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Lucien Bonnafé , « Dans cette nuit peuplée ». Notes.




Psychiatre français (1912-2003), communiste, résistant recherché par la police, il passe en zone non-occupée et devient directeur de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban en Lozère, lieu des artistes, persécutés et résistants contre l’inhumanité asilaire (avec, entre autres, le psychiatre François Tosquelles), poétique (avec Paul Eluard) et philosophique (avec Georges Cangilhem)

En citant Marx (« Une puissance inhumaine règne sur tout »), Lucien Bonnafé utilise une méthode historique pour envisager la psychiatrie dans un aspect global reliant le malade, la société, le médecin pour démystifier la folie essentielle et immuable et la fin de l’« âme ».

L’homme est aliéné par des représentations idéologiques externes, les Dieux, les Destins, la Vérité métaphysique qui se superposent avec les choses matérielles sans lien avec elles et faisant croire que les représentations sociales ont une origine transcendantale, croyance captée et utilisée par les politiques.

Ce matérialisme historique formulé par K. Marx et F. Engels selon lesquels les évènements historiques proviennent non pas des idées mais des rapports sociaux amène à une dialectique de l’opposition de classe, de la propriété et de la privation et du dépassement de cette privation.


En partant du commencement de ce qui n’est pas encore psychiatrie, au début du 19ème siècle, Pinel est « l’homme de la liberté », celui qui contredit l’aliénation en proclamant l’humanité de l’aliéné mais dans la prédominance de la thérapeutique et du libéralisme des conduites pratiques. Pinel fonde la « Science pratique de la désaliénation », étape décisive pour abandonner le mythe de la folie comme pouvoir étranger à la nature humaine en donnant la possibilité d’un comportement moins aliéné.

Le « moment Pinélien » était l’étape historique de la double proclamation : « Le fou est un homme, le fou est un malade »

Après la naissance de la psychanalyse avec l’ère du complexe d’œdipe, puis l’apport de Lacan par « l’évolution de la famille, névrose familiale répondant au déclin de l’imago paternelle », Lucien Bonnafé s’interroge sur la vocation psychiatrique et la forme particulière de vocation psychanalytique alimentée par la décadence des formes bourgeoises de l’institution familiale.

« L’organisation même du milieu psychanalytique se montre profondément marquée d’un caractère patriarcal » : Devenir psychanalyste (donc se faire psychanalyser) ou le problème du père est un noyau central de la situation individuelle, c’est devenir le « fils de quelqu’un »

Marx dans Le Capital parle de la dissolution de l’ancienne vie familiale dans le système capitaliste et sa transformation par le rôle des femmes et enfants dans les processus de production.

Mais l’idéologie de la classe dominante est contre tout changement de structure familiale différente

« La souffrance est la protestation de l’homme contre la crise de la famille c’est la névrose qui les exprime et plus particulièrement l’enfant » (L’énurésie comme nouveau fait psychiatrique).


1.Les conditions actuelle et futures de la désaliénation

La désaliénation implique un ordre social nouveau avec une organisation non oppressive des moyens de production, la suppression des antagonismes de classe et une structure familiale basée sur l’égalité réelle des sexes donc non paternaliste et ces transformations entraîneront des changements dans la souffrance mentale et la connaissance psychiatrique y répondant.

(cette « égalité réelle des sexes » deviendrait maintenant une égalité de genre ou une structure familiale non sexiste et non patriarcale incluant donc de fait l’absence d’association d’activités genrées et en même temps l’absence de hiérarchisation)

Une nouvelle organisation sociale entraînera des changements de nature de la médecine et on peut prévoir que les problèmes de la personnalité de plus en plus importants nécessiteront une désaliénation du psychiatre et une intégration plus étroite dans les sciences médicales.

A ce titre est annoncé la fin de la psychanalyse et la réduction de son périmètre d’action à la formation de la personnalité du thérapeute et l’approfondissement de la connaissance de soi-même.

Avec les allusions nombreuses de Freud sur l’influence de la société sur l’individu, le complexe d’œdipe excrétion de l’expérience sociale de la famille et ayant abouti à la découverte du caractère historique des complexes et l’insuffisance de la psychologie pour expliquer l’histoire, la psychanalyse cherche à « expliquer l’histoire par la psychologie et non la psychologie par l’histoire » ce qui amène inévitablement à une conception métaphysique de l’homme (p60 « La fin de la psychanalyse », La Pensée, Th W. Morris, 1939, III)

2. A propos des loisirs

Marx : « ...C’est le développement des puissances de l’homme qui est à lui-même sa propre fin et qui est le vrai règne de la liberté... La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette liberté»

Le temps libre est une conquête sociale qui permet de ne plus être uniquement qu’une récupération des capacités de production. L’équilibre travail-loisir est essentiel dès l’apprentissage pédagogique des enfants.

(les premières luttes de limitation du temps de travail étaient aussi soutenues par des camps réactionnaires qui s'inquiétaient que les prolétaires n'aient plus le temps pour éduquer leurs enfants (par exemple le travail domestique/reproductif) , ce qui affectait alors la société et la valeur productive des travailleurs).

3. Science et poésie

La rencontre avec Paul Eluard à Saint Alban révèle l’utilité de la poésie pour la psychiatrie. La poésie offre des voies nouvelles à la communication, « ce langage compris comme un révélateur d’un vécu séparé de la communauté du monde et dramatique du fait de sa séparation (rupture de sa cohésion propre) » favorise la compréhension : l’autisme non comme une barrière à la communication mais étant l’incommunicabilité elle-même.

En fait toute l’histoire de la science est une conquête sur l’incommunicable et la culture poétique (mais aussi d’autres formes artistiques) offrant de nouvelles voies à la communication, le patient peut exprimer ses sentiments, craintes ou ressentis à travers sa création quand l’usage de la parole est difficile ou impossible.

La communication altérée par la souffrance mentale et pouvant être rétablie par les expressions artistiques s’oppose à la chimiothérapie en considérant la folie comme « Un avatar malheureux dans la juste protestation de l’esprit contre une injuste contrainte »

4. Pour sauver la médecine il faut de l’imagination

« La dégradation de la médecine praticienne, de famille, de quartier, de bourgade ou de campagne est la conséquence de l’absence de toute conception cohérente d’un système de santé »

Une conception cohérente supposerait une organisation structurale qui aménagerait les rapports entre la dissémination (médecine de base) et la concentration des besoins (médecine hospitalière)

Le système économique, hospitalo-centré, basé sur le prix de journée est absurde, c’est une pyramide sur la pointe, tout est centralisé, l’hôpital est censé assurer la prévention mais celle-ci se réduit aux vaccinations et examens de dépistage et autres actes comptabilisables à bas prix.

La médecine de soins est piégée par le paiement à l’acte, bref et insatisfaisant en relation patient/soignant.


5. L’urbanisme

La suppression des habitats insalubres et des bidonvilles et le relogement en HLM apporte un confort « moderne » qui pourtant ne répond pas aux besoins fondamentaux de vie de la population dans un système facilitant les communications humaines et même au contraire pénalisant la communication par la « chasse à l’enfant », pelouses interdites, espaces assignés.

La politique urbanistique a supprimé les taudis par des cités dortoir parfois sans prise en compte du lieu d’emploi.


5. Psychiatrie et liberté

« La psychiatrie n’existe que du fait que des hommes sont en difficulté sur une problématique de la liberté »

Parler de psychiatrie c’est parler de liberté

La loi du 30 juin 1838 organise la ségrégation et la discrimination des aliénés

et l’article R30 prévoit de « ...punir la divagation des fous et des furieux ou des bêtes malfaisantes ainsi que jeter des pierres ou des immondices ».

Beaucoup de gens estiment, selon les faits divers, que l’on remet trop facilement en liberté les malades mentaux.

La loi protège contre tout placement arbitraire dans un établissement de soin mais prévoit les cas exceptionnels d’obligation de placement contre la volonté de la personne en raison d’un état de détresse ou d’un danger pour la vie d’autrui.

On peut y voir une contradiction mais aussi s’interroger sur le « OU » séparant la détresse personnelle et le danger de mort des autres qui fait glisser le curseur d’action du personnel vers le collectif.

L’état de détresse d’un homme n’est jamais la détresse d’un sujet isolé, c’est aussi celle de l’entourage, celle du champ social concerné.

Si on lutte contre tout détournement de la psychiatrie à des fins répressives, la « mode » de ne pas psychiatriser (ou l’absence de moyens) peut aussi devenir une conception de service public tendant à rendre le moins possible de services.

Les procédures d’exclusions vont de « enfermez-le » à la victime demandant de régler les problèmes à sa place en passant par l’enseignant ou le médecin « Je n’y peut plus rien, c’est à vous de le prendre en charge »


6. Psychiatrie et politique

L’antipsychiatrie

Le mouvement désaliéniste et la référence aux notions de psychiatrie critique et critique de la psychiatrie, psychiatrie différente sont des désignation altérées par des forces de conservation d’un ordre oppressif, maintenues et soutenues par la majorité silencieuse ou minorité agissante.

Dans cet environnement l’antipsychiatrie est pour Lucien Bonnafé plus regroupée autour de l’œuvre parlée de Basaglia ou Maud Mannoni et des affrontements avec l’œuvre basée sur une « pratique soignante ».

L’anti-psychiatrie devient courant anti-psychiatrique positif pour exprimer les révoltes et réfuter « l’inadaptation » et cette étape nécessaire nihiliste ou de contestation porte un potentiel de changement mais peut par exemple transformer l’infirmier visiteur distinct des autres soignants en consolidation d’un ordre établi.

Le traitement de la demande, qu’elle soit du sujet ou de la société passe par la création d’une psychiatrie différente, un monde désaliénant.


7. Prévention

Selon la définition de l’OMS, soigner c’est « agir pour soi-même ou pour autrui afin d'obtenir la vie, de maintenir, restaurer et promouvoir la santé », donc le soin est indissociable de la prévention.

« Mieux vaut prévenir que guérir » , mais la société du profit est dominée par la fonction de réparation de la main-d’œuvre abîmée et « il est aussi absurde de dire que la prévention est l’affaire des médecins que de dire que les libertés sont l’affaire des magistrats »

De nouvelles formes sont à envisager avec un maximum de responsabilité donné aux représentants des usagers (collectivités locales, sécurité sociale, mutualité sociale) au niveau de l’initiative, de la gestion, du fonctionnement et maximum de coopération entre administrateurs et professionnels de la santé, médecins et collaborateurs.

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Pour le médecin :

- Pas de rémunération à l’acte (la production d’actes est incompatible avec la prévention)

Pour les établissements de santé :

- Pas de tarification à l’activité sur laquelle est basée le financement

Pour les deux :

- Pas de propriété personnelle ou de groupe des moyens de travail dans la santé ou transformation en mode non lucratif

« … renverser complètement la tendance portée par le capitalisme à enfermer la fonction sanitaire dans la fonction de réparation »

Au lieu de partir d’un système de santé existant, partir de l’usager ou des besoins.

La démarche est complètement inverse , plutôt que la somme statique des besoins, avoir une vision dynamique , évolutive incluant le personnel : « Remettre la pyramide sur sa base »


Par Lucien Bonnafé et intégré dans les valeurs socle de l’APPS et l’enseignement du Dr Hubert :

« Parler de psychiatrie c’est parler de liberté » mais si le but à atteindre était la suppression complète de toute loi ségrégative concernant la maladie mentale, l’évolution est à la responsabilité pénale du psychiatre (déplacement de responsabilité).

Un psychiatre, un avocat, un juge, une trilogie peu convaincante pour aller vers une liberté individuelle et collective dans un environnement social.


Alain Charreyron


Illustration : ©Gustave Grau





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