ARTAUD LE MOT-MOT ET LES SUICIDÉS DE LA SOCIÉTÉ
« Tout vrai langage est incompréhensible » écrit Antonin Artaud en 1947 dans « Ci-gît » battant en brèche le sens commun qui se répand sous les plumes les plus diverses des théories « psycholo-gîsantes » de la communication humaine. La logique des masques humains n’est pas de l’ordre de la compréhension. Nous ne pouvons saisir la signification des mots ensemble ni saisir les pensées ensemble hormis dans l’illusion produite par l’état amoureux. Tout vrai langage est incompréhensible et ce « pas de sens » est le pivot d’une psychanalyse humaine qui ne soit pas ordonnée, comme elle l’est aujourd’hui dans ses courants dominants, par les « psychopathes-aux-logues » qu’Antonin Artaud a dû fréquenter d’une façon impérativement ordonnée par une société fondée sur le principe d’une faute morale. Artaud ne passe pas sa vie à comprendre mais à vivre et créer « Je n’ai jamais rien étudié mais tout vécu et cela m’a appris quelque chose » écrivait-il encore. L’expérience de transfert entre humains, le transfert social, est à notre insu, aussi bien le moteur de notre vie créatrice que son obstacle. Il y a un certain nombre d’humains qui passent leur temps à observer des mots prononcés par d’autres humains. Le mot pris comme objet ne coïncide pas avec le mot du locuteur et ce trou entre les mots peut meurtrir du fait même que dans l’interstice troué entre les mots se fonde la possibilité pour un mot de mourir, qu’un mot ne fonctionne plus pour un autre mot dans son nouage au corps et à l’image. C’est précisément cela qui fonde la fonction du masque social et ce que nous transmet Artaud dans « Van Gogh le suicidé de la société ». Il nous avait auparavant indiqué une piste révolutionnaire dans la fonction du Théâtre : la transformation du corps et de son image sur scène, ce qui a pour implication de transformer ces corps et ces images dans leurs rapports aux mots, aux rapports sociaux, transformer la vie et abolir un ordre social fondé sur la faute morale.
Hervé Hubert