L’accueil des questions transidentitaires au CPMS (Elan Retrouvé)
©Fernand Leger
La prise en compte de la question portée par les personnes transidentitaires a débuté au CPMS en 2010 avec le soutien actif de la Direction de l’Elan Retrouvé, Directeur Général et Directeur-Médical.
Cette question qui porte sur l’identité humaine était à l’époque moins médiatique et le système d’accompagnement psychiatrique et psychologique restait de façon dominante en France marqué par la conception psychiatrique et psychanalytique d’une psychose transsexuelle.
Ce préjugé psychiatrique avait beaucoup de conséquences pour la personne trans : un long parcours psychiatrisé avant de débuter un traitement hormonal, généralement d’une durée de deux ans. Il était également peu envisageable d’exclure une intervention chirurgicale dans le processus médical, c’est-à-dire une stérilisation des personnes.
Un travail conséquent de recherche scientifique, deux thèses universitaires en 2003 et 2006, sur ce qui était alors appelé transsexualisme, m’ont permis de sortir de la logique qui psychiatrisait et pathologisait une problématique d’identité sociale.
Ce travail n’aurait pu trouver sa pertinence sans les rencontres avec les personnes trans et les associations trans. Ces rencontres régulières sont toujours essentielles aujourd’hui pour saisir les évolutions dans les rapports sociaux sur cette question humaine : la transidentité n’est pas une maladie mais une question sociale.La première personne que j’avais rencontrée en 1995, Homme vers Femme, avait un talent pédagogique hors pair pour faire saisir le pousse vers la vie, et donc l’enjeu vital, qui se manifestent dans le besoin de changer de genre dans la société et éventuellement d’attribut génital. Ce que j’ai alors appris et qui devint ma boussole dans la pratique ainsi que le point central de ma thèse théorique, consistait à entendre l’importance cruciale de la valeur de la nomination, de l’image, et du ressenti corporel pour le personnes transidentitaires. Cette personne m’a transmis que pour elle, avoir l’image et la forme d’une fille dans l’enfance précoce s’était connecté avec une sensation de corps lorsque jeune garçon, il a enfilé des bas de fille. Il ne s’agissait pas d’une excitation sexuelle mais d’un ressenti correspondant à l’essence réelle de son être. Selon ses termes « son corps qu’il avait en partie ignoré jusqu’alors prenait un véritable sens, une valeur supplémentaire de bien-être ». Son identité de genre féminin avait pris corps. Cette identité réelle faisait lien avec l’histoire de son image. Il convenait qu’elle soit reconnue par les autres, qu’elle puisse faire rapport social par le fait d’être nommée fille, sous peine de mort.
Ce dernier point m’a fourni le repère essentiel dans l’accueil d’une personne trans : la nommer dans le genre dans lequel elle se reconnait. Cela n’a rien à voir avec une attitude compassionnelle comme certains l’avancent encore, ou d’une technique transférentielle pour obtenir « un bon transfert ». Cela est simplement la reconnaissance de ce qui fait valeur de vie pour un être humain, sa valeur qui correspond à son vécu personnel.
Cette orientation a guidé la politique de soins mise en place : ne pas perdre de temps dans des protocoles qui ne correspondaient d’aucune manière aux besoins des personnes. Je citerai le médecin et philosophe Georges Canguilhem : « Par une altération lente du sens de ses objectifs, la médecine, de réponse à un appel qu’elle était primitivement, est devenue obéissance à une exigence. Ainsi, la médecine qui est primitivement réponse à un appel émanant d’une personne singulière s’est trouvée déviée par ce qui est devenu obéissance à l’exigence des normes et des protocoles »
Il s’agit bien avec la transidentité d’une question posée à un ordre moral et à une norme sociale et le constat que la fonction de ces normes et protocoles ne prend pas en compte l’appel des personnes concernées.
Cet appel concerne la douleur de vivre dans un corps désaccordé dans son ressenti et sa forme. Cela concerne dans le rapport social, le miroir : la valeur dans le miroir qui est toujours valeur par rapports aux autres, valeur d’échange, ainsi que Marx le démontre dans son oeuvre maitresse, Le Capital, Livre I, Section I.
Il s’agit d’une valeur d’être au monde et telle est la signification de l’attestation que je délivre pour débuter un parcours de transition.
J’ai appris qu’à un moment dans la vie d’une personne transgenre, se produit un temps logique : il n’y a pas de sens à continuer une vie sociale dans le genre déterminé par les conventions sociales. Cela fait temps d’affirmation logique pour la personne et amorce le temps de transition sociale. Voilà donc ce dont je peux témoigner en délivrant une attestation indispensable dans le système d’aujourd’hui.
Dans ma pratique outre ce point d’attestation-témoignage, ma fonction de psychiatre-psychanalyste consiste à travailler avec la personne qui me consulte à partir de l’appel qu’elle formule.
Certains veulent s’assurer de leur détermination, d’autres viennent du fait de la difficulté à vivre socialement, et le premier groupe social est la famille. Dans ce contexte la problématique des jeunes transgenres, notamment mineurs, est déterminante dans la forme de découvertes de nouveaux savoirs pour les parents, les jeunes et moi-même. La manière de prendre la question de la transition dans le cadre plus tardif de la constitution d’une famille est également riche d’enseignement sur les nouvelles parentalités : être père de jeunes enfants et entamer une transition de féminisation, ou être mère de jeunes enfants et se masculiniser.
De même les parcours de transition sociale dans les milieux professionnels pour jeunes et moins jeunes peuvent donner forme à de nouveaux savoirs concernant les rapports sociaux et la fonction du travail.
Ces nouvelles formes de savoir sont tributaires d’un travail éthique sur ce qui est produit par la transformation et notamment sur un effort de formulation des questions qui se posent sur le « que faire ? » de façon très concrète et cruciale.
A ce sujet je ferai la remarque suivante : étymologiquement le mot Diagnostic renvoie à un partage de savoirs. Outre le partage, ce savoir peut être construit en commun, telle est la fonction possible du travail dans une rencontre avec un psychiatre, un psychologue ou un psychanalyste au CPMS. Le diagnostic glisse vers l’analyse des rapports sociaux, et permet de formuler des pistes pour l’établissement d’une médecine nouvelle, partant d’une autre base.
Ainsi depuis le début du travail en 2010, la mise en place de séminaires de formation sur la transidentité et la psychanalyse sociale a élargi la donne tant la question est paradigmatique des problèmes humains.
Cette approche novatrice a été renforcée par la promulgation de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, par son article 56 II, a ajouté au Code Civil les articles 61-5 à 61-8, créant une nouvelle section « De la modification de la mention du sexe à l’état-civil ». Cela est d’une importance considérable au regard du Droit antérieur pour les personnes portant la question transgenre, facilitant les démarches de changement d’état-civil.
Même si cela est bien en-deçà des lois argentine ( 2012), danoise (2014), maltaise (2015), irlandaise (2015) ou norvégienne (2016) qui fondent le changement de la mention du sexe sur l’autodétermination de la personne, il n’en est pas moins qu’une brèche s’est produite dans le principe prétendu indéboulonnable de l’indisponibilité de l’état des personnes. J’ai analysé dans le webmagazine Marximum les effets de cette révolution législative abolissant le principe transcendantal et meurtrier d’indisponibilité de la personne ( 2 ).
Le fait de pouvoir changer de prénom en mairie sur simples témoignages sociaux, la possibilité de ne pas avoir recours à des documents médicaux ou chirurgicaux pour changer d’état-civil améliore grandement le dispositif antérieur. Le principe de passer devant un tribunal, un juge, est à juste titre dénoncé comme une judiciarisation d’une identité sociale de genre. Le fait que la décision soit rendue avec des critères renvoyant parfois à un ordre moral s’associe à des rendus de jugement fort différents suivant le tribunaux est également préjudiciable. Il n’en reste pas moins que dans le concret, cette nouvelle législation en termine avec l’atteinte à la vie privée des personnes qui avait valu à la France d’être condamnée par la cour Européenne des Droits de l’Homme en 1992.
Elle permet d’abolir sur une base légale l’ancien ordre de prise en charge médicale bâti sur une pathologisation d’un phénomène social.
Elle permet de prendre en compte les besoins réels des personnes, la possibilité d’aller à leur rythme dans une transition où la réassignation sexuelle chirurgicale et la stérilisation ne font plus obligation.
Cela correspond à l’orientation psychiatrique et psychanalytique que nous avions mis en place en 2010 au moment même où le ministère de la Santé avait retiré la transidentité des Affections Longue Durée des maladies psychiatriques.
La transidentité met clairement en évidence la base sociale de la douleur dans le mental.
Face à l’aberration du concept de « psychose transsexuelle », si le mot « transsexuel » a été le signe de la nécessité d’un autre abord social, médical et psychanalytique de la transidentité, reste au mot « psychose » d’éclater dans son aberration stigmatisante et discriminatoire.
Un concept est aussi fait pour mourir indiquait Bachelard.
Hervé Hubert, Psychiatre, Psychanalyste,
Chef de service du CPMS
Article publié sur le site de la Fondation Elan Retrouvé à l’occasion des 70 ans de la Fondation
(1) Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016
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