L’haïku nu
Classiquement un haïku est un petit poème visant à dire et exprimer l’évanescence des choses.
Personnellement je le définirais ainsi : une forme d’expression poétique qui permet de percevoir dans le temps de l’instant saisi, les contradictions de la réalité humaine. il s’agit d’une sorte de photographie verbale, irradiant et faisant signe du vivant en mouvement, c’est à dire pouvant donner lieu à des poussées interprétatives dans des sens complètement opposés. Je donne de l’importance à cette définition qui tranche avec la plupart des définitions qui s’extasiant sur le merveilleux et le mystérieux orientent vers l’éloge de la transcendance.
Mais quel rapport avec le nu ? A priori aucun, même si haiku se disait hokku à l’origine. Jeu de mot sans portée en soi, même si avec Artaud la question du cu y ramène.
D’une certaine façon il n’ y a pas plus de rapport avec le nu qu’avec un autre thème. Et pourtant !
Je souhaite fournir un outil logique universel à partir de ce propos sur l’haïku.
Le mot haiku en japonais renvoie dans sa composition graphique à l’union de deux kanji, soit deux signes japonais assimilables aux caractères chinois. Dans ce contexte linguistique difficile à saisir pour l’homme occidental, il est intéressant de noter que le premier kanji (signe) du mot Haiku renvoie à l’idée de ce qui est premier, ce qui est au commencement et que le second signe renvoie à des sons assimilables aux syllabes.
L’haiku en tant que contenu poétique s’écrit dans un ordre vertical. Bref et court, il coupe.
L’universel qui se profile est dans le fait que le premier kanji, est premier, commencement, ce qui est tout à fait différent d’originaire. Et ce premier commande oriente le second qui concerne l’ambiguïté des mots.
Pour le nu j’évoquerais donc d’abord le rapport avec ce qui est premier.
Le nu en tant qu’apparence sociale dans l’histoire humaine n’est-il pas premier ? S’il y a un primat du visuel dans l’organisation mentale, le nu est certainement premier : les premiers humains étaient nus, vivaient nus, ce qu’ils voyaient étaient la nudité des autres lorsqu’ils échangeaient avec eux. Quel fut l’impact de ce nu dans la relation au passage vers la position debout et à l’apparition du langage puis des langues ? Cela est porté par la question du second kanji, les sons et leur organisation et reste un champ d’études anthropologiques peu exploré.
La question est rarement posée ainsi dans la culture occidentale en ce qui concerne le premier, le primat, le commencement.
Que dit-on en Occident de façon prédominante ? « Au commencement était le verbe » ou bien encore « Au commencement était l’action ? » Ces formules sont typiques des religions monothéistes et renvoient à l’Ancien Testament : le verbe s’est fait chair à l’instant de la création des humains et la nudité en tant que faute apparaît après le péché originel. La femme, Eve, pose un acte. Elle transgresse l’interdit divin. Il s’en suit la révélation de la nudité, la conscience pour Adam et Eve d’être nus et la nécessité de se cacher. Le nu bascule alors dans l’histoire occidentale du côté de la faute, de ce qui porte la faute.
Goethe, penseur de l’universel, ne formule pas autrement les questions humaines : « Au commencement était l’action » Freud s’en inspirera et les formulations concernant le primat du verbe ou de l’acte fourmillent dans les textes psychanalytiques au point d’en faire religion. Freud s’emparera de la question du nu infantile et plutôt que de briser l’ordre religieux, il le renforça via le culte de la castration. Que voit l’enfant qui découvre la nudité d’un autre ? La castration ! Et cela fournira des réponses aberrantes aux problèmes humains, du type : une fille est un garçon castré. Le complexe de castration va organiser avec l’Oedipe une explication tout terrain dans la psychanalyse classique.
L’haïku apporte autre chose que cette civilisation de la faute.
Je reprendrai dans une autre orientation deux extraits de « L’anthologie du poète court japonais » de Caroline Atlan et Zéno Bianu. Le premier est « l’haiku dénude la langue jusqu’à la moelle «, le second est le concept de phrase vivante. Ils citent Léang-Kiai de Tong-chan, poète de l’époque des Tang « On appelle phrase morte une phrase dont le langage est encore du langage : une phrase vivante est celle dont le langage n’est plus langage » point que j’articule aux limites du langage que je décris comme nouage des mots aux images et aux sensations.
Il peut être défini sur la base logique de l’haïku le commencement pour un individu du moment où une phrase vivante fonctionne, moment où se produit un changement de valeur dans ce qui noue les mots, les images et les sensations de corps.
Et l’haïku enseigne sur le nouage de valeurs des mots dans leurs rapports aux images et sensations de corps.
Et l’haïku du nu peut alors prendre une logique essentielle sur les questions des identités humaines, toujours prises dans des variations en conjuguant le commencement avec les ambiguïtés du nu.
Je conclue avec Artaud qui brise l’ordre anatomique du rapport au nu :
« Entre l’infini et l’indéfini qui sont des idées et des concepts il y a un être sans conception, ni homme ni femme,et dont l’homme et la femme être n’auront été que des états passagers »
Hervé Hubert
Article paru dans la revue Niepcebook n°12, 2019
Illustration : Paul Signac
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