Henri Lefebvre : la vie quotidienne et la critique du consumérisme

L'ouvrage "La Critique de la vie quotidienne" tome 1, introduction, de Henri Lefebvre, publié en 1947, est une analyse approfondie de la vie quotidienne et de son rôle dans la construction de la société́ moderne. Il s’agit d’une réflexion critique sur les rapports sociaux et les structures sociales qui influencent nos pratiques quotidiennes.

Il débute en introduisant la notion de vie quotidienne comme élément central de la société́ contemporaine, celle où les individus passent la majorité́ de leur temps. Ce qui constitue le quotidien des individus concerne les activités, ce que l’on fait dans le concret, les relations sociales et  l'environnement matériel.

Lefebvre souligne l'importance de cette dimension de la vie humaine, les structures sociales et les rapports de pouvoir qui influencent la vie quotidienne pour comprendre les mécanismes de reproduction sociale et les interactions entre individus alors que cette vie quotidienne est souvent négligée ou considérée comme banale,

Lefebvre décrit la société́ capitaliste comme une société́ qui a transformé́ la vie quotidienne en une routine monotone et aliénante.Il critique que, malgré́ les avancées technologiques et les progrès sociaux, la société́ de consommation et de l'industrie transforme les individus en simples consommateurs passifs, déconnectés de leurs besoins réels et de leurs relations humaines pour les réduire à des individus effectuant une série de gestes répétitifs et standardisés, éloignés  de toute authentique expérience de la vie, absorbés par les objets et soumis à l'emprise du capitalisme.

Selon lui, la vie quotidienne a perdu son sens et son authenticité́ au profit de la logique marchande.

Il note également que la vie quotidienne est devenue de plus en plus fragmentée et déshumanisée, en raison de l'urbanisation, de la spécialisation des taches et de la standardisation des modes de vie. Les relations sociales se sont également appauvries, remplacées par des interactions superficielles et des échanges marchands sans le sens de la communauté́. Il affirme que la vie quotidienne est devenue atomisée, divisée en différentes sphères (travail, loisirs, famille, etc.) qui ne se chevauchent plus. Cette fragmentation empêche les individus de vivre une expérience complète et significative de la réalité́, et les enferme dans des routines individuelles isolées.

Il critique l'aliénation de l'individu dans son quotidien, sa subordination aux rythmes et aux contraintes du travail, et des structures oppressives qui limitent leur liberté et leur épanouissement, au profit de la prédominance de la consommation comme forme de satisfaction et d'accomplissement.

Donc, Lefebvre propose d'adopter une approche critique de la vie quotidienne en revalorisant les activités quotidiennes et en les rendant plus authentiques et collectives. Il défend l'idée d'une réappropriation de l'espace urbain par les citoyens afin de créer des lieux de vie et d'interaction sociale. Il insiste également sur l'importance de la créativité́ et de l'imagination dans la vie quotidienne, pour s'échapper des contraintes imposées par le capitalisme

Il invite les individus à questionner les normes sociales, à remettre en cause les structures oppressives et à imaginer de nouvelles formes de convivialité́ et de solidarité́. Il appelle les individus à reprendre une vie quotidienne en créant des espaces de liberté́, de créativité́ et d'épanouissement personnel.

Malgré́ l'abondance de biens matériels et la facilité d'accès à l'information, la vie quotidienne est devenue moins épanouissante et plus aliénante. Ce paradoxe entre les avancées matérielles et la détérioration de la qualité́ de vie quotidienne est au cœur de la critique de Lefebvre qui date de plus de 60 ans..., mais je constate que non seulement  ses propos n’ont pas pris une ride, mais la situation d’aujourd’hui est encore pire.

Lefebvre propose une approche dialectique de la vie quotidienne, qui permet de comprendre les contradictions et les tensions qui traversent notre quotidien. Les individus doivent créer un espace de résistance et de créativité́. Pour Lefebvre, la vie quotidienne est le lieu où se joue la lutte pour la reconnaissance de soi et des autres, pour l'émancipation et pour la transformation de la société́.

En conclusion, "La Critique de la vie quotidienne »d’Henri Lefebvre est une pensée sociologique contemporaine, qui interroge de manière radicale la place et le rôle de l'individu dans la société́ moderne. Il offre une réflexion stimulante sur la vie quotidienne comme lieu de résistance et de transformation sociale, et nous invite à repenser notre rapport au monde et à notre semblable, à analyser les structures et les mécanismes de pouvoir qui le conditionnent, et à envisager des alternatives pour une existence plus libre et authentique pour envisager des pratiques et des formes d'interaction plus émancipatrices et solidaires.

Yewon CHOI

Illustration : Francis Picabia