalyse classique.

Cette question a été très tôt mise en évidence par Georges Politzer dans sa « Critique des fondements de la psychologie » en 1928. Dans cet ouvrage, Politzer qui n’est pas encore marxiste, fait une critique de la psychanalyse freudienne qui reste fondamentale et inégalée. Son opinion, alors favorable à l’expansion de la découverte freudienne, met tout de suite le doigt sur la question du rapport entre le concret et l’abstrait. Il met en avant le projet d’une « psychologie concrète », et pense que la psychanalyse freudienne, porte une « inspiration nouvelle, contraire à celle de la psychologie classique » : la psychologie abstraite est la psychologie classique, et la psychologie concrète peut naître avec la psychanalyse. Il y a un mouvement pour lui fécond qui naît avec la psychanalyse.

Il est critique de Freud dès cette étape « Il se trouve cependant que cette psychologie concrète, issue de la psychanalyse, doit commencer par se retourner contre cette dernière et servir de principe à une critique interne : nous avons dû, en effet, constater chez Freud, surtout au moment de l’élaboration théorique des faits, un franc retour à l’abstraction ». Il ne valide pas l’inconscient freudien comme concept, indiquant dès la Traumdeutung en 1900 : « les démarches classiques seules permettent de donner un sens à l’inconscient. Nous avons retrouvé ainsi à l’intérieur même de la psychanalyse l’opposition entre la psychologie concrète et la psychologie abstraite »

A partir de 1933 avec l’accession au pouvoir d’Hitler et la catastrophe concrète qui menace l’humanité, sa critique va vers l’essentiel, pointant certaines impasses réactionnaires de l’invention freudienne. Cela concerne notamment le rôle de l’abstraction spéculative dans l’analyse sociale. Il écrit ainsi en novembre 1933 dans l’article « Psychanalyse et Marxisme, Un faux contre-révolutionnaire, Le ‘’Freudo-Marxisme’’ », que « le ‘’principe du plaisir’’ et le ‘’principe de réalité’’ sont des abstractions qu’on voudrait mettre sur le même plan que les principes fondamentaux des sciences (…) Or il ne suffit pas de se faire battre entre eux des principes abstraits pour être un dialecticien ». Cette dernière phrase est un repère très important pour aujourd’hui tant dans l’analyse de l’individuel que celle du collectif. Cela concerne l’utilisation la plus courante des concepts tels que le ça, le moi, le surmoi, le symbolique, l’imaginaire et le réel, la libido ou le signifiant. Clairvoyant il note que dans la sociologie psychanalytique, la lutte des classes est ramenée à un conflit idéal des instances psychanalytiques, « (…) les psychanalystes ont ramenés les conflits et les luttes réels à des conflits n’existant que dans leur tête »

Bâtie sur une métaphysique dépassée, la doctrine freudienne n’a pas rencontré la richesse de la dialectique forgée par Marx pour échapper à cette religion de l’homme abstrait. Etrangère à Freud, qui en est resté à Feuerbach, l’oeuvre de Marx a par contre marqué Lacan et, via ce dernier, certains lacaniens. Pour autant en ce qui concerne la question de l’abstraction spéculative Lacan ne dépasse pas Freud. Lacan certes ne fait pas sien l’inconscient abyssal des profondeurs qui caractérise Freud et qui a alimenté selon Politzer les thèmes nazis, mais il favorise une autre abstraction, structuraliste celle-là, l’inconscient structuré comme un langage. Là encore « il ne suffit pas de se faire battre entre eux des principes abstraits pour être un dialecticien ». Mais c’est avec le concept de phallus que la transmission de Freud à Lacan sera la plus claire et préjudiciable. L’abstraction spéculative de 1923 énoncée par Freud « (…) pour les deux sexes, un seul organe génital, l’organe mâle, joue un rôle. Il n’existe donc pas un primat génital, mais son primat du phallus » se redouble en 1927 dans l’article « Le fétichisme », où le fétiche est défini comme le substitut du phallus de la mère…. Cela sera transposé en 1958 par Lacan sur sa théorie explicative de ce qu’on appelle encore aujourd’hui la psychose par la célèbre formule concernant le Président Schreber « Faute de pouvoir être le Phallus qui manque à la mère, il deviendra La Femme qui manque aux hommes », ce qui deviendra paradigmatique pour toute psychose et aussi pour toute transidentité. Certains lacaniens vont même jusqu’à placer ce qu’ils continuent d’appeler le transsexualisme comme base de toute psychose ! Quant à ceux qui s’ouvrent enfin à la question sans ces repères du maître, ils font l’éloge de la philosophie de la vacuité, effet sans doute inconscient de la disparition du concept de phallus comme repère dans la religion psychanalytique. Judith Butler a ironiquement qualifié les psychanalystes de « disciples du phallus », belle définition de la religion de l’abstraction.

Pour la psychanalyse sociale, il s’agit de prendre comme outil Marx qui voit dans le développement du capitalisme la raison du primat de l’abstraction dans la vie que nous vivons tous les jours, dans nos rapports sociaux. Cela s’explique très bien à travers la simple fonction sociale de l’argent. Lacan n’a pas saisi le renversement essentiel fait par Marx de la dialectique hégélienne en restant, ainsi que l’indique Slavoj Zizek, hégélien jusqu’à la fin. Dans la postface à la deuxième édition allemande du Capital, Marx clarifie son rapport à la dialectique hégélienne : « Ma méthode dialectique diffère de la méthode hégélienne non seulement par la base qui est la sienne mais elle en est l’exact opposé. Pour Hegel, le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la transmission et la traduction du mouvement réel dans la tête des hommes ». Cela est à mettre en correspondance avec nos formules : « il y a un transfert de la problématique du social dans le mental » ou encore « Il n’y a pas de maladie mentale mais un transfert du conflit social dans le mental »

La lecture de « l’Introduction à la critique de l’économie politique » en 1857 nous permet de revenir sur la vraie vie et son concret signalé par Politzer comme problème crucial à résoudre pour la psychanalyse. Le concret est contrairement aux apparences complexe et Marx fait la différence entre « le concret de pensée » et « le concret réel ». L’hégélianisme s’enferme dans le mysticisme logique des catégories abstraites et confondant sa pensée du réel avec le réel, fait de ce réel le « produit du concept qui s’engendre lui-même » Dès 1843 dans « Critique du droit politique hégélien », Marx met en valeur contre une méthode qui « polémique avec son objet », la critique qui ne se contente pas de montrer les contradictions mais a pour fonction de les expliquer. Ces poussées contraires nous les avons travaillées en psychanalyse sociale dans le nouage de valeurs de jouissance « mots-images-sensation de corps - privation » qui permet de faire fonctionner une logique individuelle et collective loin de la mystification conservatrice hégéliano-lacanienne qui fait toujours retour à l’Un comme concept, soit le déni qui recouvre les contradictions. C’est avec cette base que nous nous séparons de l’abstraction psychanalytique spéculative qui règne de façon dominante en son champ, détachée des contradictions de la vie réelle, de la vie sociale. C’est sans doute cette caractéristique fondamentale qui a poussé au moins une école de psychanalyse lors des élections de 2017 à faire jouer ses ténors et quelques autres sur la partition : il y a un parti de la haine ! Prendre la haine comme boussole rate ce qui fait le moteur du capitalisme pourrissant et le transfert meurtrier qui l’accompagne. Nous aurons occasion de revenir sur ces points dans les prochains articles critiques sur la religion transcendantale du semblant.

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