Préface du livre de Sœur Gloria Douailhy « Sexualité et vie consacrée » publiée chez L’Harmattan en 2023
Préface du livre de Sœur Gloria Douaihy « Sexualité et vie consacrée » publiée chez L’Harmattan en 2023
C’est avec enthousiasme que j’ai accepté de préfacer l'ouvrage de Sœur Gloria DOUAIHY
J'en fus le premier étonné puisque profondément athée et critique de la transcendance.
Pourquoi cet enthousiasme donc ?
j'ai été conquis par la formulation de la problématique, une formulation qui allie le récit humain et la démarche scientifique.
Cela est rare aujourd'hui et vaut la peine de le souligner d'emblée. Le récit humain renvoie à la vérité pratique de la réalité sociale et à la pratique sociale.
Ce qui prime dans la vie humaine est du côté de la pratique, du faire. C'est la pratique qui transforme la réalité et nous apprend. Sans que cela soit formulé comme tel, la transmission que nous offre Sœur Gloria en est un bel exemple.
Elle s’appuie sur ce point en faisant une grande part aux entretiens qu’elle va consacrer aux personnes concernées par la question de sa recherche théorique avec le titre évocateur « Partie pratique : des religieux aux prises avec le sexuel »
Ces témoignages sont d’une richesse inouïe reflétant les contradictions humaines et nous enseignent.
Cela est le point fondamental de l’ouvrage : la profondeur de la réflexion de Sœur Gloria DOUAIHY tient à l’absence de dogmatisme et de catégorisation des êtres humains, l’absence de ségrégation entre les humains. Grâce à l’absence de ces obstacles, il y a accès à une véritable libération humaine mais surtout à des outils pédagogiques qui font la trame de la réflexion qui permettent de lutter contre ces obstacles.
La grande force du propos est d’apporter du nouveau sur le thème principal de la chasteté, de la sexualité et de la consécration religieuse mais surtout de porter les conséquences de cette réflexion à l’universel humain. Il y a une intelligence de la mise en rapport qui transcende le sujet.
D’emblée en effet est mis en avant ce qui fait malaise dans la civilisation aujourd’hui. « Notre société contemporaine est pathologiquement prise par l’insistance sur le bien-être matériel » indique-t-elle très tôt et interroge l’individualisme narcissique dans la communauté croyante et religieuse. L’extension de la problématique se croise aisément aux problématiques communes aux humains.
Sa courageuse mise en question de l’Eglise transparaît dans le passage :
« Cependant, nous voudrions (…) exprimer notre avis sur le langage qu’utilise l’Eglise en s’adressant à ses fidèles. Œuvre-t-elle pour mettre en route une nouvelle vision morale qui implique tous les hommes et toutes les femmes du XXIème siècle dans un dialogue fructueux, afin de nous mener tous vers notre épanouissement dans une recherche perpétuelle de notre joie dans le Seigneur ? Quel devenir pour l’Eglise de demain ? Le célibat des prêtres restera-t-il obligatoire ? La fécondité in vitro restera-t-elle toujours condamnée ? Les moyens de contraception resteront éternellement indiscutables ? Le temps n’est-il pas venu pour que l’Eglise d’aujourd’hui se libère de la philosophie des Lumières qui l’a coincée dans des positions théologiques qui ne l’ont pas toujours aidée à s’épanouir au cours des siècles ?
N’est-il pas venu le temps pour que l’Eglise se libère de certains modèles de pensée qui « l’ont enfermée dans un carcan »26 ? Dans son article, RADCLIFFE prône la fin de la « culture du contrôle » et de « l’individualisme cartésien », pour que l’Eglise devienne « une oasis de liberté du Christ ». Nombreux sont les dilemmes auxquels l’Eglise doit faire face à travers des interactions dynamiques avec notre monde d’aujourd’hui, afin que son enseignement soit à nouveau considéré comme fondé sur le dialogue, voire « appelant » !
Cela est bien sûr capital pour l’Eglise mais ô combien pertinent pour nos institutions contemporaines ! Il s’agit effectivement de se libérer de la philosophie de la Déesse Raison et de l’hégélianisme. Il s’agit bien d’inverser la proposition hégélienne qui fait de l’Etat ou des institutions la vérité de la société civile. Ce sont les mouvements de la société qui deviennent la réalité effective et non l’Etat ou les institutions. Et ce sont les contradictions qui animent cette société qui font réalité effective, Wirklichkeit . C’est ce que nous avons appelé dans notre enseignement Transfert social.
Transfert ! Le mot est lâché. Le transfert psychanalytique sans être nommé est omniprésent dans ce qui fait l’étoffe du texte de Sœur Gloria.
Le transfert psychanalytique c’est de l’Amour adressé au Savoir répète-t-on dans les écoles psychanalytiques encore aujourd’hui. Cela fait écho à la déclaration de Freud lors d’une Soirée du mercredi le 30 janvier 1907 : « Nous contraignons le patient à renoncer à ses résistances par amour pour nous. Nos traitements sont des traitements par l’amour ». Cette conception a bien sûr évolué mais l’amour reste la boussole centrale de l’expérience psychanalytique. Là encore le croisement avec l’Amour de Dieu, le transfert vers Dieu ou le transfert de Dieu vers la créature humaine, est porteur de savoir nouveau sur cette question psychanalytique fondamentale, transformée en transfert social où le transfert de valeurs prend toute sa signification logique face à la privation de la chasteté. La chasteté comme libération pour l’amour de Dieu trouverait ainsi une nouvelle signification.
Cet humain transférentiel est mis en mouvement avec l’emploi du terme « poussée » utilisée dans l’ouvrage pour traduire le terme freudien de Trieb. Cela est heureux et rejoint le traitement des contradictions vivantes qui animent les vivants. C’est ce terme de poussée que nous avons repris dans notre analyse pratique psycho-sociale pour analyser les poussées contraires entre les valeurs de genre. Prendre la question transidentitaire avec ce terme de poussées contraires explique parfaitement les phénomènes de transition soit le passage d’une valeur de genre homme à une valeur de genre femme ou l’inverse. Espérons que la façon nouvelle d’aborder les questions relatives à la sexualité dans cette étude sur « la sexualité et la vie consacrée » aboutira à un regard plus juste de l’Eglise sur le phénomène transgenre. La référence aux Eunuques et à l’universalisme paulinien y incite certainement.
L’outil de la dialectique contradictoire est heureusement à l’œuvre comme dans le passage suivant :
« De plus, toute personne consacrée appartenant à une Église, qui ne donne pas toujours un enseignement précis au sujet de la continence sexuelle et qui ne donne pas non plus assez d’importance à une formation humaine et psychologique solides pour un meilleur vécu du célibat, peut se sentir, elle aussi, objet d’un conflit permanent entre son désir de plaire à Dieu et celui de faire de sa chasteté un moyen de liberté de cœur et un chemin d’épanouissement de sa personnalité »
Les outils psychanalytiques concernant la sexualité -qui n’est pas toute génitale- ou la sublimation trouvent leur utilisation concrète pour analyser et distinguer la chasteté de l’abstinence, l’amour sexuel charnel de l’amour sexuel sublimé, la sexualité du génital.
Mais toujours la dimension de la vie sociale et du transfert social revient comme en témoigne la phrase :
« Un va-et-vient entre le psychologique et le spirituel, aura lieu tout au long de ce chapitre, dans l’objectif de mettre en relief la base humaine dans la chasteté religieuse, sans mélange ! »
La chasteté est une production qui naît dans un rapport social et il est très bien décrit comment la prière fonctionne comme pensée dans un rapport social ou bien encore comment l’abstinence sexuelle vit des contradictions.
L’ensemble de ces réflexions mises en commun et partagées aboutit au point le plus important dans l’évolution de notre monde contemporain : le combat nécessaire contre toute conception de l’humain comme étant potentiellement un être déficitaire, prémice de l’idéologie qui a produit la barbarie nazie au XXème siècle avec le déploiement du concept antérieur de « sous-homme ». Et j’ose ici citer Aragon dans le poème célèbre « la Rose et le Céréda » évoquant celui qui croyait au Ciel et celui qui n’y croyait pas au cœur du combat commun. Cette ouverture est faite à de multiples endroits dans l’ouvrage de Sœur Gloria et j’extrairai le paragraphe suivant en isolant l’alliance en italique :
« Ce paragraphe montre explicitement la prise de conscience de l’Église du rôle de la maturité affective dans le vécu de la chasteté religieuse. Nous ne pouvons que dire que cet enseignement est sans doute indéfectible, mais il est aussi une sorte de réflexion qui nous semble indéterminée ! Il serait souhaitable pour l’homme de n’avoir aucune faiblesse, de posséder en maître toutes ses forces, de ne commettre jamais une erreur, de n’être jamais sous le coup d’un trouble, que ce soit dans l’ordre de l’organique ou psychique, mais cette intégrité parfaite de la naturelle n’existe pas. Pour cela, c’est à nous, hommes de foi et de sciences de la forger ensemble, jour après jour et main dans la main ! Devant la grandeur de la condition humaine et de ses possibilités naturelles d’adaptation et de sublimation, l’Église semble chercher toujours à faire prévaloir l’élément spirituel aux dépens de l’élément humain. »
Il y a ici dénonciation courageuse d’une forme bien particulière de transcendance, celle qui sert l’opportunisme institutionnel quel qu’il soit.
La force du texte est bien de tirer de l’analyse concrète des conclusions concrètes qui proposent du nouveau : « Rares sont les formateurs religieux de nos jours, qui croient à la grandeur de l’être humain et à ses capacités de sublimation. En d’autres termes, croire que « rien n’est fatal » et que le désordre affectif peut retrouver son ordre grâce aux apports de la science à la foi et en particulier les sciences humaines, n’est pas une caractéristique commune à tous les formateurs religieux, mais une réelle exception ! En majorité, ils ont tendance à voiler, non pas sans horreur, leur regard sur les réalités sexuelles et ne donnent presque jamais une lecture positive de cette tension, source d’un investissement authentique dans l’activité pastorale. Ainsi, cette tendance condamne tout climat de franchise et de confiance entre l’accompagnateur et le religieux. Le pire serait de les voir ensuite étonnés de voir les drames se nouer ! »
Le but de cet ouvrage est bien de fournir les conditions de démarches libératrices.
Je terminerai puisque, ce poète qui m’est cher, est évoqué dans le texte de Sœur Gloria, par un vers de Paul ELUARD:
« Mais je m’étonne de parler pour vous ravir
Quand je voudrais vous libérer pour vous confondre
Aussi bien avec l’algue et le jonc de l’aurore
Qu’avec nos frères qui construisent la lumière »
La lumière de l’algue et du jonc de l’aurore a droit de se manifester sans imposture « à côté de nos frères qui construisent la lumière »
Ecoutons ce léger murmure de l’artiste-poète pour formuler une vérité pratique : « Sexualité et vie consacrée » est à mettre dans toutes les mains vivantes qui sont utiles à extraire de cette étude magnifique, l’élixir qui pousse vers la création vivante et nourrira croyants et incroyants, psychothérapeutes, psychanalystes ou analystes praticiens de la société de demain.
Hervé HUBERT
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