“Critique des fondements de la psychologie” Georges Politzer, 1928
Georges Politzer (1903-1942) était un philosophe et militant communiste français. Il a notamment contribué à la diffusion de la pensée marxiste en France et a été l'un des membres influents du Parti Communiste Français.
Voici quelques-uns de ses ouvrages principaux :
"Critique des fondements de la psychologie" (1928)
"Principes élémentaires de philosophie" (1946)
Georges Politzer est une figure marquante de la pensée intellectuelle du 20e siècle et incarne une forme d'engagement total envers ses idéaux philosophiques et politiques. Il expose de manière claire et rigoureuse les principes du matérialisme dialectique. Professeur agrégé de philosophie, Politzer a su démystifier les concepts philosophiques complexes et rendre la théorie marxiste accessible à un large public, notamment à travers ses cours dispensés à l’université ouvrière de Paris. C’était donc un homme d'action, un militant infatigable de la cause communiste. Membre actif du Parti Communiste Français, il a lutté sans relâche pour la justice sociale, la solidarité ouvrière et la liberté intellectuelle. Son engagement politique s'est cristallisé dans ses activités au sein de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement, arrêté en 1942, Politzer est emprisonné puis exécuté par les occupants allemands. Sa mort tragique a privé le monde d'un esprit brillant, d'un intellectuel engagé dont la pensée continue de résonner dans les luttes pour la justice et la dignité humaine.
Aujourd'hui, l'héritage de Georges Politzer demeure une source d'inspiration pour ceux qui aspirent à un monde plus juste et équitable.
Analyse de l’ouvrage : chronologiquement
Avant de passer à l'analyse du livre et des concepts de Georges Politzer, il convient de noter que ce livre est paru en 1928 et que par conséquent la psychologie qu’il critique n'a qu’une cinquantaine d’années à ce moment-là. Ainsi il base son écrit sur l'étude de “l'interprétation des rêves (Traumdeutung) de Freud paru en 1900. Cet ouvrage marque le début de l'élaboration de la théorie psychanalytique par Freud. Il faut donc rappeler que la psychologie comme la psychanalyse ont connu beaucoup d'avancées majeures depuis un siècle.
Dans l'avant-propos de la Critique des fondements de la psychologie, Georges Politzer rappelle que la liste des psychologies qu'il critique et discute est non exhaustive, ce qui permet de nuancer son propos.
Dans l'introduction, sa critique est centrée sur le fait que les psychologues attendent les “avancées scientifiques qui viendraient confirmer leur théorie". Les psychologues fondent donc, pour Politzer, leurs approches sur des illusions et sur une attente presque messianique de données nouvelles qui viendrait confirmer leur raisonnement. Pour Politzer, cet attentisme ne peut pas constituer une psychologie réellement scientifique. Selon lui les mathématiques et la physique sont des sciences, mais la psychologie relève plus de la magie. Il critique, vivement Kant qui aurait dû détruire la psychologie idéaliste et l'orienter vers le concret vers une psychologie concrète (p. 13).
Il décrit les trois tendances au sein de la psychologie de son époque:
La psychanalyse qui donne selon lui une vision claire des erreurs de la psychologie classique
Le béhaviorisme de Watson qu'il dit être construit dans le but d'être plus objectif en opposition à la psychologie classique.
La gestalt théorie
1- Le premier chapitre s'intitule “Les Découvertes psychologiques dans la psychanalyse et l'orientation vers le concret”
Dans ce chapitre, Georges Politzer va comparer entre eux les divers courants psychologiques :
La psychologie classique
La psychologie expérimentale
La psychologie philosophique
La psychologie béhavioriste
La psychologie physiologique
La psychologie introspective classique
La psychologie relationnelle
La psychologie institutionnelle
Il dénonce également, dans ce chapitre, “la méthode de la troisième personne" (le recours à la notion de "Moi" en lieu d'utiliser le "Je"). Ainsi il critique le système topique freudien qu'il décrit comme “un centre fonctionnel hors du Je”. Selon Politzer, la psychologie doit être une "méthode de la première personne" – la méthode du “Je”. Il critique la tendance de la psychologie à diviser l'humain en facultés abstraites (mémoire, émotions, pensée) au lieu de le prendre à son niveau le plus concret: celui d'un "je" qui fait le récit de son existence.
Il s'attarde ensuite longuement sur la théorie des rêves de Freud. Dans cette perspective, il précise que la psychanalyse de Freud est plus concrète que les autres approches car elle est centrée sur la personne et ses désirs. Selon Freud le rêve est la réalisation d'un désir inconscient. L'interprétation psychanalytique des rêves est fondée sur la vie quotidienne de la personne, son histoire. La psychanalyse prend en compte le vécu. La vie concrète. Cependant, Politzer cherche à aller plus loin et à prendre au sérieux ce que les personnes disent d'elles-mêmes, sans forcément se référer à une signification inconsciente de leurs propos dont seul le psychanalyse aurait la clé.
Pour se faire, il forge la notion de drame humain. Cette conception du drame ne doit pas être comprise dans un sens romantique, mais à un niveau très concret: Le drame humain est éclairé par le récit de la personne, ce récit est significatif ce qui lui permet d’éclairer le drame.
2- Le second chapitre s'intitule “l'introspection classique et la méthode psychanalytique”
Dans ce chapitre, Politzer critique la méthode introspective utilisée dans l'analyse des rêves: “l'introspection ne saurait être la méthode d'une psychologie concrète” (p.78). Pour lui, c'est la méthode du récit qui doit être utilisée: le langage est une intention spécifique et compréhensive. Le déclaratif double le discours il y a une expression et un exprimé : la signification de l'idée et la signification du mot. Or, contrairement à la psychanalyse qui s'attarde beaucoup sur la signification du mot, Politzer pense que c'est l'idée en elle-même qu'il faut s'arrêter car elle porte quelque chose de nouveau, une manière de "penser le mot". C'est à cet instrument de signification qu'il faut s'intéresser.
3- Le troisième chapitre s'intitule “La charpente théorique de la psychanalyse et les survivances de l'abstraction”
Dans ce chapitre, Politzer reprend l'exploration et l'analyse de la Traumdeutung où Freud indique que le rêve est l'accomplissement d'un désir de nature infantile se rapportant donc à l'enfance dans la période archaïque du développement humain. Pour Freud, les rêves sont construits autour d'un travail de déplacement ou de déguisement des significations et du signifié.
Politzer rappelle que ses notions découlent de l'expérience de l'individu et non pas d'une expérience universelle. Pour éviter de tomber dans les abstractions, il est nécessaire de partir de la vie singulière de l'individu.
La distinction freudienne entre le manifeste et le latent mène à l'hypothèse de l'inconscient. L'inconscient renfermerait “les choses que le sujet ignore de lui-même”. Le déguisement ou le déplacement est ce qui censure l'entrée du contenu latent dans la conscience.
Politzer reste sceptique face à cette théorie. Il précise qu’il ne considère pas la conscience comme l’opposé de l'inconscient. Certes, la conscience et donc la connaissance qu'a un individu du monde extérieur est sélective, elle déformée par le prisme de la subjectivité et reste incomplète, cependant, elle est aussi le lieu de la responsabilité : "le sujet se sent responsable du contenu de sa conscience : tout fait psychologique conscient est un acte dont le sujet doit accepter la responsabilité".
Ainsi la conscience selon Politzer n'est rien d'autre qu'une forme de l'expérience: c'est essentiellement un acte de reconnaissance, de responsabilité voire d'identification.
Dans la conclusion, Politzer précise que la notion d'identification développée par Freud est un acte concret car réalisée par le “je”, par le sujet à la première personne et donc liée à la vie dramatique et singulière de l'individu.
Donc rêver est un acte psychique concret : “dans le rêve une pensée donc un désir est objectivé puis mis en scène et vécu par l'individu”. Là où Freud parle de régression dans le rêve, Politzer y voit un acte dramatique.
Freud s'exprime dans un langage qui fait disparaître le concret, il ne fait que donner des noms à des phénomènes inexplicables et qui reste inexpliqué.
❖ ABSTRAIT : Considéré par abstraction, à part des objets, de ce qu'on perçoit.❖ CONCRET : Qui est directement perceptible par les sens ou imaginé ; qui correspond à un élément de la réalité.
4- Le chapitre 4 s'intitule “L'hypothèse de l'inconscient et la psychologie concrète”
Comme nous l'avons vu juste avant et depuis la fin du 19e siècle, l'hypothèse de l'inconscient est considérée comme une victoire pour la psychologie. Or la psychologie concrète telle que Politzer la conçoit condamne cette hypothèse de l'inconscient – de par son caractère abstrait – mais il précise que cela ne signifie pas le retour à “l'affirmation de l'exclusivité de la conscience” tel que c'était le cas dans la psychologie classique. La psychologie concrète se situe donc dans cette entre deux un peu difficile à définir entre le primat de la conscience et l'acceptation de l'inconscient comme frontière.
Le manifeste et le latent : il y a néanmoins dans le discours de tout un chacun un décalage entre ce que la personne dit savoir et ce que la personne sait réellement. Politzer parle de savoir avoué ou et de savoir apparent qui n'est qu'en réalité qu'un fragment du savoir véritable, du savoir réel. Il dit que le sujet sait plus que ce qu'il sait savoir. C'est le cas dans le rêve : au début nous ne connaissons pas trop le sens du rêve mais il sous-tend un savoir latent différent du récit manifeste du rêve. Ainsi le contenu manifeste est symbolique, il doit être déchiffré en signe adéquat pour l'individu et non en signe faussement universel pour faire comprendre au sujet le contenu latent et ce qui lui échappe. De fait, le décryptage du contenu manifeste acquiert une signification qu'après analyse et cette analyse consiste en la comparaison des deux récits : du récit manifeste et du récit latent. La pensée consciente cache donc une partie de la pensée mais que Politzer ne la définit pas comme une pensée inconsciente.
Afin de bien comprendre son propos, il est nécessaire du lire un passage du livre :
"L'expérience nous montre dès Freud qu'un élément psychique c'est-à-dire une représentation, n'est pas conscient d'une façon durable. Ce qui est plutôt caractéristique, c'est la disparition rapide de la conscience ; la représentation consciente actuelle ne l'est plus l'instant d'après, mais elle peut le devenir de nouveau dans certaines conditions facilement réalisables"
Bien évidemment , on ne peut lire ce texte sans avoir en tête les nouvelles avancées sur les divers types de mémoire et des avancées de la psychologie cognitive avec la mise en évidence de plusieurs systèmes mnésiques comme le la mémoire à court terme, à long terme, la mémoire de travail, etc.
Politzer avance donc que l'ignorance du sens du rêve ainsi que la disponibilité des souvenirs, la disproportion entre l'étendue apparente et l'étendue réelle de la mémoire ne sont donc pas des preuves à proprement dit de l'inconscient. Elles ne permettent pas de rendre tangible et donc concret l’hypothèse de l’inconscient.
C'est le refoulé qui est le modèle de l'inconscient, cet inconscient vivant, agissant c'est un inconscient dynamique : de par les résistances et le travail de refoulement. Ce sont les résistances qui refusent l'accès à la conscience: "tout se passe alors comme si le sujet voulait fermer l'entrée de la conscience à une représentation condamnée" donc "la résistance est quelque chose d'improvisé, puisque la condamnation de l'état psychique auquel on résiste et antérieur à l'analyse, attendu qu'elle résulte soit d'un jugement de valeur d'origine sociale, soit d'événements individuels bien antérieur à l'analyse" (p.167). Cette conception, se rapproche de l'idée d'un Surmoi qui apparaîtra dans le “Moi et le ça” en 1923, mais également le concept de transfert social développé par l’APPS. En effet, les valeurs, normes, interdits sociaux vont être transmis à la personne qui peut dans certain contexte en éprouver de la souffrance.
Politzer se pose alors légitimement cette question : comment une représentation en elle-même inconsciente peut-elle avoir des effets considérables ?
Le rêve est le résultat du fonctionnement d'une dialectique individuelle dont le but est de comprendre l'écart entre les faits et le postulat de la pensée du récit.
Pour la psychologie concrète, le fait psychologique originel c'est la vie dramatique de l'homme. La psychologie concrète ne réclame pour la connaissance psychologique aucune structure privilégiée. Nous voyons bien le modèle a-structural proposé par l’APPS basé sur le fait que “la maladie mentale n’existe pas” et que par conséquent le modèle déjà supposément obsolète en structure “névrose-psychose” freudienne n’a pas lieu d’être. Et que le modèle catégoriel du DSM ne permet pas de rendre la psychologie concrète.
5- Le dernier chapitre avant la conclusion s'intitule la “Dualité de l'abstrait et du concret dans la psychanalyse et le problème de la psychologie concrète”
Politzer précise qu'à ses débuts la psychanalyse avait des attitudes concrètes mais que l'interprétation de ce matériel concret issu de la vie dramatique a opéré un retour à l'abstrait par son emploi et sa forme technique. Il précise après avoir analysé les conceptions psychanalytiques que la psychologie doit être soumise à un nouveau travail de révision mais également d'élargissement. Dans cette perspective nous pouvons nous demander si l’APPS serait selon Politzer considérée comme une révision et un élargissement de la psychologie...
C'est à cette occasion que Politzer met en évidence le caractère véritablement concret dans certains nombre de notions nouvelles qui ont été introduites par la psychanalyse freudienne notamment l'identification dont j'ai parlé un peu plus tôt et le complexe d’œdipe.
Il fait à ce moment-là une allusion sur la genèse de l'homosexualité masculine dans la psychanalyse (dont je vous passerai les détails car relatifs à une mentalité obsolète propre à l'époque).
Enfin en conclusion il liste “les vertus de la psychologie concrète et les problèmes qu'elle pose”. On voit ici que Politzer reste un peu plus humble que celui dont il fait la critique c'est-à-dire Freud vu qu'il évoque les problèmes de sa théorisation. Politzer précise que la psychologie est une science qui ne se devine pas a priori. La psychologie ne doit pas inférer depuis la vie dramatique de l'individu, mais au contraire partir de cette vie singulière.
L'élément le plus intéressant de cette conclusion et selon moi le point numéro 6 où Politzer liste les conditions d'existence de la psychologie positive c'est-à-dire la psychologie concrète :
Premièrement la psychologie doit être une science a posteriori c'est-à-dire l'étude adéquate d'un groupe de faits.
Dans un second temps elle doit être originale, c'est-à-dire étudier des faits irréductibles aux objets des autres sciences.
Enfin, elle doit être objective: définir le fait et la méthode psychologique de telle sorte qu'il soit universellement accessible et vérifiable.
Politzer insiste sur le drame humain comme unique origine de ce que peut être la psychologie. Il explique que le drame implique l'homme pris dans sa totalité. L'individu est considéré comme le centre d'un certain nombre d'événements qui ont un sens précisément parce qu'ils se rapportent à une personne et à sa vie concrète (p.50). Le drame comporte essentiellement les notions de signification et même celle de la forme.
C’est en cela que la psychologie concrète réfute les théorisations psychanalytiques car celle-ci amènerait leur propre signification exogènes dans ce drame singulier.
Politzer termine son ouvrage sur cette phrase et je terminerai cet exposé sur la même: “la métapsychologie a vécu et l'histoire de la psychologie commence”.
Mélissa Gerace
Stagiaire psychologue au CPMS Georges Politzer
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