L’insu du faire
Nous avions annoncé dans notre dernier article « transfert social ? » cette réflexion autour de « l’insu du faire ». Je publie cette réflexion qui est connectée au transfert social et à la formation sur « Que faire avec les contradictions dans le mental ? » car il existe bien un trépied fondamental pour l’APPS, nos trois mamelles théorico-pratiques : transfert social de valeurs, contradictions dans le mental, l’insu du faire.
Nous vivons quotidiennement dans l’insu de ce que nous faisons. Ce que nous faisons a un insu et nous préférons à l’APPS cette formulation concernant notre action plutôt que la référence traditionnelle à l’inconscient. « Avoir un inconscient » est en effet depuis Freud source de confusions multiples.
Tentons de mieux formuler les questions.
Si l’inconscient comme concept est central dans les théories psychanalytiques, le mot « inconscient » a une portée philosophique bien antérieure. Ainsi Descartes a mis en valeur l’opposition entre la conscience comme fondement de la raison et ce qui lui échappe. Cela a son importance car ce qui échappe à cette raison est catalogué comme folie et cela aura un long destin en psychiatrie comme dans la pensée des lumières. Leibniz évoque l’importance des petites perceptions et le fait que « nos pensées sont continues à l’insu de nos consciences » comme le souligne Marc Parmentier dans son ouvrage « Leibniz et la perception du futur » 2011. Viendront plus tard un autre inconscient qui sera plus en rapport avec une pratique : l’inconscient comme dissociation de la conscience et ainsi accessible à l’hypnose. Cette dernière sera le point de départ de beaucoup de pratiques et de théories, par exemple celle de la psychanalyse. Il se dessine ainsi une logique de Descartes à Freud sur cette question de l’inconscient que met en valeur Michel Parahy « L’inconscient de Descartes à Freud : Redécouverte d’un parcours » L’Harmattan, 2010, dont nous pouvons conseiller la lecture.
Freud après avoir quitté l’expérience pratique de l’hypnose crée la psychanalyse à travers ce concept central d’inconscient dans son ouvrage fondateur « L’interprétation des rêves » en 1900. Georges Politzer en 1928 dans sa « Critique des fondements de la psychologie » salue l’invention freudienne comme étape possible vers une psychologie concrète mais note cependant un élément capital : le concept d’inconscient est un obstacle à l’approche du concret, un retour vers la psychologie classique abstraite, source de mystifications et de confusions.
La plus grande confusion freudienne nait d’une déformation mystificatrice, à savoir l’invention d’un contenu latent freudien au contenu manifeste du rêve. En effet Freud présente comme universel et non particulier à sa propre personne ce contenu latent. Le rêveur doit se soumettre de façon insidieuse mais impérative à ce supposé savoir sur lequel repose une cure.
Il y a donc une substitution transcendantale, métaphysique et abstraite au départ de la psychanalyse freudienne. Lacan ne bousculera pas cette base faisant par son retour hégélien à Freud une nouvelle déformation mystificatrice, qui aboutira à une philosophie transcendantale de la psychanalyse.
Nous avons donc au total avec la psychanalyse classique une formation avant tout philosophique, c’est à dire idéologique, et non pas théorique dans le sens où la théorie est toujours liée à une pratique. Cela est un point crucial très important dans notre critique faite à la psychanalyse. Avec le concept de transfert social, notre base est la vie sociale conflictuelle et contrdictoire et nous en faisons l’analyse transférentielle pratique à partir de l’outil matériel concret de valeur. Nous considérons que partir dans la pratique d’une base idéologique, donner le primat à l’idéologie est une erreur grave qui facilité les meurtres sociaux dans son application concrète.
C’est bien cette base idéologique vulgaire qui a provoqué une assimilation de la transidentité à la folie et l’invention par Lacan d’une psychose transsexxualiste en 1958 dans sa « question préliminaire à tout traitement de la psychose » a fait des ravages, de vrais meurtres sociaux provoqués de personnes trans . Cette idéologie néfaste se retrouve encore aujourd’hui dans une exacerbation psychopathologiste pour les adolescents transidentitaires en transition ( voir à ce sujet le tristement autoproclamé « observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent » alias « la petite sirène » qui n’interroge pas son idéologie psychopathologiste conservatrice pour distiller ses propos inadaptés à la réalité des personnes trans)
dans notre article précédent sur le transfert social Dans notre article précédent sur le transfert social, nous avions insisté sur l’inconscient pathogène qui a nourri des générations de psychopathes-aux-logues : un concept abstrait idéologique, l’inconscient, produit des catastrophes pratiques.
Pourquoi cela ? La psychopathologie évite l’étude des contradictions et la réalité vivante vécue dans le transfert social. La psychopathologie se place ainsi en place de savoir-pouvoir qui serait placé en apparence au-dessus des personnes, de la société et qui de par cette position estomperait les véritables conflits à l’œuvre dans la transidentité ou la folie par exemple pour y substituer le maintien de l’ordre social face aux souffrances mentales exprimées des personnes qui remettent en question l’ordre social. En se plaçant au-dessus des contradictions vivantes de la réalité vivante, la psychopathologie devient de plus en plus étrangère au vivant de la société, d’où son danger évident.
Nous l’avons signalé dans un article il y a un an « parler de psychiatrie, c’est parler de liberté », les bases idéologiques et transcendantales, quelles qu’elles soient (marxistes aussi bien) sont toujours néfastes lorsqu’elles sont choisies comme point de départ à l’analyse concrète des situations concrètes. Il n’y a aucun dialogue à entamer avec ceux qui travaillent à partir de cette base. Il peut être entamé des échanges avec des praticiens qui se réfèrent à d’autres théories ( y compris psychanalytiques même si les bases psychanalytiques sont antagonistes aux nôtres) mais partent de leurs pratiques et de leurs contradictions, car pour nous ce qui est à prouver n’est pas déjà contenu dans les prémisses : notre base n’est pas idéologique. C’est l’inverse qui caractérise l’inconscient psychanalytique et cela est une constante évidente aussi bien chez Freud que chez Lacan.
Il s’agit donc de reprendre les faits repérés par la psychanalyse pour les traiter autrement, pour reprendre le conseil de Politzer dans sa critique finale de la psychanalyse. Pour nous il convient de partir de notre pratique sociale et ainsi de prendre les faits dégagés de l’invention freudienne comme des faits sociaux et de pouvoir analyser ces faits sociaux par rapport à d’autres faits sociaux. Marx nous a appris à toujours mettre les faits en rapport jusqu’au fait psychique de penser dans sa thèse II ad Feuerbach, ainsi que nous l’avons montré dans notre article La pensée humaine vit dans un rapport social - Le blog de hubertherve75 (over-blog.com)
Justement si nous plaçons l’insu du côté du faire c’est aussi pour ne pas résumer cet insu à un penser comme cela a été prédominant dans l’histoire de l’inconscient philosophique psychanalytique.
C’est à partir de notre pratique et en étudiant Marx que nous avons proposé cette nouvelle formulation pour l’inconscient : « l’insu du faire ». Nous la proposons en corrélation avec le transfert social : il y a un insu du transfert social. Il est important de souligner que cet insu coordonné au transfert de valeurs ne fait pas entité. Il n’y a pas une entité inconscient et cela annule toutes les attitudes de non responsabilisation associées à cette entité d’inconscient psychanalytique qui existe dans la formulation à partir d’un acte réalisé. « Si je l’ai fait, c’est mon inconscient !»
C’est du côté de l’échange et de sa valeur que nous nous orientons pour contrer cette non responsabilisation collective et individuelle nourrie par la vie sociale capitaliste.
Le faire acquière dans la pratique avec les autres, dans la pratique sociale, un double caractère social : la satisfaction d’un besoin dans le faire d’une part , l’expression de la valeur du faire et sa signification d’autre part. C’est ce dernier caractère qui fait drame dans l’échange humain et où se déploie l’insu du faire. En effet ce dernier caractère convoque le conflit dans le social à travers les valeurs d’égalité et celles d’équivalence. La dynamique de la vie sociale capitaliste, hautement porteuse de conflits meurtriers-les meurtres sociaux- porte dans sa fondation même les valeurs d’équivalence et de fausse égalité.
Nous sommes agents, effets et produits des rapports sociaux de production et le faire rentre directement dans cette dynamique. Dès lors que le faire entre dans l’échange avec un autre, sa valeur est prise en considération. Il ne s’agit pas d’une valeur du faire transcendantale qui serait déjà existante avant l’acte de faire. La production du faire dans le social convoque sa forme d’expression et l’échange. Cet échange implique l’égalité et l’équivalence des « faires humains » en jeu. Cette égalité mise en jeu est présente dans la mesure où il est fait abstraction des différences et des contradictions du faire. Les produits du faire peuvent être placés comme équivalents ou égaux dans un échange (notamment un échange de produits du faire) qui vient donc nier la non-égalité réelle. Un faire prend donc sa valeur au moment de l’échange.
C’est à cet endroit précis de notre démonstration que nous pouvons rappeler les conclusions de Marx dans son travail sur le fétichisme qui concerne justement la connaissance de la valeur : « Ce n’est donc pas parce que les produits de leur travail ne vaudraient pour eux que comme enveloppes matérielles d’un travail humain indifférencié que les hommes établissent des relations mutuelles de valeur entre ces choses. C’est l’inverse. C’est en posant dans l’échange leurs divers produits comme égaux à titre de valeurs qu’ils posent leurs travaux différents comme égaux entre eux à titre de travail humain. Ils ne le savent pas, mais ils le font pratiquement »
Il y a une corrélation à faire entre le travail et le faire dans ce contexte. Je modifie ainsi la formule bien connue de Marx sur le fétichisme :
« Ce n’est donc pas parce que les produits de leur faire ne vaudraient pour eux que comme enveloppes matérielles d’un faire humain indifférencié que les hommes établissent des relations mutuelles de valeur entre ces choses. C’est l’inverse. C’est en posant dans l’échange leurs divers produits comme égaux à titre de valeurs qu’ils posent leurs faire différents comme égaux entre eux à titre de faire humain. Ils ne le savent pas, mais ils le font pratiquement »
Voilà une façon tout à fait nouvelle de considérer les actions humaines et notamment les sources conflictuelles : égalité, équivalence des actions dans l’échange. Le latent de l’échange repose sur une tromperie, un cacher-tromper bien connu dans le transfert social.
Le caractère inconscient, l’insu du faire dans l’échange est placé par Marx à un niveau universel. Cet échange s’accomplit par le biais des actes conscients des individus mais ils font quelque chose sans savoir vraiment ce qu’ils font.
Cette conception est pertinente et donne pour l’analyse économique une autre conception que celle de la maîtrise de savoir rationnel. Michael Heinrich le note dans son ouvrage « Comment lire le Capital ? » p 193 : Si les hommes , lors de leurs actions économiques, savaient ce qu’ils font, l’économie serait un champ transparent dans lequel rien ne serait caché. Le fait que Marx parle aussi fréquemment de « secrets », d’ »énigmes », qu’il fasse de termes comme « fétichisme », « renversement » et « mystification » des concepts centraux n’est pas une simple affaire de style. Il utilise très consciemment de telles tournures pour mettre en évidence que les prétendues transparence et rationalité de l’économie capitaliste ne sont qu’un semblant superficiel derrière lequel se cache quelque chose qui doit être décrypté ». la spécificité de la société capitaliste s’exprime dans le fait que les relations économiques entre les personnes sont « cachées sous l’enveloppe d’une chose »
L’analyse du transfert de valeurs dans ce non rationnel est cruciale et porteuse de beaucoup de développements que nous reprendrons dans notre formation « Que faire avec les contradictions dans le mental ? »
La division entre les humains, division personnelle ou division entre groupes sociaux ne peut être réduite à l’inconscient pathogénique de Freud ni a celui qui le ramène à une question linguistique avec Lacan. La division n’est ni un effet du langage seul, l’inconscient structuré comme un langage, ni un effet du refoulement inconscient.
Il s’agira donc pour nous dans notre travail concret de faire rapport entre l’insu du faire et le transfert de valeurs qui caractérise les humains qui sont soumis dans notre civilisation capitaliste occidentale au destin oscillatoire de la faute qui divise l’humanité.
Hervé Hubert
Illustration : Giorgio de Chirico
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