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Penser la résilience  




Introduction


“Une évolution des mentalités est aussi une évolution des mots ! Nous ne rentrerons pas ici dans le débat de savoir si l’idée précède le mot, ou bien si c’est l’inverse, mais il faut bien reconnaître que celui de résilience, aujourd’hui, a du ressort ! On parle pêle-mêle de personnalité résiliente, de matelas résilient, de démocratie résiliente ou d’élève résilient.

Serge TISSERON


Le terme "résilience" est employé avec constance, à notre époque. Et ce, dans les champs les plus divers :  journalistique, militaire, économique, social, religieux, environnemental, artistique, etc. Comment apporter un cadre scientifique à cette notion, souvent dénaturée et employée de façon extrêmement superficielle par les médias dominants ?

Nous nous focalisons sur le cadre vers lequel porte notre recherche : l'analyse psycho-sociale et l'expérimentation de méthodes visant à permettre à des personnes ayant vécu un trauma ou  vivant des "transferts de souffrances sociales dans le mental" pour reprendre les thèmes abordés par le Dr Hervé Hubert, psychiatre, psychanalyste, dans ses conférences: Pour de nouvelles pratiques entre humains.

Mais, quelle est l’origine du concept de résilience ? Pourquoi celui-ci a-t-il pris une telle  importance au XXIe siècle ? En détaillant les différentes notions ayant aidé à son émergence comme le risque, la vulnérabilité et l’invulnérabilité, il nous semble important d’essayer de faire un inventaire/analyse d'une partie de la littérature scientifique concernant la résilience, et de retracer son évolution sémantique, en nous arrêtant sur l’étymologie du mot, et ses multiples définitions.

Nous allons aussi étudier le rôle de l’interaction de l’individu avec son entourage, et ceci en développant les facteurs qui facilitent ce processus, et en décrivant l’impact du tuteur, dans la mobilisation des ressources internes de sujets qui ont pu « rebondir » à la suite d’un traumatisme. Nous nous interrogerons : Quels sont les domaines, les aspects, et les limites de la notion de résilience ? Finalement, nous proposerons une conclusion de notre approche du concept de résilience au terme d'une étude d'une sélection de la littérature spécialisée.


1- Origine et évolution du concept de résilience (risque, vulnérabilité, invulnérabilité)


“La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute”

Nelson MANDELA


Nous l'avons vu, le terme de résilience est extrêmement employé dans les médias, à n'importe quel propos, très souvent de façon inappropriée. C'est devenu un cliché du vocabulaire journalistique. Souvent, extrêmement éloigné du sens du terme, en ce qui concerne les souffrances dans le mental. Nous allons essayer, dans ce qui suit, de retrouver des traces de l’origine, ainsi que l’évolution du concept, et ceci pour aider à mieux comprendre en quoi consiste la résilience, d'un point de vue scientifique. Sur le plan étymologique, le mot latin resilire est dérivé du verbe salire, qui signifie "sauter", et du préfixe "re" qui désigne un mouvement vers l’arrière. Telle est l’origine linguistique du terme  résilience (en anglais resiliency). Sur le plan psychologique, Cyrulnik (2012) attribue la conception du mot résilience à Werner. Cependant, la première personne à avoir employé le terme de résilience en psychologie, en 1969, pour qualifier «  les personnes qui ne se laissent pas abattre » (Laplanche & Pontalis, 1996), est le psychiatre et psychanalyste britannique Bowlby.

Si la recherche sur la résilience dans le champ de la psychologie est récente, et remonte au début des années 1970, il semble que ce thème existe depuis bien longtemps. Vanistandael (1994) déclare que ce concept est «  sans doute aussi vieux que l’humanité ». Michallet (2010) dit que les chercheurs se sont longuement intéressés à l’étude «  portant sur l’expérience des individus faisant face à l’adversité, ayant subi des traumatismes ou ayant survécu à des situations extrêmes  » sans, nécessairement, la nommer par le terme de résilience. En explorant le domaine de recherche sur la résilience dans le champ de la santé mentale, nous découvrons qu’il existe, à son origine, trois notions ayant contribué à son émergence, qui sont - le risque, - la vulnérabilité et – l’invulnérabilité.


Le risque et la naissance de la vulnérabilité


"Le trauma fracasse, c'est sa définition. Et la résilience, qui permet de se remettre à vivre, associe la souffrance avec le plaisir de triompher. Curieux couple !”

Boris CYRULNICK


Historiquement, la notion moderne du risque est apparue en France au XVIIe siècle, en même temps que s’est développée la théorie mathématique des probabilités (INERIS, 2021). L’une des premières analyses importantes de la notion de risque est faite par le sociologue allemand Beck, (1986), dans son ouvrage «  La société du risque  ». Selon Beck, le progrès qui active le développement des sociétés industrielles depuis le XIXe siècle, est estimé comme source de richesses, mais aussi cause de menaces, de dangers, d’atteintes à la santé et à la sécurité. Beck considérait ces multiples notions comme des composantes du concept de «  risque  ». A noter que le risque n’est pas forcément un synonyme de danger. Le risque est associé à une idée d’incertitude et de potentialité de danger. Or, avec le danger, nous sommes pleinement dans l’évidence de ce que le risque représente.

Avant d’intéresser les sciences sociales et humaines, et en particulier la psychologie clinique, la question du risque, et l’apparition de maladies pouvant y être rattachées, est un domaine qui a fait travailler les médecins et les chercheurs en médecine. Ce sont Soule et Joël (1999), qui démontrent que, de cette recherche-là, va apparaître une nouvelle préoccupation  : la prévention. Anaut (2007) considère qu’il existe un croisement entre facteurs de risque et facteurs de protection et/ou de prévention dans l’émergence de la résilience. Elle définit les facteurs de risque comme étant «  les éléments susceptibles de compromettre l’adaptation sociale et psychique de l’enfant  ». Tandis que le risque d’inadaptation sociale est défini comme «  un événement ou une condition organique ou environnementale qui augmente la probabilité pour l’enfant de développer des problèmes émotifs ou de comportement » (Anaut, 2007, p. 331). En effet, l’entourage de la personne pourrait éventuellement lui porter des ressources positives, voire protectrices, qui lui permettent de se reconstruire et de se remettre debout devant une situation délétère.

Les facteurs de risque qui concernent la famille sont répertoriés de la sorte  : «  la précarité économique et la pauvreté, l’insalubrité du logement, les troubles mentaux (comme la déficience mentale, la maladie invalidante, l’immaturité, etc.) Le risque est relié à l’inadéquation des attitudes éducatives parentales, à la mésentente chronique et aux conflits familiaux, à la violence intrafamiliale, à la maltraitance et aux abus, à la sous-scolarisation parentale ou encore à la fratrie nombreuses  » (Anaut, 2007, p. 331). Ces facteurs pourront soit déclencher soit empêcher le processus de résilience chez une personne confrontée a une situation traumatique. Nous ne pouvons pas oublier, non plus, le rôle important des ressources individuelles de la personne dont elle dispose dans le développement de la résilience.


De la vulnérabilité à l’invulnérabilité


Selon Fortin et Bigras (2000), l’invulnérabilité réfère à l’idée que « la constitution de certains enfants est si forte qu’elle ne peut céder à des événements stressants, quel qu’ils soient ». Pour Garmezy (1993), invulnérable est défini comme « incapable d’être blessé », « ne risque pas de se faire blesser physiquement » et « ne peut pas être agressé ». Suite à une épreuve traumatique, les capacités de résilience de la personne pourraient être activées soit spontanément par l’individu, soit par l’intervention d’un soutien de son entourage.

Dans le cadre clinique, des études intéressantes ont été menées, il y a bien longtemps, par (Anthony et al., 1982) sur les facteurs de risque et de vulnérabilité. Pour eux, les éléments de fragilité familiale prédisposaient à la non - adaptation de l’enfant, et à l’apparition de troubles comportementaux et de perturbations psychologiques, voire relevant de la psychiatrie.

Par sa métaphore des trois poupées, Anthony (1974) montre que « la personnalité de chacun s’exprime différemment en réponse à une agression identique. Ainsi, la poupée en verre, la poupée de chiffon et celle de plastique ne réagiront pas de manière identique à un même coup de marteau ». Une même personne peut se montrer très résistante à certains traumatismes, et beaucoup moins à d’autres. De plus, un même événement n’aura pas le même effet sur différentes personnes. « Cette résistance ou cette vulnérabilité dépend aussi des caractéristiques de  l’environnement, qui peuvent agir comme facteurs de protection, de risque ou d’aggravation » (Anthony, 1974). Les milieux physique et psychologique provoquent alors un risque  ; la vulnérabilité et l’invulnérabilité sont désormais un effet déterminant de l’exposition à ces risques. Ainsi,  «  la maîtrise est une force induite chez l’individu qui les conduit à éprouver sans cesse sa force contre celle de son environnement et à s’affirmer même dans les circonstances catastrophiques  » (Anthony, 1974). En d’autres termes, nous voyons Anthony introduire ici l’idée que ce sont bien les risques qui permettent à l’individu de développer ses potentialités.

Cette perspective tend à montrer que les réponses d’une personne face au danger et à l’adversité seraient  soit succomber à l’adversité et donc la vulnérabilité, soit surmonter cette adversité, en activant les facteurs de protection, et donc l’invulnérabilité voire de résilience. Nous voyons Anthony ajouter, dans le même ouvrage, que certains facteurs protecteurs vont atténuer les risques, alors que d’autres vont les multiplier. En d’autres termes, les facteurs de protection ne sont pas nécessairement des facteurs de résilience. Les recherches sur la résilience proposent d'autres analyses, dans cette acception linéaire et causale. Elles envisagent le risque et la vulnérabilité d’un côté, et les modes de protection et l’invulnérabilité (voire la résilience) d’un autre côté. Rutter (1993) critique la notion d'invulnérabilité  : « le concept semble impliquer que l’invulnérabilité est une caractéristique intrinsèque de l’individu ». Ce modèle d’invulnérabilité si attrayant, semble-t-il, ne peut guère s’appliquer à tous les individus. Il induit une certaine fixité, ce qui contredit parfaitement les théories de la psychologie clinique, qui, elle, respecte le développement perpétuel de la personne humaine ainsi que ses périodes critiques, la notion du temps et la possibilité du changement, le cycle de la vie.

Il n’y a pas que les ressources internes qui définissent la vulnérabilité ou l’invulnérabilité chez l’individu, mais il faut tenir compte, aussi, de l’importance du soutien de l’environnement extérieur. Avec ce que nous venons de citer comme éléments de santé mentale, nous concluons avec Rutter qu’il serait faux de dire qu’une personne invulnérable le demeurerait tout au long de sa vie, ou bien qu’une personne vulnérable le resterait toujours. Ainsi, nous pouvons dire, avec Manciaux (2005), que la résilience n’est pas absence de risque, ni protection totale et définitive. Elle serait le résultat de l’interaction entre facteurs de risques et facteurs de protection variés.


L’invulnérabilité et la naissance de la résilience


 "Dans ce deuil, une fois encore, elle étonna ses amis par son immédiate résilience"

André MAUROIS


Certains domaines de protection peuvent atténuer le risque de la vulnérabilité. Anaut (2007), parle de trois facteurs qui aident la personne traumatisée à passer de la vulnérabilité à l’invulnérabilité voire, à la résilience. Elle cite les facteurs individuels, les facteurs du contexte familial, et les facteurs socio-environnementaux:


  • Parmi les caractéristiques individuelles, nous trouvons : la capacité de résolution de problèmes liée à l’efficience intellectuelle, la compétence langagière, le tempérament optimiste, la capacité à nouer des amitiés et des relations sociales positives, une bonne estime de soi, la tendance à l’anticipation et la capacité à se projeter dans l’avenir, la croyance en ses capacités et en son efficacité, l’attribution interne, l’engagement dans des activités, et enfin le sens de l’humour.

  • Parmi les facteurs de protection d’ordre psychoaffectif liés à la famille, nous citons : une relation affective intime et positive avec au moins une personne de la famille (un parent, un grand-parent, un membre de la fratrie, etc.), une relation parentale efficace (avec au moins un parent) basée sur la chaleur affective, l’encadrement éducatif, et des attentes élevées, la possibilité de nouer des relations chaleureuses avec la famille élargie (oncles, cousins, tantes, etc.)

  • Parmi les facteurs issus du contexte social et environnemental, nous désignons : les facteurs de risque familiaux et environnementaux, les facteurs communautaires ou sociaux, avoir des contacts ou des relations avec des modèles adultes positifs qui peuvent offrir au sujet un modèle d’étayage, le soutien social de certains groupes communautaires. Par ailleurs, l’accès à une bonne qualité éducative, et la rencontre avec de bons éducateurs pourrait offrir au sujet des pôles identificatoires positifs pouvant suppléer les inadéquations parentales. À cela ajoutons une bonne insertion professionnelle.


Cette citation de séries de facteurs pourrait nous induire dans une certaine fixité, et ne pas nous fournir un cadre explicatif. Pour cela, nous tenons à dire avec Brown (1982) que la façon de détecter l’invulnérabilité ou la vulnérabilité n’est pas si simple, et ne peut guère s’appliquer à tous les individus. Ce n’est que par l’étude des personnes confrontées à de nombreux facteurs de risque, mais qui ne s’effondrent pas, que nous pouvons « identifier les forces qui les ont aidées », et ainsi désigner les facteurs qui « engendrent l’invulnérabilité ». Nous pouvons conclure avec Michallet (2010), en disant que « l’invulnérabilité n’est pas la résilience car, pour qu’il y ait résilience, il faut au préalable avoir été touché et déstabilisé par un événement. »


Émergence du concept de résilience


“La résilience : comment se construit-on après avoir subi des atrocités. Il ne s'agit surtout pas de pardon, et évidemment pas d'oubli “

Régis LEJONC


Comme nous venons de voir, la vulnérabilité et l’invulnérabilité semblent être des modèles insuffisants pour comprendre pourquoi un certain individu exposé à un haut risque ne succombe pas à la pathologie. Les chercheurs se sont mis alors, d’après Michaud (1999, p. 827), à se demander « quels étaient les facteurs qui permettaient à un individu donné de maîtriser une situation de stress et d’en éviter ainsi les conséquences néfastes du point de vue de la santé et du bien-être ». Ils ont commencé à étudier les compétences de ces personnes, leurs capacités à faire face au stress, et à minimiser les affects négatifs, leur perception positive, d’eux-mêmes, mises en place, parmi d’autres, dans le processus d’adaptation. C’est alors qu’ils ont regroupé l’ensemble de ces facteurs de protection sous le terme de résilience. C’est avec Anthony, dans son livre « L’enfant vulnérable », que nous voyons apparaître, probablement pour la première fois, la notion de résilience dans cet ouvrage publié en 1982. Nous le voyons introduire, cette notion, dans cet ouvrage de référence sur la résilience. Il la distingue notamment des notions de vulnérabilité et de risque. Le premier congrès mondial sur la résilience affirme que l’étude scientifique de la résilience a débuté au cours des années 1960-1970, mais ne s’est véritablement développée qu’au cours des deux dernières décennies, et plus particulièrement depuis le début du XXI siècle, et ceci dans les pays anglo-saxons en premier lieu.

En psychologie, Werner a proposé la métaphore du mot résilience utilisé dans le lexique français. Ce terme, propre à l’agriculture, décrit un sol résiliant, capable de refaire naître la vie après une mort provoquée par un incendie ou une inondation. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le glissement de la métaphore du principe de résilience du domaine de l’agriculture au domaine de la psychologie a vu le jour en 1989, lors de l’analyse par Werner des données empiriques de sa recherche longitudinale qui ne portait pas, initialement, sur la résilience. Il nous semble important de reprendre brièvement cette métaphore qui a permis à Werner de s’investir dans une expérience d’éducation à Hawaï, portant sur 698 enfants laissés à eux-mêmes, de la naissance à l’âge adulte, et démunis de la moindre attention sur l’île de Kauai. Cette recherche dura une trentaine d’années (de 1955 à 1985). La surprise de l’équipe accompagnant cette population, c’est qu’un tiers de ces enfants à risque n’ont pas connu de troubles particuliers pendant leur enfance, et sont devenus des adultes heureux et compétents. De plus, un nombre considérable de ces enfants à haut risque ayant connu des problèmes durant leur enfance, ont été capables de se reconstruire à l’adolescence et à l’âge adulte.

Cette recherche montre que ce n’est pas parce que des personnes se développent dans des environnements particulièrement défavorables que cela va entraîner la survenue de troubles et de pathologies. L’environnement familial et communautaire aurait une influence sur la résilience des enfants. Selon Michallet, un grand nombre de ces enfants ont évolué favorablement aux soins des accompagnateurs. Il montre dans son article que malgré un sombre pronostic, la famille ou la communauté qui entoure la personne qui vit des réalités difficiles, pourrait jouer un rôle de réadaptation auprès d’elle, en l’aidant à devenir des adultes équilibrés et présentant des traits de caractère en commun, tels que le sens de l’autonomie, une bonne estime de soi, un sentiment de cohérence, des dispositions sociales positives, et un contrôle interne.


2- Les sens du mot résilience


“La résilience n’est pas un trait que vous êtes né avec ou sans. C’est quelque chose que vous pouvez apprendre et développer”

G. Vince LOMBARDI


Ce n’est qu’en 1932 que l’adjectif résilient a été intégré dans le dictionnaire Larousse. La résilience, ici, est un terme propre à la physique, pour décrire l’énergie absorbée par un corps suite à une déformation. « A l’origine, le concept de résilience était uniquement associé à la physique et à l’ingénierie » (Michallet, 2010). Ce mot français s’est bien développé aux Etats-Unis avant son introduction en France, dans le domaine de la psychologie, à partir des années 90. Ce terme de physique, désignant d’abord la résistance d’un matériau aux chocs, a été largement appliqué au champ de la psychologie dans les pays anglo-saxons. Le mot anglais « resiliency » (Cyrulnik, 2001) unit les idées d’élasticité, de ressort, de ressource et de bonne humeur. Cyrulnik et Elkaïm (2010) déclarent que le concept de résilience provient de la mesure de la résistance des matériaux : « il s’agit de la capacité pour une barre de métal à retrouver son état initial après avoir subi un choc ». Le champ sémantique de la résilience s’est ensuite étendu à d’autres domaines tels que la biologie, la psychologie, l’économie, les sciences sociales, l’écologie et bien d’autres domaines. « du point de vue étymologique, le mot résilience est composé du préfixe latin re qui indique un mouvement en arrière et salir qui signifie sauter » (Michallet, 2010). Cette origine latine lui donne alors plusieurs sens, comme sauter en arrière, reculer, s’éloigner de, éviter, se retirer sur soi, se réduire ou se replier.

Résilier signifie, notamment en droit, mettre fin à un contrat, à un engagement. Anaut (2003) précise que « la résiliation se situe donc dans le processus de désengagement ». Selon Michallet, ce mouvement de reculer en arrière, c’est pour « mieux sauter », pour « rejaillir », pour « rebondir » comme le disent bien les Anglo-saxons, et pour « se reconstruire après un choc » comme le décrit Tisseron. Pour Gianfrancesco (1999), resilio comporte deux conceptions : « celle de contraction, de retour sur soi, et celle de rebondissement, de mouvement dynamique vers l’avant ». Ce mouvement à double tranchant : revenir en arrière et sauter vers l’avant est intrinsèque au processus de résilience. « Pour qu’il y ait résilience, il faut au préalable avoir été touché et déstabilisé par un événement. » (Michallet, 2010).

La résilience a été médiatisée en France par Cyrulnik. Celui-ci parle de l’origine de cette notion dans son article « le principe de résilience, ou comment guérir de ses traumatismes et de ses blessures ». Cette notion de résilience, utilisée en psychologie, renvoie à « un ensemble de processus qui consiste pour un individu à surmonter un traumatisme psychologique afin de se reconstruire » (Youmatter, 2019). Comme nous l’avons vu précédemment, ce terme a vu le jour dans le domaine de la psychologie avec Werner (1989), puis s’est développé avec différents spécialistes de la recherche sur le risque et son rôle dans la construction de la résilience. Ce retour à l’étymologie nous permet de préciser que la résilience est une capacité de résistance, impliquant de mettre fin à quelque chose, et qui oblige un retour sur soi-même. Résistance à laquelle s’ajoute un caractère dynamique permettant de dépasser le choc initial.


Définitions plurielles de la résilience


“La résilience est le pouls de l’humanité, c’est le battant de cœur qui nous permet de continuer à avancer malgré les difficultés et les épreuves”

H. Mary Anne RADMACHER


La notion de résilience, nous semble-t-il, a plusieurs ramifications car « elle propose une approche multidimensionnelle » (Theis, 2006). Depuis une trentaine d’années, les chercheurs qui travaillent dans ce champ, définissent la résilience selon deux approches différentes :  approche descriptive et approche conceptuelle ou théorique.  L’approche descriptive se fait selon leurs observations du terrain. Tandis que l’approche conceptuelle se réalise en essayant de comparer la résilience avec d’autres concepts théoriques tels que le coping, la stratégie de l’ajustement, l’adaptation, la résistance, la résonance et autres. Les différentes approches de la résilience ne sont pas pour l’instant notre sujet d'étude. Nous avons choisi de présenter ici quelques définitions de la résilience, qui portent plusieurs éléments importants pour notre recherche.


La résilience est-elle une caractéristique de l’individu ?


“La résilience est la vertu la plus importante que nous puissions posséder. Elle nous permet de continuer à avancer malgré tout, de ne jamais abandonner, de toujours croire que nous sommes capables de relever les défis les plus difficiles”

J. Winston CHURCHILL


Selon Cyrulnik (1999), éthologue, psychiatre et psychanalyste, la résilience est « l’art de naviguer dans les torrents ». La résilience, c’est renaître de sa souffrance : c’est réapprendre à vivre après un grand malheur. Elle est une reconstruction après un traumatisme ravageur, après une profonde souffrance. On a été détruit par un trauma. Ou bien on se laisse faire, on est dominé par le passé et dans ce cas-là on reste détruit, ou bien on se remet à reconstruire une autre manière de vivre. Etre résilient, c’est être capable de se développer en dépit de l’adversité. La résilience est « la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comportent normalement le risque grave d’une issue négative » (Cyrulnik, 1999, p. 8). Normalement, face au malheur et à des situations stressantes, l’individu mobilise ses ressources personnelles et communautaires (au cas où elles existent) pour adopter des attitudes positives lui permettant d’envisager le deuil ou la perte en question.

Par définition, et selon les partisans de la psychanalyse, la résilience est conçue comme un processus, un ensemble de phénomènes harmonisés, où le sujet se faufile dans un contexte affectif, social et culturel. La résilience, répétons-le « c’est l’art de naviguer entre les torrents » (Cyrulnik, 1999, p. 8). C’est la capacité de transformer un malheur en bonheur. Par quelles armes ? « J’ai appris à transformer le malheur en épreuve. Si l’un fait baisser la tête, l’autre la relève » (Cyrulnik, 1999, p. 9) explique Enjolet. Cyrulnik (1999) parle de la résilience comme d’« une capacité non pas inhérente au sujet, mais issue d’une confrontation à un terrain hostile, donc comme une compétence qui se construit sur la possibilité de transformer une situation traumatique en une épreuve de laquelle pourrait surgir quelque chose de beau ou de bon, malgré le malheur ». Une mise à l’œuvre de processus adaptatifs s’installe après la perturbation engendrée par des situations à risque.

A partir de son expérience clinique « avec des enfants et des jeunes maltraités en famille ou en institution et victimes de différentes modalités d’agression sexuelle » (Manciaux, 2015), Manciaux considère la résilience comme « un autre regard qui ne réduit pas l’autre à sa souffrance pour les victimes, à leurs crimes pour les agresseurs, et qui cherche, au-delà de ces réalités, les ressources, au moins potentielles, pour un autre destin » (Manciaux, 2015, p. 382). Nous le voyons définir la résilience comme « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’évènements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères » (Manciaux, 2015, p. 382). Manciaux rejoint Cyrulnik et Anaut, dans le fait de mettre l’accent sur la résilience comme un concept dynamique donnant lieu à un processus adaptatif face au traumatisme.

Les définitions citées ci-dessus s’appuient sur l’aspect dynamique de la résilience, et mettent l’accent sur les notions de résistance, de résonance et de reconstruction. D’autres chercheurs, comme Rutter, se sont rendus compte que la résilience n’est pas une simple caractéristique de l’individu, mais qu’elle est le résultat de son interaction avec l’environnement. Les définitions qui suivent insistent sur la notion d’interaction. Les auteurs cités ci-dessous considèrent la résilience comme un processus. Il ne nous est pas apparu important d’opérer une distinction entre les deux courants, car il nous semble que toutes les définitions se complètent. Les unes mettent en évidence le rôle du traumatisme ou d’une situation déstabilisante qui a eu lieu au départ. D’autres parlent moins de cette épreuve ayant un effet traumatique. Nous y reviendrons plus loin dans une partie consacrée au thème traumatisme et à sa relation avec la résilience.


La résilience est-elle un résultat ou un processus ?


“La résilience est la capacité de se redresser après avoir été mis à terre, de reprendre son souffle, de rebondir et de continuer à avancer”

Steve GOODIER


Rutter a mené une recherche qui a duré 10 ans sur l’île de Wight (de 1964 à 1974) avec des familles de Londres. Cette étude portait sur la prévalence des troubles mentaux chez des enfants de 9 à 12 ans issus de familles très précaires, considérées comme à risque (délinquance, criminalité paternelle, familles nombreuses, discorde conjugale, troubles psychiatriques chez la mère, et enfin placement de l’enfant en institution ou en famille d’accueil). Cet éminent chercheur met l’accent sur la complexité de ce phénomène qu’est la résilience. Il a proposé la définition suivante : « la résilience est caractérisée par un ensemble de processus sociaux et intrapsychiques qui permettent d’avoir une vie saine dans un milieu malsain. Elle se réalise au cours du temps, selon des combinaisons hasardeuses entre les attributs de l’enfant et le contexte familial, social et culturel » (Anaut, 2015).

Comme nous l’avons vu, un peu plus haut, (avec Manciaux, Cyrulnik et Anaut), la résilience ne pourrait pas se limiter à une capacité ou à un potentiel existant au préalable chez la personne humaine. Rutter poursuit sa pensée en disant que : « la résilience n’est pas une caractéristique de l’individu au sens strict du terme, mais de la personne en interaction avec son environnement humain. Nous pouvons donc concevoir la résilience à partir de l’individu, puis en cercles concentriques toujours plus vaste, jusqu’à l’ensemble de la société » (Vanistandael & Lecomte, 2000, p. 159). La volonté du sujet de faire face aux événements traumatisants, à elle-même, ne suffit pas. Nous voyons Rutter mettre l’accent sur le rôle primordial du soutien provenant de l’entourage familial, communautaire et social dans la réalisation de la résilience comme processus, qui vient compléter la volonté du sujet de faire face aux événements traumatisants.

Guedney (1998) parle des déterminants précoces de la résilience. Il pense que « la résilience est donc bien un processus complexe, un résultat, l’effet d’une interaction entre l’individu et son environnement. L’aspect-clef de cette relation, c’est bien semble-t-il, la capacité d’être en relation avec l’autre : on n’est pas résilient face à tout et n’importe quoi, et on ne l’est en tout cas pas tout seul, sans être en relation ». A son tour, Guedney relève l’importance d’un réseau de soutien social autour de la personne traumatisée, exposée à de grandes épreuves. Il ne va pas de soi qu’une personne se remette debout tout seul devant toute situation stressante. Par conséquent, son interaction avec l’environnement qui l’entoure pourrait lui assurer des facteurs de protection contre les effets négatifs du traumatisme. Comme le précise bien Anaut (2003), « Les observations de cette étude ont contribué à poser les bases d’une analyse du fonctionnement de la résilience, en soulignant la dynamique du processus résilient, son évolution, au cours du développement du sujet et sa variabilité dans le temps et en fonction des sujets ».

La résilience serait alors le résultat d’une recherche continue de l’équilibre entre les facteurs de risque, la vulnérabilité, et les facteurs de protection. Cyrulnik (2002) considère que « la résilience constitue un processus naturel où ce que nous sommes à un moment donné doit obligatoirement se tricoter avec ses milieux écologiques, affectifs et verbaux. Qu’un seul milieu défaille et tout s’effondrera. Qu’un seul point d’appui soit offert et la construction reprendra ». Les ressources dont disposent les milieux qui entourent la personne en difficulté et son mode de relation avec son contexte favorisent un meilleur développement des processus de deuil et de résilience. Selon Fonagy et al. (1994), la résilience est « un ensemble de processus sociaux et intrapsychiques, lesquels prennent place à travers le temps et en fonction des combinaisons des différents attributs de l’enfant, de la famille et des environnements sociaux et culturels ». Ainsi, nous comprenons la résilience comme un processus d’aménagement entre le risque et les facteurs protecteurs qui viennent faire face au risque et évitent d’y succomber.

Anaut et Cyrulnik (2014) rappellent que « la résilience est un processus, non réductible à un état, qui s’étaye sur des ressources individuelles du sujet, mais contextualisées avec celles de l’écosystème psychoaffectif et social dans lequel il évolue ». En effet, le processus de résilience est fortement lié à l’histoire personnelle de la personne, aux relations nouée dans sa première enfance, au fonctionnement de sa famille dans laquelle elle a grandi et aux structures du contexte social, dans lequel elle se trouve. Fonagy et al. (1994) ont démontré que « la qualité des expériences d’attachement n’améliore pas seulement le développement des structures physiologiques et des fonctions psychiques mais également la capacité d’interpréter ses propres émotions et celles des autres et, par conséquent, de donner du sens aux expériences réalisées ou aux situations vécues afin d’y réagir adéquatement ». La réalisation du travail de deuil, étape importante dans le processus de la résilience, est intrinsèquement liée aux premières expériences d’attachement vécues par la personne.

Les liens d’attachement, étudiés en premier par Bowlby, ont une grande influence dans la construction de la vie psychique de l’individu. Ils permettent à la personne de créer des relations sécurisantes avec l’autre, de lui faire confiance, et de trouver chez lui sécurité et affection. Selon Michallet (2010), « cette sécurité psychique de base permettrait à l’individu de faire face, dans la suite de son développement et de sa vie, à des épreuves ou à des traumatismes, de s’y adapter, de les surmonter et de profiter de ces événements pour acquérir de nouvelles capacités ou de réaliser de nouveaux apprentissages ». Anaut (2019), psychologue clinicienne et professeure à l’université Lyon–II, considère la résilience comme « un processus plus qu’une capacité ». Face à un drame intime, la personne en question met en jeu « des compétences pour que s’opère une reconstruction psychique et sociale et la reprise d’un nouveau développement » (Anaut, 2019) ajoute-t-elle. Nous la voyons souligner, l’existence de deux grandes phases sur le chemin de résilience : la préservation de « l’effraction psychique » afin de contenir l’angoisse, et les émotions mortifères, et « la quête de sens », afin de sublimer le trauma.


3- Facteurs de résilience


“Résilience : ressources des groupes humains ou des sociétés pour faire face aux adversités et rechercher ensemble la réalisation de leur bien-être. “

Suarez OJEDA


Reprendre un bon développement, et une vie agréable après une agonie psychique, ne semble pas être une tâche facile. De même, il est bien complexe de cerner les facteurs psychologiques, sociaux, affectifs et culturels qui vont permettre la résilience. Nous avons déjà abordé les facteurs de risque, et la notion de vulnérabilité. Il nous semble important, avant de présenter les différents facteurs de protection relevés dans la littérature scientifique, de définir ce qu’est un facteur de protection. Rutter (1985) propose la définition suivante : « les facteurs de protection font référence aux influences qui modifient, améliorent ou transforment la réponse d’une personne face à un événement qui prédispose à une mauvaise adaptation ». Il met en évidence l’importance de trois points : - les qualités positives du facteur de protection, - son rôle dans la modification de la mauvaise réponse attendue et - sa part dans le développement des potentialités de la personne en question.

Anaut (2003) attire notre attention sur la nécessité d’étudier la relativité de chaque facteur. Selon elle, le même facteur pourrait, selon les cas, participer au risque comme à la protection. Prenons l’exemple de l’estime de soi, facteur de résilience que nous retrouvons au cœur de la plupart des approches ; « un minimum d’estime de soi est nécessaire et utile pour constituer la résilience. Cependant, une promotion à outrance de l’estime de soi pourrait conduire à des personnalités marquées par l’arrogance, le mépris des autres et des lois, et conduire à des fonctionnements relationnels caractériels et violents, donc loin de l’adaptation recherchée ». De plus, il existe plusieurs types d’estime de soi : estime de soi personnelle, sociale, familiale, scolaire, professionnelle, etc. Il serait intéressant d’étudier le cas par cas, et de s’arrêter sur les variations qualitatives de chaque facteur chez les individus dits résilients. Dans son livre « souffrir mais se construire », Vanistandael (1999) affirme que tout facteur protecteur contient un risque de perversion.

La rencontre de plusieurs facteurs facilite la réalisation de la résilience. Ces facteurs doivent avoir lieu avant le trauma, dans la vie de la personne traumatisée, puis durant le trauma, et après le trauma. Nous les reprenons de Cyrulnik (1999) :


  • Avant le trauma : l’attachement sécure acquis dès les premiers mois de la vie, la mentalisation, la représentation d’images et de mots, afin de pouvoir raconter les choses.

  • Pendant le trauma : la possibilité d’une résilience rapide dépend de la source de l’agression. Si l’agression provient de l’entourage familial, ceci rend la résilience moins facile, car la personne traumatisée s’attribue la faute. Comme nous l’avons bien mentionné ci-dessus, le sentiment de culpabilité rend le chemin de la résilience plus difficile.

  • Après le trauma : le traumatisé qui bénéficie d’un soutien verbal et non verbal a plus de chance de rebondir que celui qui se retrouve seul après un traumatisme. La verbalisation de ce qui est arrivé aide beaucoup à vaincre l’état dépressif, mène à une meilleure maîtrise de soi, et, par la suite à la représentation du trauma. De plus, une présence bienveillante, sans obligation de parler, assure une atmosphère favorable à la résilience.


Les neurosciences ont démontré que les enfants ne bénéficiant d’aucune attention affective ne sont plus stimulés, et présentent une atrophie cérébrale. Ainsi, nous pourrons dire, avec Cyrulnik, que la sécurité affective stimule une partie du cerveau et aide à une sécrétion équilibrée des hormones, notamment l’ocytocine, hormone du plaisir de vivre. Par contre, les cerveaux d’enfants souffrant d’une carence affective sévère secrètent « une hormone poison, qui donne une grande amertume à la vie quotidienne » (Cyrulnik, 2012). « Le degré de résilience face aux événements traumatisants de la vie est fortement déterminé par les schémas d’attachement » (Bendris, 2018) affirme John Bowlby. Les derniers temps de la grossesse ont une grande importance sur le genre d’attachement de l’enfant à sa mère. Durant ce moment-là, il accueille la voix douce de sa mère comme une caresse verbale. Ainsi, dès le premier instant de sa naissance, l’enfant reconnaît la voix de sa maman et oriente sa tête vers elle. Cette continuité de l’information explique le genre d’attachement qu’a l’enfant avec sa mère.

Si l’attachement est sécure, l’enfant qui a pu développer une affectivité saine, pourra supporter plus facilement les moments difficiles qu’il va connaître bientôt. Il saura se calmer quand un petit malheur lui arrive. Par contre, un enfant maltraité qui a développé une affectivité évitante, distante, ambivalente et confuse, aura des difficultés d’adaptation dans sa vie future. Du fait de sa blessure, il pourrait mettre un temps plus long pour vivre une adaptation et la résilience devient beaucoup plus compliquée. Certaines études scientifiques, tels que les recherches américaines portant sur le développement de l’enfant en particulier, en matière de résilience, à l’université de Harvard, montrent qu’une relation stable et engagée avec un parent, un soignant ou un autre adulte qui les soutient, est le facteur le plus courant chez les enfants qui développent de la résilience. Ces scientifiques harvardiens trouvent que cette relation d’attachement sécure permet à l’enfant d’atteindre son plein potentiel, malgré toute forme d’expériences précoces défavorables. Pour eux, ce genre d’attachement permet à l’enfant de savoir se protéger en réduisant les effets négatifs d’une adversité importante dans sa vie.


L’ambiance familiale ou le système familial 


Dans le même article, Cyrulnik (1999) nous parle de scientifiques à Harvard qui s’occupent de l’étude du développement de l’enfant, et selon lesquels, la résilience est le résultat d’une combinaison de facteurs de protection. Ni les caractéristiques individuelles, ni les environnements sociaux à eux seuls ne sont susceptibles d’assurer des résultats positifs pour les enfants qui vivent des périodes prolongées de stress toxique. C’est l’interaction entre la biologie et l’environnement qui renforce la capacité de l’enfant à faire face à l’adversité et à surmonter les menaces pour un développement sain. A remarquer que toute forme de stress n’est pas nocive. Selon ces chercheurs, il existe de nombreuses occasions dans la vie de chaque enfant permettant d’éprouver un stress gérable, et avec l’aide d’adultes solidaires, ce stress positif peut favoriser la croissance. Avec le temps, le sujet devient davantage capable de faire face aux obstacles et aux difficultés de la vie, à la fois physiquement et mentalement. Nous clôturons notre étude de ce choix de textes concernant les facteurs de résilience avec Josse (2019), selon qui « la résilience et la croissance post-traumatique ne se construisent donc pas uniquement grâce aux ressources personnelles ni exclusivement grâce à l’environnement, mais par un maillage serré entre les deux ».

            Comme nous l’avons dit, à plusieurs reprises ci-dessus, la résilience n’est pas seulement une capacité mais un processus. Elle dépend d’une multitude de facteurs personnels, familiaux et environnementaux, sans oublier qu’elle ne supprime pas la blessure mais toutefois, elle aide à affronter ce qui semble être une fatalité.


Tuteurs de résilience


“Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, “

KIPLING


Il nous semble nécessaire de nous pencher sur l’action du tuteur de la résilience et ses qualités, puisque nous venons de développer les facteurs qui aident à la réalisation de ce processus. L’étude des récits de vie des personnes résilientes dans leurs traversées de périodes difficiles, épreuves adverses ou traumatiques, est bien importante. Les liens relationnels ou affectifs qu’ils ont pu nouer avec un parent ou un ami ont contribué d’une manière remarquable à les soutenir, à les aider à se reconstruire, et même parfois à les conduire à changer radicalement leur trajectoire de vie. Cyrulnik (2001), dans son ouvrage « Les vilains petits canards », donne à ces personnes le nom de « tuteurs de résilience ». Lighezzolo et Tychey (2004) font une distinction entre les tuteurs de développement, représentés par le père et la mère ou leurs substituts, et les tuteurs de résilience qui représentent « tous les autres modèles environnementaux que le sujet peut rencontrer lorsque les modèles parentaux sont défaillants ou insuffisants ». Le lien sécure vécu dans l’enfance entre le sujet et son modèle parental pourrait favoriser l’émergence de la résilience devant des événements traumatiques. Cependant, cette bonne qualité d’attachement vécue au début de la vie n’est pas toujours suffisante. Cyrulnik (1999), Vanistandael et Lecomte (2000), Manciaux (2001) et Lecomte (2004) ont mis en avant l’importance d’un lien ultérieur avec une personne ressource, considéré comme un facteur de protection externe.

Ce tuteur de résilience doit avoir plusieurs qualités. La question d’une confiance réciproque reste primordiale pour le sujet résilient. À remarquer que ce n’est pas la quantité du temps qu’il passe avec le sujet qui est importante, mais c’est le fait que ce passage dans la vie du sujet résilient, le moins bref possible, soit marquant une fois que l’étayage a eu lieu. Les personnes ressources, comme un membre de la famille, enseignant, un soignant ou un ami confident peuvent revêtir « un rôle de tuteur ou de modèle souvent à leur insu. Elles peuvent accompagner l’individu en souffrance sans connaître la nature de ses blessures, mais en le revalorisant et en lui permettant de faire des expériences positives » (Lecomte, 2004). De Tychey et Lighezzolo (2004) parlent de la capacité de certaines personnes à continuer à se projeter dans l’avenir tout en ayant des conditions de vie déstabilisantes. Cette attitude résiliente est souvent présente dans la vie de personnes qui se trouvent dans un contexte socio-affectif favorisant leur développement psychologique après un traumatisme.

  Un tuteur de résilience offre un soutien supplémentaire à la personne traumatisée. Il joue le rôle d’un accompagnateur montrant de la positivité, de l’espoir, de la bienveillance et surtout une capacité d’écoute sans jugement afin d’aider la personne à retrouver ses forces et à s’épanouir. Delage (2004) donne une grande importance à la famille (quand elle existe), à laquelle s’adresse la personne traumatisée. Elle fournit au sujet résilient une première ressource de sécurité et de confiance. Elle constitue, normalement, le premier contenant qui est supposé recevoir la souffrance du sujet et le récit de son expérience douloureuse. Ce, pour lui permettre une reprise du développement de son monde. Pour Anaut (2015), « les premiers tuteurs de résilience peuvent se trouver au sein de la famille, auprès des personnes qui partagent un lien affectif fort avec l’individu qui a subi une agression psychique. Toutefois, de nombreux tuteurs de résilience peuvent se rencontrer également parmi les relations sociales extra-familiales. »

La fratrie et les camarades de quartier ont une influence bien importante dans les facteurs de résilience. Selon Cyrulnik (2012), « A l’époque, la rue avait un pouvoir socialisateur. Aujourd’hui, elle ne l’est plus ». Quelquefois, « ce pair ou cet ami confident deviendra le compagnon ou la compagne de la vie » (Cyrulnik, 2015) du sujet résilient.  Vis-à-vis d’une personne traumatisée, le tuteur est à la fois une personne de confiance et a aussi le rôle d’aider cette personne à retrouver la confiance en elle-même. Les institutions stables participent à la résilience collective. Parfois les orphelins qui se trouvent dans des institutions connaissent un développement de meilleure qualité que d’autres qui vivent avec la population en dehors des orphelinats. Les spécialistes qui prennent soin de ces enfants jouent, parfois sans le savoir, le rôle de tuteurs.

De plus, l’art joue un rôle majeur dans la résilience. Faire du théâtre par exemple, facilite la représentation de la chose et du mot en permettant de parler de soi par l’intermédiaire d’un «  délégué  ». Par ailleurs, mobiliser des sources de foi, d’espérance et de traditions culturelles semble essentiel pour le développement de la résilience, affirment les études de Harvard.

Nous concluons ce point, avec Manciaux (2005), selon qui : « si la génétique et la biologie déterminent les limites du possible, il reste un grand degré de liberté et une bonne marge de manœuvre pour l’intervention des ressources personnelles, familiales, communautaires et professionnelles ». Il affirme que la personne ne peut pas être résiliente toute seule. L’estime de soi, la sociabilité, le don d’éveiller la sympathie, un certain sens de l’humour, et même un projet de vie ne suffisent pas. La présence d’un parent aimant, d’un ami, d’une ou plusieurs personnes en qui le sujet a confiance – et qui lui font confiance- constituent une nécessité indispensable à la production de ce processus. Cependant, nous le voyons insister sur le rôle des facteurs individuels de résilience. Il cite : « des stratégies d’adaptation, évitement, recherche de soutien, révélation, restructuration cognitive, sens donné à l’évènement, expression des émotions et perception d’effets positifs. » (Manciaux, 2015).


Aspects de résilience


“L'art de vivre ressemble plus à celui des lutteurs qu'à l'art de la danse,

puisqu'il faut se tenir préparé et armé contre les coups subits et imprévus.”

MARC AURÈLE


Contrôler les effets du traumatisme, freiner les séquelles de la désorganisation psychique, vivre malgré l’adversité, tout en gardant une qualité de vie avec le moins de dégâts possibles, sont des indices d’un début de construction de la résilience. Pour Anaut (2012), la résilience, comme processus évolutif qui se façonne dans le temps entre la personne traumatisée, sa famille et son environnement social, « ne se réduit pas simplement à l’intégration et au dépassement du traumatisme, mais implique toutes les capacités humaines permettant de se confronter à des expériences adverses, de les intégrer et d’être transformées par elles » (Anaut, 2012). Nous ne pouvons pas réduire la résilience à une simple reprise d’un développement après une adversité, mais elle est aussi et surtout une représentation du trauma en tant qu’une nouvelle vie qui se présente. Pourtois et al. (2012) parlent d’une étude faite sur 113 personnes et qui a servi à répertorier 77 indices et 26 indicateurs d’un développement post-traumatique. Ces 26 indicateurs sont repartis sur les quatre volets de la vie psychique du sujet résilient, en lien avec son environnement : l’affectif, le cognitif, le social et le conatif. La connaissance de tous les signes de résilience cités ci-dessus s’est réalisée selon une approche inductive. Selon Pourtois (2012), cette approche « se fonde essentiellement sur l’observation comportementale, l’introspection et la conscience phénoménale des individus qui, après avoir été exposés à un épisode de vie fracassant, se sont malgré tout, de leur propre point de vue, engagés dans un néo- développement subjectivement vécu comme épanouissant » (Pourtois, 2012). La collecte des indices s’est faite alors à partir d’un recueil d’entretiens cliniques, et de l’observation, réalisés auprès de sujets ayant fait preuve de résilience après un traumatisme donné.


Fait preuve d’optimisme


“À force de tout voir l'on finit par tout supporter À force de tout supporter l'on finit par tout tolérer À force de tout tolérer l'on finit par tout accepter À force de tout accepter l'on finit par tout approuver !”

Saint AUGUSTIN


Selon l’inventaire des indicateurs et des concepts opératoires de Pourtois (2012), le sujet résilient qui fait preuve d’optimisme « est capable de se représenter l’avenir de façon à la fois raisonnable et positive ». Sa confiance en soi et la confiance en l’autre le poussent à investir ses ressources affectives et sociales dans l’élaboration de projets pour l’avenir. Son regard positif, et son espérance dans un meilleur futur améliorent ses relations avec les autres. Appuyée sur un sentiment de sécurité affective, l’attitude optimiste « s’inscrit dans une représentation mentale qui permet d’envisager sereinement l’avenir et s’y inscrire en lui donnant spontanément une orientation positive » (Pourtois, 2012). Pourtois (2012) met l’accent, encore une fois, sur l’importance du soutien affectif de l’entourage dans le développement du sujet résilient, et de son investissement positif, avec lequel il envisage le futur et ses relations avec les autres. Ainsi, l’optimisme serait le fait d’envisager le futur sous un angle positif. Le sujet optimiste deviendrait capable de voir l’aspect bénéfique dans toute chose et tout événement, même si celui-ci est négatif.

Seligman (1990) considère l’optimisme comme faisant objet de la psychologie positive. Il estime que l’attitude optimiste est un sujet d’apprentissage ou de réapprentissage, qui peut se faire à tout âge, accompagné d’un regard positif sur soi et sur l’avenir. Ainsi, nous voyons le sujet sortir du sentiment d’impuissance qu’il a eu face aux événements traumatiques vécus, pour « se donner les moyens d’appréhender de manière différente la réalité qu’il vit » (Pourtois, 2012). Seligman estime que les expériences précoces de l’enfance et l’environnement parental jouent un rôle dans cet aménagement cognitif possible. Nombreux sont les auteurs qui lient le regard positif sur soi et sur le monde à l’attachement sécure de la première enfance. Garmezy (1985) montre comment l’orientation affective sécure apparaît clairement dépendante des premières étapes du développement psychique du sujet. Les travaux de Main et Lodwyn (1984) « indiquent sans ambiguïté comment l’attachement sécure favorise l’imprégnation de schèmes d’attachement confiants qui permettent au sujet en développement d’investir la relation affective en l’envisageant comme un projet d’avenir ». Le fait que la personne dispose de relations fiables et proches dans sa vie, ceci est considéré comme un facteur puissant de résilience au cas où elle sera exposée à une situation traumatisante ou stressante. De la même manière, Cyrulnik (2004) évoque l’importance de l’attachement sécure dans l’émergence des mécanismes de défense face à l’adversité, en particulier l’aptitude à élaborer un projet de vie, permettant une résilience chez des sujets traumatisés.


Pour conclure


Évidemment, notre recherche et nos lectures ne représentent qu'un fragment de l'abondante littérature existante concernant la notion de résilience. La sélection d'ouvrages, articles et auteurs présentés ci-dessus permettent, certes, de définir les contours de la notion de résilience, appliquée aux disciplines focalisées sur la santé mentale : psychologie, psychanalyse, et psychiatrie. En ces domaines, une synthèse des textes analysées permet de considérer que la résilience n'est pas tant un processus en dualité action/réaction, mais relève d'un processus de reconstruction que peut faciliter un accompagnement psychologique adapté à la personne et à la situation. Le “transfert du social dans le mental”, tel que défini par le Dr. Hervé Hubert, doit également être pris en considération. Enfin, penser d’envisager, d'accompagner un processus de résilience après un trauma, implique se concentrer sur l'individu en tant que sujet. De façon très pratique, concrète, comme l'expose Georges Politzer dans son ouvrage Critique des fondements de la psychologie : « Se placer au point de vue concret pour n’accepter comme faits psychologiques que les segments de la vie de l’individu particulier, assigner à l’analyse psychologique comme but essentiel l’établissement de la signification du fait psychologique dans l’ensemble de la vie du je singulier, implique à chaque instant le dépassement des récits immédiats, et la nécessité de les éclairer par les données de l’analyse, pour déterminer la signification précise de l’acte du Je. La psychanalyse est donc orientée par son inspiration fondamentale vers l’inadéquation entre la pensée récitative immédiate et la signification réelle de l’acte vécu par le sujet ». L'accompagnement thérapeutique intègre alors l'écoute, l'analyse, et la prise en considération de la mobilisation des mécanismes de défense, ainsi que de la mentalisation.  Le trauma, vécu comme “segment de la vie d'un individu”, doit être analysé en tant que “fait psychologique”, dans tous ses aspects. Sa compréhension, en profondeur, est un vecteur de mise en pratique d'une relation entre thérapeute et patient pouvant mener progressivement à une reconstruction via un processus déclenchant, peu à peu, une résilience.


Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie Presses universitaire de France. 1928, réédité en 1974. 262 pages.


Sœur Gloria Douaihy


Illustration : ©Kenneth Larson




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