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Critique de la religion psychanalytique classique : le transfert de l’homme religieux


©André Masson


Les Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale ont pour base la vie sociale et ce qui se transfère du social dans le mental, ce qui les distingue donc de la base freudienne ou lacanienne. J’ai comme but dans une série de courts articles que j’ai appelé « Critique de la religion psychanalytique classique » d’examiner ce qui fait religion en psychanalyse classique, freudienne ou lacanienne. Il ne s’agit pas uniquement de critiquer l’analyse de la religion faite en psychanalyse classique mais de mettre l’accent sur la transformation de cette psychanalyse classique en religion. Les Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale ont un « en commun » avec la psychanalyse classique deux outils conceptuels: la pratique de transfert et le rapport à l’inconscient. Mais pour l’APPS, la pratique de transfert concerne le transfert social, et l’inconscient, l’inconscient du faire. Nous carburons avec l’outil Marx donc ! Marx est le premier analyste critique du transfert social. Sa base dans son ouvrage scientifique le plus connu, Le Capital, est l’étude des rapports économiques dans la civilisation capitaliste dans l’objectif de bâtir l’étude des rapports sociaux de production qui se fabriquent dans cette civilisation, et donc d’analyser les rapports entre les individus dans un transfert historique donné, dans une société donnée. Il s’agit d’analyser « les relations déterminées dans lesquelles les individus entrent dans le procès de production de leur vie sociale » pour reprendre l’expression des Contributions à l’économie politique (1857). Ma lecture de l’oeuvre de Marx, mise en connexion avec ma pratique psychanalytique et sa théorisation, m’a poussé à écrire dans le premier article consacré à la critique de la religion psychanalytique cette formule que je considère comme centrale : « la critique ne porte pas tant sur le texte que sur le transfert historique qui la produit comme vérité sociale. » Que cela soit pour l’histoire collective ou pour l’histoire individuelle, la critique, et donc l’analyse dans le mental, doivent porter sur le transfert véhiculé par l’immanence de l’histoire et de son récit à condition de considérer que ce transfert historique produit aussi cette critique comme vérité sociale. Cette prise dialectique dans le ternaire « transfert - critique - vérité sociale » permet de sortir du religieux et du primat de l’interprétation d’un texte. Il s’agit de partir des conditions transférentielles de l’histoire personnelle et non d’un transfert à partir d’un texte psychanalytique pré-établi, transfert religieux d’un texte vers un autre texte qui serait porté par la personne à son insu. Cette théorie religieuse du texte qui interprète l’homme qui porterait un texte à son insu peut faire des ravages meurtriers. Ainsi à la théorie abstraite de la forclusion du Nom du Père s’associe le texte qui recherche le supposé « phénomène élémentaire » de la dite psychose. A la question sur les différences de genre que porte la transidentité s’associe la persécution du texte écrit par Lacan qui la définit comme psychotique en raccordant la vie humaine à des conceptions psychiatrique hygiénistes du XIXème siècle. Le pompon allant à ceux qui définissent ce qu’ils appellent le transsexualisme comme la base structurelle de toute psychose ! Et il convient donc dans ces contextes de répondre à l’impératif d’aller chercher ce texte présupposé dans le discours des personnes concernées à la manière d’une enquête criminelle, le crime étant instruit avant l’enquête. Cette prison de la pensée semble se libérer parfois de ces dogmes religieux mais cela se fait au prix d’un éloge de la vacuité philosophique qui se résout toujours après délibération masturbatoire sur le primat du symptôme alors que la psychanalyse sociale repose sur le transfert historique et social, le mouvement contradictoire et non l’état psycho-pathologique. Pourtant ce courant classique se dit humaniste, soucieux de privilégier l’être de langage que serait l’humain. C’est dans ce registre que Marx sert de boussole. Le renversement qu’il produit par rapport à Hegel est certes essentiel, mais le renversement qu’il met en pratique par rapport à Ludwig Feuerbach est encore plus actuel. Feuerbach est le premier philosophe à avoir renversé Hegel, et Marx suit d’abord sa logique avant de rompre avec cette dernière en 1845. Il marque cette rupture dans les thèses « Ad Feuerbach » et dans « l’Idéologie allemande ». Dans cet ouvrage, il écrit : « Dans la mesure où il est matérialiste, Feuerbach ne fait jamais intervenir l’histoire, et dans la mesure où il fait entrer l’histoire en ligne de compte, il n’est pas matérialiste. Chez lui, histoire et matérialisme sont complètement séparés. » Feuerbach, peu lu aujourd’hui, est tout à fait dans le style des réflexions intellectuelles contemporaines qui correspondent à la posture du « contemporain philosophique du présent » décrit dans mon premier article. Qu’écrit-il en effet dans ses « Manifestes philosophiques » ? « L’essence de l’homme n’est contenu que dans la communauté, dans l’unité de l’homme avec l’homme, unité qui ne repose que sur la réalité de la distinction du moi et du toi ». Marx répliquera dans sa 6ème thèse : « Feuerbach résout l’essence religieuse en l’essence humaine. Mais l’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu pris à part. Dans sa réalité , c’est l’ensemble des rapports sociaux. Feuerbach, qui n’entreprend pas la critique de cette essence réelle, est par suite contraint de : de faire abstraction du cours historique et de fixer le le sentiment religieux comme un en -soi, en présupposant un individu humain abstrait - isolé. L‘essence ne peut dès lors être saisie que comme « genre », universalité interne, muette, lien naturel entre les multiple individus. » Le transfert historique de cette période qui va de Hegel à Marx concerne la fonction historique du christianisme en Allemagne, la fonction sociale et politique de Dieu, le travail du théologien David Friedrich Straus qui publie en 1835 la « Vie de Jésus », celui de Ludwig Feuerbach et son « Essence du christianisme » en 1841 en témoignent. Ce travail transférentiel des contradictions sociales à partir du christianisme va permettre à Marx de sortir de la philosophie en 1845-46 avec « l’Idéologie allemande » et « La Sainte-Famille ». Feuerbach a créé ce qu’Engels appellera à son propos une « religion de l’homme ». Freud restera dans une critique de la religion tributaire de la tradition philosophique des Lumières et plus particulièrement dans le destin de la philosophie de Feuerbach. Dans sa lettre à Silberstein le 7 mars1875 , Freud écrit à propos de ce dernier : « Il est de tous les philosophes celui que je révère et admire le plus ». Quant à Lacan il fera étrangement son retour à Freud en partant de Hegel et restera hégélien jusqu’à la fin. La critique faite à Lacan par Althusser sur le fait qu’il aurait produit une philosophie de la psychanalyse est fort juste. La critique faite par Marx à Feuerbach de « faire abstraction du cours historique et de fixer le sentiment religieux comme un en -soi, en présupposant un individu humain abstrait - isolé. » est tout à fait adapté aux théories de la psychanalyse classique. Il s’agit donc pour nous de partir de son envers. Marx ne part pas du concept d’homme - fut-il ramené à un jeu de représentations signifiantes - mais du primat du fait historique. « Ma méthode analytique ne part pas de l’homme mais de la période sociale économiquement donnée » écrit-il dans ses « Notes marginales sur le traité d’économie politique » d’Adolph Wagner en 1880. Nous poursuivrons dans cette orientation-là du transfert social.

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