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Prologue au livre de Lydie Saint-Victor « Enseigner à la maison ? » paru chez L’Harmattan en 2023


Ma première réaction à la lecture de l’ouvrage de Lydie Saint-Victor fut un saut de joie. Enfin une œuvre destinée aux parents mais aussi aux enseignants exprime de façon précise et concrète une pédagogie accessible à tous, simple et très riche à la fois, nourrie d’exemples facilitant l’accès à une méthodologie claire. J’ai trouvé cela d’emblée nouveau et révolutionnaire dans la pratique qui devient comme par magie une pratique naturellement concrète.

Cette question de pratique concrète est d’une importance capitale. L’enjeu est  exprimé dans le titre « Enseigner à la maison ? Comment accompagner le désir d’apprendre des enfants de 3 à 10 ans à la maison ? » La conséquence de ce titre est qu’Il va  falloir préciser de façon pratique cet accompagnement d’un désir et cela est à chaque fois une aventure. Cela est toujours une aventure personnelle et le grand talent pédagogique exprimé dans cet ouvrage est de pouvoir transmettre ce qu’il y a de commun entre tous les enfants, leurs besoins et leurs désirs, et de pouvoir articuler ainsi le général et le particulier des situations pédagogiques.

C’est bien le « comment » qui prime, le « comment faire ? » Cependant nous sommes loin des recettes toutes faites : le désir est au-devant de la scène dans la démarche d’apprentissage proposé.

Il s’agit d’un désir qui s’articule au droits de l’enfant, à ses potentiels à venir. Cette question revient de façon répétée dans l’exposé et prend une dimension politique, dans le sens où cette dernière est « société organisée » pour reprendre la référence à Dante sur la loi fondamentale des cités politiques. La formule trouvée par Lydie Saint-Victor est jolie et sonne fort «  Un coup de pouce pour l’école et le citoyen de demain ? » Elle revient régulièrement et va passionner ceux qui s’intéressent au rôle social de l’école et aux moyens de la démocratiser. Cet ouvrage va au fond des choses et paradoxalement au regard de la complexités de la machine scolaire, démonstration est faite que cela n’est pas si difficile.

En effet chacun peut comprendre l’école pourvu qu’il ne la considère pas « en soi », isolée de la vie sociale, tel est le message reçu.

Les deux premiers chapitres concernent ce qui fait trait spécifique à  l’humanité : la parole et le langage. Plutôt que de partir vers des abstractions philosophiques comme il est fait trop fréquemment, l’auteure prend les choses à la racine. Et la racine humaine est celle du rapport, du rapport social, et ici du rapport avec l’enfant. C’est ainsi qu’elle dégage le vrai problème pédagogique qui est le rapport au tutélaire. Lydie Saint-Victor  de façon constante et concrète prend pour base la capacité des enfants, leurs potentiels, et à partir de là favorise l’échange. Cela est un renversement essentiel par rapport à un enseignement classique où le primat de savoir, le cadre du savoir est académique et se trouve toujours du côté du maître. Cela peut être une circonstance pédagogique toute simple telle que celle exprimée dès la première séquence « donner la parole et entretenir les échanges conversationnels » où il est souligné «  Même s’il ne comprend pas toujours tous les mots, votre enfant perçoit la la tonalité des paroles prononcées. Il est sensible à tout ce que vous racontez à la maison. Résistons à cette tendance consciente ou non de lui ‘’parler en bébé’ ’L’utilisation de mots incomplets ou de phrases inachevées, le prive du bon modèle, des meilleures bases de la communication. Ce qui est important, c’est sa capacité d’entendement. Donnons lui-lui l’occasion de vivre dans un bain de langage riche avec mots justes qu’il prendra plaisir à réinvestir. Et il vous surprendra ! » Le bébé est une personne et accepter le parler bébé est une négation d’un devenir.

Cette démarche rompt avec la pédagogie de la mise en tutelle et du règne du déficit : l’enfant serait déficitaire, déficitaire par rapport au savoir académique de l’adulte. Ce trait pédagogique habituel ségrégatif prendra toute son ampleur dans les problématiques de souffrance psychique évoquées dans l’ouvrage à travers la trisomie 21 ou l’autisme. Nous verrons alors comment l’auteure renverse les situations à analyser et à accompagner.

Il y a un renversement pédagogique que transmet et décrit Lydie Saint-Victor qui est paradigmatique pour beaucoup de situations et champs d’application différents. L’application pratique de ce qui se transmet de cet ouvrage est donc particulièrement large et important.

Cela se déploie d’autant plus facilement que les valeurs pédagogiques témoignent de connexions fortes avec ce qui fait mouvement dans le transfert social à savoir les connexions entre anneaux de valeurs mots -images et corps. Un mot prend une valeur dans sa connexion à une image, et cela se retrouve très tôt dans l’ouvrage avec la formule « construire des phrases à partir d’images et de mots » (P.41) et le ressenti corporel ne tarde pas alors à venir à travers les expressions « la salsa des phrases » ou « le tango des mots ».  Le but est bien avec l’élève de devenir citoyen et « renforcer ses futures relations sociales » De tenir un corps sous le regard social, le regard des autres est une situation qui se rencontre très tôt à l’école dans le transfert social et cette orientation donnée par l’auteure ouvre vers la libération de potentiels inhibés mais aussi, point capital, vers la prévention qui est celle de sentir bien dans son corps, dans sa peau. La question du plaisir et du jeu est bien sûr essentiel dans ce contexte. Nous pouvons à cet endroit évoquer l’enseignement du pédiatre et psychanalyste britannique Donald Woods Winnicott qui partait de la situation de son interlocuteur privilégié l’enfant. Il préconisait d’expliquer avec des mots simples des problématiques complexes, et l’on retrouve chez Lydie Saint-Victor cette qualité ainsi que la capacité à jouer sur les paradoxes et l’humour de l’enfant. Cela témoigne d’une fraicheur d’esprit des plus toniques. Trouver le langage au contact de l’enfant est l’autre grande qualité de ce qui circule dans cet ouvrage.

Cela fait transition avec la question du « Concept » et de son usage. Il convient dans la pédagogie de tenir compte de la fabrication des concepts et de son appropriation par l’enfant. C’est à cet endroit où la rencontre dialectique entre l’enseignant et l’enfant est cruciale : tout dépend de la manière dont l’enseignant envisage l’utilisation des concepts et il y a au-delà des écoles pédagogiques à cet endroit une séparation entre deux orientations. Il y a celle qui privilégie le Concept en tant qu’il serait synonyme de l’élévation de la pensée humaine, sa transcendance. Cette orientation tend  transformer la vie sociale en concepts s’éloignant ainsi de la réalité vécue. Il s’agit alors de la conviction de la domination du monde des idées sur l’organisation du monde matériel humain. Cela promeut le diktat de la maîtrise des idées sur la vie. Dans la pédagogie cela a pour conséquence de faire passer en premier l’idée de l’enseignant qui sait sur l’autre par principe, et cela entraîne beaucoup de préjugés néfastes. L’autre orientation à l’opposé de la première qui avait pour source la pensée idéaliste hégélienne, considère que le concept est un outil qui doit servir concrètement. Cette valeur du concept doit fonctionner et sa valeur doit être prise dans ce contexte ce qui implique comme le soutient Gaston Bachelard qu’un concept est fait pour mourir. C’est donc non l’idée qui prime dans le fonctionnement humain et l’apprentissage de sa pensée mais sa fonction utile, concrète matérielle. En allemand, langue de la philosophie classique où le mot concept a eu beaucoup d’importance dans l’histoire, concept se dit Begriff ce qui évoque le fait qu’un concept se prend par la main. Plutôt que l’idée abstraite et générale, ce que met en valeur l’auteure est le concret et le matériel pour l’enfant. Ainsi elle préconise l’utilisation de la pâte à modeler dans l’apprentissage des lettres. Pouvoir sentir une forme au bout des doigts associe la sensation de plaisir à celle de la sensation de la différenciation et cette approche matérielle concrète fait merveille pour l’enfant. Nous retrouvons là encore la logique de mise en fonction des anneaux de valeurs Mot Image Corps qui se retrouve aussi dans l’abord de la fonction du plaisir et du jeu dans l’abord pédagogique. C’est ainsi que l’enthousiasme de la pédagogie proposée par Lydie Saint Victor se propage dans l’apprentissage musical de l’histoire et la géographie. Il se retrouve également dans la question difficile de l’ordre hiérarchique de l’apprentissage de l’ordre orthographique et grammatical si nous déployons ce que nous avons trouvé en analyse pratique psycho-sociale à savoir que les connexions singulères Mot-Image-Corps correspondent à un ordre personnel singulier. Cette approche pédagogique transférentielle sociale prend toute sa dimension dans la question complexe de la trisomie 21 où l’auteure rappelle à juste titre que chaque enfant est unique. Il est également intéressant de noter que la fonction fondamentale du cacher/tromper dans la situation transférentielle revient dans ses exemples pédagogiques. De même c’est le transfert qui met en évidence le commun et les différences entre humains qui est au devant de la scène dans l’autisme. C’est aussi là où se met en application le ressort pédagogique essentiel qui renverse l’académisme. Ce ressort qui  associe sérieux et approche réellement scientifique est que si notre position ne permet pas d’avancer sur une problématique donnée, c’est qu’il convient de changer le rapport que nous avons avec cette problématique : le rapport social doit changer, là est le levier d’action. Cette valeur d'action revient régulièrement dans le texte de Lydie Saint-Victor et cela est suffisamment rare aujourd'hui pour en souligner le bonheur qui fait pédagogie d'enchantement.


 Hervé HUBERT

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