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Passion poétique en forme d’enfant



Il n’y a pas de maladie mentale mais un pâtir humain dans le social qui fait question dans notre mental à l’insu de ce dernier. Telle est la maxime que je propose de mettre au travail aujourd’hui dans le monde psychiatrique, psychanalytique et plus radicalement humain. Je pense par expérience de rencontres humaines que ce pâtir humain naît dans l’enfance la plus précoce. Même si l’infans ne parle pas il témoigne d’un pâtir et donc d’une passion. Passion vient du verbe Pati qui veut dire « souffrir ». Quel est le destin de cet infans ? Nul ne peut le savoir, car il n’y a jamais de philosophie de l’histoire. Ce qui peut être su dans l’expérience humaine est que l’infans bouleverse la rationalisation mentale, bouleverse un ordre établi dans les rapports du couple, de la famille, de la crèche, de l’école. L’in-fans est celui qui ne parle pas et ce fait lui donne une puissance énorme et donc aussi l’envers de cette dernière, la menace : menace pour l’ordre du couple, de la famille, menace qui se renverse aussi bien dans la crainte fantasmée de sa mort, de son meurtre. J’ai appris très tôt comme tout être humain que croire que la pratique de la parole seule résoudrait les conflits serait illusoire. L’acte, l’action, le « faire » prédominent. Cet infans nous apprend que son corps pulsionnel prend le dessus dans son monde, puis que sa forme-image reconnue dans le miroir du semblable libère sa poésie d’en dire quelque chose. Cela est une expérience fondamentale pour celui qui devient enfant. Les trous du corps par où passent l’air, la bouffe, la merde, la pisse, le bruit, la voix trouvent une autre socialisation, une rationalisation. Le fait social du dire s’est noué aux sensations de corps via l’image et c’est par sa relation à son semblable que l’enfant se réfère à lui-même en tant qu’enfant. Et c’est ainsi que se développe son potentiel poétique. La poésie est création, fabrication dont le fondement passe par la voix, dire par la voix. Et c’est à cet endroit que la passion démarre. Dans la passion nous sommes dans un rapport au bouleversement, au déboussolement. La passion retourne, renverse. Le fait de subir, de souffrir, d’éprouver transforme la passivité en activité. « Le pâtir humain - compris humainement - est une jouissance de soi de l’homme » indique Marx dans ses Manuscrits Parisiens en 1844. Les rapports au regard, à l’image et à la voix s’enflamment. L’objet sonore devient musical, l’objet scopique se transforme en photographie, le geste corporel devient pictural. La passion bouscule la prison des rationalisations, elle pousse à « donner à la raison des ailes vagabondes » pour reprendre le vers de Paul Eluard. Cela n’est pas toléré aisément et cette intolérance commence par la façon de rejeter la poésie qui fait naître l’enfant à la passion. Cette poésie infantile est fabuleuse, émerveillement, découverte, invention et je la retrouve aussi enfouie dans ce qui est simple blocage parfois du potentiel en souffrance d’un enfant et qui pourrait prendre l’allure d’une catégorie mentale, une maladie mentale selon l’ordre patriarcal qui nous gouverne. Cette poésie de l’enfant est constitutive d’un rapport au savoir et là est le point dramatique de l’humanité d’aujourd’hui. Le développement des savoirs humains en cette fin de quart de siècle permet d’imaginer des possibilités infinies de créations, de développements des puissances humaines afin de satisfaire les besoins et désirs humains dans le cadre d’une éthique collective. Cependant les besoins vitaux vont-ils être satisfaits si la planète Terre se consume, si les logiques de meurtre de masse se poursuivent, sous des formes diverses, au nom du Sacro-Saint profit et de Sa Majesté propriété privée? Le problème devient crucial pour tout le monde vivant ; le désastre est-il trop éclatant qu’il aveugle à ce point l’oeil, le silence mortifié rend-il sourde l’oreille ? Il s’agit de faire une révolution qui change de base sociale totalement, sous peine de meurtre total. Revenons à la poésie de l’enfant qui est fabrique d’un savoir nouveau, d’un mode d’être nouveau. Il y a un abime entre ce que pourrait être la vie d’un enfant libre et celle qui lui est imposée très tôt aujourd’hui, ce passage obligé dans la moulinette des répressions utilitaristes ; écoutons les balbutiements poétiques de l’enfant qui découvre et vit socialement ses inventions. Il ne s’agit pas pour moi de prendre cette poésie de l’enfant comme une vison idéaliste du monde, comme une vision utopique d’un monde idyllique de l’enfance. Au contraire j’insiste pour signifier que son moment poétique est émergence d’un nouveau rapport social pour lui et les autres qui l’environnent et que cela doit produire un droit à la diversité. J’entends cette poésie de l’enfant comme le psychiatre Lucien Bonnafé l’écrivait dans des années où la transformation du monde pouvait paraître proche en 1977. Soulignant l’écart impressionnant qu’il y avait entre l’expression des capacités qu’a le peuple de soigner sa vie et ce qu’elle pourrait être, il écrit : « Pour évaluer cet écart, il est nécessaire et suffisant de regarder et d’entendre celui que notre société voue à un destin de POETE ASSASSINE, l’enfant » Pourquoi le poète qui est dans chaque enfant est-il tué ? La réponse est dans sa solution : la révolution nécessaire des rapports sociaux que nous produisons. Eluard le signale à sa façon : « L’on peut espérer que l’oeuvre poétique elle-même trouvera sa solution par la résolution des problèmes sociaux. L’effort des poètes ne tendra bientôt plus qu’à libérer le images, à assouplir le formes esclaves de l’esprit limité des maîtres. Le temps viendra où l’intelligence humaine entière s’éveillera (…) Tous les hommes retrouveront la pratique d’un langage spontané, facile, le don de création » Créons les conditions de puissance sociale qui permettront de faire poétique notre quotidien et faire ainsi révolution concrète. Créons les conditions de puissance sociale pour faire vivre le poète qui est dans chaque enfant.

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