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Recommencer par le commencement…À partir d’une autre base


©Viera da Silva



Au commencement est le transfert. Au commencement de la vie, en tant qu’elle est échange avec d’autres, se produit un transfert. 

Cette formule fait évidence tant elle est vécue par tout être humain dans son rapport au monde, son rapport avec les autres. 

Ce phénomène historique et social du transfert a produit, à un moment historique donné, l’expérience psychanalytique inventée par Freud et le mot transfert a caractérisé la relation entre le psychanalyste et celui qui est couché sur le divan. 


Aujourd’hui en dehors du monde psy, le mot transfert évoque plutôt le transfert de fonds financiers ou bien le transfert de joueurs de foot. Transfert de valeurs des marchandises donc.

Pour les psychanalystes, le mot “transfert” évoque classiquement « le terrain où se joue la problématique d’une cure psychanalytique, son installation, ses modalités, son interprétation et sa résolution » pour reprendre la définition académique du « Vocabulaire de Psychanalyse » de Laplanche et Pontalis.

Allons plus loin. Freud a mis du temps à isoler le phénomène du transfert indique Lacan dans son Séminaire I en juillet 1954 car, selon les propres dires de Freud, il en a été apeuré et cela est un repère très important pour la pratique d’aujourd’hui sur le « que faire ? » face à l’amour de transfert dans cette expérience humaine où l’intime est confié. Que faire dans ces moments transférentiels de la vie quotidienne où les significations se déplacent, où les pulsions débordent, où les phénomènes humains du tromper et cacher aboutissent à des significations qui attribuent des intentions aux autres, au socius, avec qui des rapport sociaux sont établis. Que faire à partir de l’expérience de transfert où se manifeste le phénomène fondamental de l’angoisse de la rencontre humaine, de la production d’effets humains dans les rencontres répétées et notamment de la survenue de l’amour et de la haine ? Freud a misé sur son concept d’inconscient pour répondre à cette question et cela est resté comme caractéristique première de la psychanalyse. 

Si Georges Politzer en 1928 salue la voie possible vers une psychologie concrète proposée par Freud, il critique d’emblée ce concept d’inconscient, indiquant que seule la psychologie classique, abstraite, réactionnaire peut l’expliquer. L’oeuvre freudienne est prise dans de nombreuses contradictions, des poussées contraires et Politzer reste aujourd’hui le meilleur critique de ces contradictions ( 1 )

Lacan, en effet, dans son retour à Freud part étrangement d’une lecture hégelienne de Freud alors que ce dernier considérait le système hégélien comme fou ! Il restera attaché à produire une philosophie de la psychanalyse ainsi que le souligne Louis Althusser, comme d’autres produisent des philosophies hégeliennes de l’histoire, sans prise sur la vie et le transfert qui la produit. Lacan restera hégelien jusqu’à la fin et cela en marque définitivement la limite. 

Il s’agit donc, à partir de la vie sociale toujours transférentielle, de proposer et construire une autre pratique et une autre théorie dans une dialectique des contradictions humaines, une dialectique des poussées contraires.


C’est ici qu’il s’agit de recommencer cette approche du phénomène transférentiel entamée par la psychanalyse classique, et l’apport de Marx dans l’histoire des contradictions de la vie sociale et de l’histoire humaine est une base essentielle et incontournable. C’est dans ce contexte que le transfert social, transfert des valeurs, Wertübertragung, est apparu dans notre fabrique d’outils analytiques. 

Travailler avec la psychanalyse sociale et l’APPS - Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale - a donc comme base une autre conception du transfert que celles de Freud et Lacan, et donc une autre pratique de transfert. Il n’y a ici ni continuité théorique ni continuité pratique entre la psychanalyse sociale et la psychanalyse classique. Il ne s’agit en aucun cas de rajouter une analyse des contradictions de la vie sociale à la psychanalyse existante. La formulation « Partir d’une autre base » l’exclut.

Cela correspond à une autre pratique face aux ségrégations humaines. Les débats récents sur la PMA l’attestent : le Complexe d’Oedipe, l’ordre symbolique et l’ordre du Nom-du-Père sont au service d’une privation des libertés, privation stupide et cruelle. Ces conceptions témoignent d’un rapport au savoir sur la vie humaine qui exclut le savoir des personnes concernées sur leur propre vie. 


Comment cela se fabrique-t-il ? D’abord au nom du principe qu’il y a un savoir autre contenu dans le discours de la personne et que celle-ci l’ignore… Qu’il y ait un insu dans nos dires et nos actions, dans ce que nous produisons dans notre vie, cela est là aussi une évidence. Que l’analyste se charge d’interpréter cet insu à partir d’un texte sacré, celui de Freud ou Lacan, est une autre affaire.  Ce qui est lu, soit disant chez l’autre, est déjà dans le mental du psychanalyste classique. Il se surajoute à cette façon religieuse de considérer l’interprétation psychanalytique deux autres avatars : le fait de prendre l’inconscient comme une entité, une instance, d’abord ou encore comme une structure ( l’inconscient structuré comme un langage). Les années 60-70 sont souvent considérées comme libératrices au niveau intellectuel. Il y a bien sûr des apports contradictoires, mais il convient aujourd’hui de se rendre compte que la structure et l’objet ont pris le dessus dans ce quia été produit pendant cette période historique. Ainsi avec cette transformation de la vie sociale en concepts psychanalytiques, socio-philosophiques ou anthropologiques, s’est affirmé le règne de l’objet : la personne vivante y est ensevelie. Que cela soit avec Levi-Strauss, Foucault ou Lacan, il n’y a plus d’histoire. Le développement conceptuel, les outils utilisés, proviennent d’une conception an-historique et métaphysique des humains.  Politzer signalait le danger : cela n’est pas l’histoire concrète, vivante et contradictoire qui est le ferment de la psychanalyse mais l’interprétation métaphysique faite à partir de concepts psychologiques ou psychanalytiques produits par une période historique donnée, en l’occurence un ordre capitaliste, patriarcal et religieux. Les concepts psycho-pathologiques utilisés par les psychanalystes classiques sont fondamentalement et dramatiquement an-historiques, depuis le concept d’hystérie, à celui de perversion en passant par l’aberration de celui d’une entité « psychose ». Cela rejoint la conception an-historique du fameux complexe d’Oedipe. 

Ce n’est pas ce qui se passe dans le mental qui explique l’histoire sociale mais l’histoire sociale qui se transfère dans le mental. 

Le transfert en tant qu’il est transfert social et transfert de valeurs permet de partir de l’histoire, individuelle et collective,  et du mode de production correspondant. Il est alors l’outil qui permet à la personne concernée de prendre part à la découverte de ce qui lui arrive dans sa vie. L’insu, ce qu’il y a d’inconscient, est alors du côté du « faire » et non du primat transcendantal du « lire ». La libération qui est à la base de notre pratique en psychanalyse sociale, est celle qui concerne pour les humains,  au niveau  des pratiques individuelles et collectives, leurs rapports pratiques aux moyens qu’ils utilisent pour produire leurs vies et  leurs rapports pratiques à leurs produits. 





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