Postface de mon livre " o percurso para a análise prática psico-social" en sa version française
Cette compilation d’articles a confronté la psychanalyse dans sa pratique et sa théorie aux rapports sociaux, aux rapports avec les autres.
Il y a eu plusieurs étapes dans ma réflexion depuis mon engagement dans le champ de la santé mentale et je souhaite les reprendre rapidement pour mettre au travail une logique. Marxiste depuis l’adolescence j’ai logiquement commencé avec ce transfert vers la valeur Marx. Lorsque je travaillais à l’Hôpital psychiatrique, je réalisais des rencontres avec les patients avec des petits livres dans ma poche : Politzer et ses principes élémentaires de philosophie, Marx et Engels avec la très prolifique « Idéologie allemande », Léontiev et son « développement du psychisme », Bonnafé et son texte « Lettre à un jeune psychiatre sur l’anti-psychiatrie ».
Psychiatre désaliéniste je militais pour une politique de santé nouvelle dans une période de l’histoire où des changements radicaux semblaient à portée de main en France. Je faisais mienne la proposition de Bonnafé qui est toujours d’actualité « pour s’ancrer solidement dans le combat global pour les libertés, on ne cessera de s’appuyer sur la proposition que le droit des gens, c’est de bénéficier d’autres services que les cadres réparateurs comptabilisants, et d’être servis par des moyens ne comportant pas en eux-mêmes une tendance invalidante. Selye écrivait : ‘’ Pour que les grands rêves deviennent des réalités il faut : 1° une grande capacité de rêver. 2° Une grande persévérance’’ Quant à Marx, Lénine , et quelques autres, ils ont souvent dit des choses de ce genre, en fournissant d’ailleurs d’excellentes règles pour l’action ».
J’ai ainsi travaillé dans une orientation désaliéniste à organiser des pratiques tenant compte des conditions de travail des usagers, par exemple en proposant un travail de recherche sur le répercussions mentales des conditions de travail des ouvrières dans les usines de conserverie de poisson, ce qui me paraissait en prise dialectique concrète avec l’organisation des dispositifs de soins dans le secteur géo-démographique dont j’avais la charge. Psychiatre de service public je pratiquais ainsi comme travailleur de la santé mentale.
Je m’intéressais également à la question de l’acte humain dans sa valeur d’expression violente en travaillant en tant qu’expert des tribunaux afin de trouver à chaque fois dans l’acte criminel commis la logique qui le détermine, non dans une orientation diagnostique ou psychopathologique mais dans le but d’apprendre sur le fait social de l’acte criminel, sa valeur dans la civilisation capitaliste, et surtout mettre en avant la perspective transférentielle de l’acte. Ce transfert vers l’acte criminel me paraissait pris dans la conjonction du geste et de la parole, le poids du regard et de l’image trouvant le point de rencontre dynamique avec le mouvement qui fait passage à l’acte et sépare de l’insupportable. C’est cet axe transférentiel qui m’interrogeait également dans la pratique de soin avec les personnes qui connaissaient l’expérience de la folie. Certes je connaissais la maxime de François Tosquelles : « Nous sommes tous fous mais nous ne sommes pas tous malades de notre folie » mais je m’interrogeais : « dans l’histoire transférentielle qu’est ce qui orientait telle personne ordinairement folle vers une folie souffrante qui rendait malade ? »
Le transfert devenait la question première et je cédais ainsi à la tentation psychanalytique, le passage vers la « pratique du dire » associée à l’expérience du divan devenait incontournable dans le but de savoir y faire avec la pratique humaine dans le transfert et son rapport à l’inconscient. Il est un fait que cette expérience m’a intéressé et m’a offert des moments de vie passionnants mais aussi désespérés. L’association libre montrait de fabuleuses trouvailles et je cherchais toujours à trouver une logique de vie dans l’expérience rapportée à l’inconscient. Cependant cette logique était biaisée dès le départ de l’expérience et je ne m’en apercevais pas. J’étais pris dans un délire, une production délirante bâtie sur une expérience vivante interprétée à partir de postulats édictés comme points de vérité. Nous retrouvons là le fondement de l’interprétation psychanalytique et sa mystificatrice « interprétation des rêves » ou bien celui du lacanisme avec l’interprétation du signifiant et de la lettre comme interprétations exclusives. Dans le fondement psychanalytique se trouve le délire interprétatif en secte et sa religion.
Cette sortie du délire a été pour moi longue, faite de ruptures successives trouvant une continuité logique dans l’histoire. Le retour à Marx a été décisif, nous l’avons souligné dès l’introduction. Il a été exposé au long de ce livre tous les bonds qualitatifs effectués et nous arrivons au niveau de l’APPS à une maturité théorique et pratique qui nous fait sortir de la référence à la psychanalyse dans le titre même de notre association. APPS passe d’Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale à Analyse Pratique Psycho-Sociale. Nous devenons en tant que membres de l’APPS des analystes praticiens et la force du mot « Pratique » est branchée directement sur la seconde thèse adressée par Marx à Feuerbach. Il va être ainsi temps pour nous de tirer enseignement de la postface de Marx à la seconde édition allemande du Capital sur la transmission dialectique : « En définissant ce qu'il appelle ma méthode d'investigation avec tant de justesse, et en ce qui concerne l'application que j'en ai faite, tant de bienveillance, qu'est-ce donc que l'auteur a défini, si ce n'est la méthode dialectique ? Certes, le procédé d'exposition doit se distinguer formellement du procédé d'investigation. A l'investigation de faire la matière sienne dans tous ses détails, d'en analyser les diverses formes de développement, et de découvrir leur lien intime. Une fois cette tâche accomplie, mais seulement alors, le mouvement réel peut être exposé dans son ensemble. Si l'on y réussit, de sorte que la vie de la matière se réfléchisse dans sa reproduction idéale, ce mirage peut faire croire à une construction a priori. Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base de la méthode hégélienne, mais elle en est même l'exact opposé. Pour Hegel le mouvement de la pensée, qu'il personnifie sous le nom de l'idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n'est que la forme phénoménale de l'idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme. »
Marx fait référence dans cette postface au texte russe écrit par Kaufman paru dans le Vestnik Evropy [le Messager de l'Europe], année 1872, dont nous avons fait part dans la conclusion de ce livre, texte que Lenine reprend dans son article « Ce que sont les amis du peuple », OC tome I, p. 143 - 217, Juillet 1894, Editions sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou.
Nous avons grâce à l’initiative de Maico Costa une mise en lumière de la période d’investigation qui précède le procédé d’exposition. Nous avons aujourd’hui la tache exaltante de passer à la phase d’exposition du nouveau concept d’ « analyse pratique » qui dépasse celui de psychanalyse du fait de sa prise en compte de la dialectique comme outil orienté par Marx. Nous avons investigué avec l’APPS et cela a été le travail de ce que nous avons lancé avec le mot d’ordre « Psychanalyse sociale ». Ce mot portait en lui les ambiguïtés, les poussées contraires.
Nous avons donc mis dans la marmite de l’APPS ces poussées contraires et dans cette cuisine cela a bouillonné. J’utilise ce mot « cuisine » car il fait forcément référence à une pratique. Ma pratique à partir de 2007 a été aussi d’être chef de service d’un centre de consultations psychanalytiques à Paris. Je croyais ainsi quitter la psychiatrie puisque j’avais été jusqu’alors praticien à l’hôpital psychiatrique, chef de secteur organisant les soins en santé mentale dans un territoire géo-démographique puis praticien dans un hôpital de jour. Je ne pensais pas tomber dans ce qui fait le coeur de la ségrégation en santé mentale, à savoir la psychopathologie. Je m’étais débarrassé de la référence aux médicaments et de la nosographie psychiatrique mais retrouvais les ségrégations multiples liées à la psychopathologie. Cela fut une expérience très formatrice, me poussant à me différencier et à me séparer des pratiques rencontrées. Il y aurait beaucoup à écrire sur les « maladies infantiles de la psychanalyse » qui me paraissent tourner autour du puérilisme, de l’hypocrisie, de l’infatuation de savoir sur l’autre. Cela est bien sûr à raccorder à la prédominance théorico-pratique de l’infantile, du semblant et du savoir sectaire, coupé. J’ai heureusement rencontré des personnes qui m’ont aidé à franchir des étapes décisives. Cela ne s’est pas produit par hasard. J’avais introduit, et cela a fait immédiatement conflit, des étudiants en psychologie dans le dispositif de soins, considérant que la capacité à faire éclore les potentiels inhibés chez l’autre ne relevait pas du diplôme universitaire. J’avais également pris soin d’accueillir des personnes portant d’autres langues que le français, introduisant ainsi d’autres valeurs. Rien d’étonnant à ce qu’une étudiante chinoise créée pour nous le terme de « psychanalyse sociale » et surtout transmette que ce qui ressort de la pratique politique en République Populaire de Chine est de se servir de Marx comme outil. Cela était en 2013 et cela a fait son chemin. Quelques années plus tard une étudiante venue des pays de l’ex-URSS Liuba Churyla, allait m’interroger sur la pertinence du mot « psychanalyse » dans ce que nous développions à l’APPS. Elle mettait ainsi à travers son rapport pratique à la vérité le doigt sur le mot qui portait toutes les contradictions inhérentes à notre pratique à l’APPS. Je tenais au mot psychanalyse sous prétexte que nous faisions référence à une pratique de transfert et à un insu de cette pratique, un inconscient. Mais le transfert et l’inconscient n’avaient pas la même base, le même usage, la même pratique, la même conséquence pratique..Je ne cessais de dire, et répéter cette idée mais il convenait de la faire, de la mettre en pratique, et partir enfin de cette nouvelle base de la pratique sociale. Liuba Churyla dans nos dialogues insistait sur la nécessité d’un changement de nom et quitter « psychanalyse sociale » pour aller vers « analyse pratique ». Les événements historiques qui se déroulent dans les pays de l’ex-URSS me faisaient prendre conscience effective grâce à la pertinence de son analyse que de partir de la base idéologique était catastrophique. Partir de cette base permettait toutes les saloperies, tous les meurtres et cachait les intérêts personnels du Pouvoir. Mettre en avant le primat de l’idéologie communiste pour défendre ce pouvoir devenait une erreur tragique, meurtrière. Elle me faisait comprendre que de partir de l’idée et de son primat était propice à cacher le jeu des transferts de valeurs au sein du peuple, la vie sociale réelle vécue par les personnes, ce sur quoi on devait agir après en avoir fait l’analyse. Cela m’éclairait sur un texte ancien « psychanalyse, une idéologie réactionnaire -autocritique » publié en 1949 par huit psychiatres communistes français dans la revue « La nouvelle critique ». Un travail futur sur le contenu de ce texte sera certainement un travail d’adieu à la psychanalyse. Il permettra de rompre avec ce qui fut un temps notre orientation, à savoir la critique de François Châtelet faite à la psychanalyse. Ce dernier écrivait dans son « Histoire de la philosophie-Pour ne pas conclure » :
« A considérer le destin historique de la psychanalyse, on mesure le destin prodigieux du dégât. Bâtie sur une métaphysique en ruine, sur une médecine positiviste et sur une esthétique traditionnelle, la doctrine freudienne a produit à la fois, une conception révolutionnaire des rapports sociaux, un renouvellement foncier du rapport théorie - pratique, une institution répressive articulée sur l’ordre psychiatrique et une technique de normalisation sociale. Freud n’a jamais eu a dénier comme Galilée ses inventions. » On retrouve ici et de façon très ramassée, toutes les contradictions qui accompagnent la psychanalyse freudienne. Mais nous trouvons aussi ce en quoi nous avons cru un temps à savoir que l’apport de Freud était révolutionnaire. Et c’est ce point crucial qui est aussi bien remis en question par cette jeune psychologue que par ces huit psychiatres communistes après la catastrophe de la barbarie nazie.
Nous en tirons avec eux les leçons pour le présent et l’avenir.
Dans ce contexte comme dans beaucoup d’autres un retour à Lenine s’impose et nous terminerons par le commentaire d’un extrait de sa critique faite à la philosophie de l’empiriocriticisme. Il insiste sur la théorie du reflet et son opposition ainsi formulée aux théories qui font dériver le physique du psychique. Il s’oppose au primat du psychique et c’est à partir de ce point que nous pouvons dire qu'il n’y a pas de révolution psychanalytique.De même il n’y a pas de primat de la sensation, les choses objectives existent indépendamment de ces sensations. La conception selon laquelle la nature objective dérive du psychique ou est secondaire par rapport au psychique est dangereuse et néfaste.
« Si la nature est un dérivé, il va de soi qu'elle ne peut dériver que d'une chose plus grande, plus riche, plus vaste, plus puissante qu'elle-même, une chose existante, car pour qu'elle « dérive » d’une chose, il faut que cette chose existe indépendamment d'elle-même. Quelque chose existe donc en dehors de la nature et dont, de plus la nature dérive. Traduit en clair, ce quelque chose s’appelle Dieu . Les philosophie idéaliste se sont toujours efforcé de modifier ce terme, de le rendre plus abstrait, plus nébuleux, et en même temps ( pour plus de vraisemblance) de le rapprocher du « psychique », « complexe immédiat », donnée immédiate qui n'a pas besoin d'être démontrée. Idée absolue, esprit universel, volonté du monde, « substitution générale du psychique ou physique ou autre, autant de formules différentes exprimant la même idée. »
Lenine, OC 14, p. 237
Hervé Hubert, le 26 juillet 2021
Illustration : ©Bram Van Velde
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