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Introduction à la question de l’aliénation



Nous avons choisi à l’APPS d’aborder la question de la souffrance dans le mental à partir de la base qui la produit, la base sociale.

Les souffrances dans le mental sont multiples et différentes, elles ont cependant quelque chose en commun : le transfert d’une problématique du social dans le mental.


Nous utilisons le terme de transfert avec des orientations multiples. Tout d’abord la référence au transfert contenu dans la production d’un rêve est présente, et Freud a mis à ce propos en évidence deux caractéristiques importantes : le déplacement qu’il nommera Ubertragung et qui deviendra le mot en allemand pour qualifier le transfert psychanalytique en général. Il y a un autre déplacement qu’il nommera Verschiebung et qui marque plus le décalé dans le déplacement. Le substantif associé, Schiebung signifie : opération et manœuvre frauduleuses, tripotage, passe-droit, triche. il s’affirme ainsi un rapport aux phénomènes humains de vérité et de tromperie des plus essentiels avec ce Verschiebung. La question du trafic clandestin est forte dans ce qui se déplace. Ubertragung est plus immédiat et tranché.

Nous utilisons ces deux outils dans l’analyse pratique psycho-sociale du déplacement du social vers le mental. Bien évidemment la mystification freudienne de l’inconscient déployée à partir de l’outil du transfert n’a rien à faire dans notre analyse de ces déplacements. L’inconscient psychanalytique est psychopathologique et donc un obstacle conceptuel, ségrégatif, dangereux et dépassé, qui conserve toujours l’ordre oppressif. 

Nous avons choisi l’outil Marx pour analyser ce qui se déplace pour un individu dans son mental à partir de sa vie sociale. Nous avons prélevé dans la section 1I du Capital Livre 1 le terme de Wertubertragung, transfert de valeurs, utilisé par Marx dans un autre contexte, et nous l’avons élargi aux valeurs constitutives de l’être humain, la valeur des mots, la valeur des images, la valeur des sensations de corps. Voilà ainsi résumé ce qui se déplace de l’expérience sociale dans la vie mentale et il s’agit là d’un temps essentiel dans l’analyse pratique psycho-sociale d’une problématique humaine. Wertubertragung englobe et dépasse à la fois Ubertragung et Verschiebung grâce à la notion de Wert, valeur. Plus qu’un simple déplacement, il pousse vers une transformation d’autant que Marx y glisse la forme, la forme valeur, Wertform.

C’est dans ce contexte théorique que nous pouvons mettre en œuvre le travail du transfert historique. Ce terme « transfert historique » renvoie à la fois à l’histoire de la personne et à l’histoire du monde dans lequel vit cette personne. Il y a une dialectique entre les deux histoires et c’est là où il convient de pouvoir démasquer les mystifications dans l’analyse de la vie mentale.

Celles-ci sont au moins de 2 ordres. La plus simple est la mystification du savoir sur le récit que fait la personne de son histoire et de sa douleur de vivre. Georges Politzer très tôt dénonce ce point contenu dans l’analyse des rêves faite par Freud dans Die Traümdeutung. Il montre en effet que l’interprétation du contenu latent au rêve est celle de la personne Freud et non celle de la personne qui raconte son rêve : le contenu latent est une invention de savoir, une élucubration de savoir sans fondement scientifique basée sur la théorie métaphysique de la libido portée de façon transcendentale à un savoir universel. Politzer au contraire propose que la personne qui fait récit de son histoire avance dans ses repères de signification avec l’accompagnement du thérapeute. Le chemin du transfert de la problématique sociale dans le mental devient ainsi un travail en commun et sans œillères. L’autre mystification concerne, dans une dialectique avec la première, la question du traitement des idées dans la vie mentale de la personne. Cette mystification des idées est l’obstacle principal et le plus difficile à manier. C’est là où la méthode du transfert historique conjuguée à la fonction et la valeur, a toute sa pertinence pour s’associer au mouvement topologique qui part du miroir transférentiel chez Marx. 

C’est à cet endroit précis que nous faisons conjonction entre le matérialisme historique et le matérialisme dialectique ou plus exactement entre le transfert matériel historique et le transfert matériel historique. Il s’agit ici de produire notre outil scientifique en se servant de l’unité de la théorie et de la pratique. 

Que faire avec les idées ? Nous avions travaillé cette question dans l’article « L’analyse pratique psycho-sociale et le transfert social des idées » en octobre 2022. Que faire avec les idées passe par « que faire avec les contradictions de ces idées » et surtout les poussées contraires qu’elles provoquent. 

Nous extrayons certains points : « la solution de la question idéologique ne réside pas dans le fait qu'il suffirait d'opposer une vérité à de fausses représentations. La question est de saisir ce qui pousse à la domination des idées dans la vie humaine. Cela vaut leçon quant à une orientation émancipatrice dans les échanges humains et a pour conséquence de prendre les questions dans une mise en rapport. » Il s’agit donc d’analyser ce qui fait qu’entre deux mouvements de poussées contradictoires l’une est privilégiée dans un moment historique donné. 

Pour résumer le débat sur la fonction des idées nous indiquions : « Nous avons donc deux axiomes exprimés « le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme », et « l’analyse concrète de la situation concrète d’une personne qui partirait de l’idée ou de sa mise en forme idéologique aboutirait à des impasses voire des catastrophes ». Cela est notre boussole dans la pratique. Cependant cette boussole doit tenir compte du rôle des idées dans la vie dans un mouvement contradictoire avec nos axiomes fondamentaux. Les contradictions sont le moteur de la vie sociale. Il s’agit de les analyser pour surmonter les difficultés liées aux positions oscillatoires qu’elles engendrent. Marx nous fournit dans ce contexte deux outils. La phrase « La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle » est très riche et porteuse. Marx ne sépare pas arbitrairement les deux positions que nous avions souligné « le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme » d’un côté, et « la production des idées est le langage de la vie réelle » de l'autre.

Dans sa phrase « La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle » il ne sépare pas les deux positions mais au contraire les mêle et nous fournit ainsi une orientation de travail. C’est dans le commun mêlé que doivent s’analyser les contradictions en priorité et non dans leurs oppositions arbitraires apparentes. Là est le mouvement vital, le transfert social dans son fondement réel, celui qui va permettre l’analyse concrète de la situation concrète, et les théories qui opposent et séparent à priori sont issues de positions idéologiques descriptives fixistes.

Il y a donc dans le travail du thérapeute une analyse subtile à mettre en œuvre et nous résumons ici les grandes lignes : 

La solution de la question idéologique ne réside pas dans le fait qu'il suffirait d'opposer une vérité à de fausses représentations. 

La question est de saisir ce qui pousse à la domination des idées dans la vie humaine. 

Une orientation émancipatrice dans les échanges humains a pour conséquence de prendre les questions dans une mise en rapport.

Cette mise en rapport doit se faire dans celle du commun mêlé où il s’agit d’analyser ce qui fait qu’entre deux mouvements de poussées contradictoires, l’une est privilégiée dans un moment historique donné

Cela implique le renversement de la pensée conservatrice de la personne (ou de la société) qui maintient un ordre qui fait souffrir. Cela concerne bien sûr les normes de la personne (ou de la société) Cela concerne le figé et le fixé pour la personne ou pour la société. Cela doit donc dans la thérapie personnelle être pris comme moment crucial à calculer dans le temps avec une élaboration conjointe prudente mais ferme. La puissance des fétiches et des mythes personnels doit être prise en compte sans que le thérapeute porte des œillères idéologiques telles que le transcendantal de l’absolu ou de la pureté. De même si la personne (ou la société) a mis en place des tabous, il convient de se méfier du renversement des valeurs et de l’instauration d’autres tabous ou d’autres valeurs qui oppriment.

Au total il s’agit donc de mettre en place dans le concret un travail réel avec la personne sur l’aliénation qui est toujours politique et sociale. C’est donc travailler sur les fétiches que les personnes produisent elles-mêmes dans le transfert social, dans le transfert de valeurs. Là est leur puissance qui semble réelle pour les personnes concernées. Et nous retrouvons dans cette étape majeure de travail conjoint sur l’aliénation, la question de la fonction et de la valeur des idées personnelles dans une dialectique avec celle de la fonction et de la valeur des conditions sociales et des rapports sociaux produits. 

Marx l’indiquait clairement dans « Le 18 brumaire de Louis Bonaparte » :

« Sur les différentes formes de propriété, sur les conditions sociales d'existence, s'élève toute une superstructure d'impression, d'illusions, de façon de penser et de conceptions de la vie différentes et caractéristiques. La classe tout entière les crée et les façonne à partir de ses bases matérielles et des rapports sociaux correspondants. L'individu isolé, à qui elles sont transmises par la tradition et l'éducation, peut s'imaginer qu'elles constituent les raisons déterminantes et le point de départ de son action »

Nous retrouvons là une perspective, celle précédemment évoquée, du transfert historique, qui prend l’aliénation humaine de façon très concrète et commune aux humains, qui nous permettra de prendre la question de la santé mentale autrement que dans les lignées de la possession : depuis l’idée moyenâgeuse de la possession par le Diable jusqu’à l’idée de possession par l’Inconscient. 



Hervé Hubert

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