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Conclusion de mon livre : Percurso para a análise prática psicossocial

Conclusion de mon livre « Percurso para a análise prática psicossocial : ensaio sobre a transferênrcia social » en sa version française avec l’aimable autorisation de la maison d’édition Editora CRV au Brésil.



L’initiative de Maico Fernando Costa a permis de relier différents articles qui s’échelonnent sur une décennie. Variés et contradictoires parfois ils permettront je l’espère de cerner certains enjeux cruciaux afin de saisir l’abrutissement dans lequel le mode de production capitaliste nous plonge, mieux saisir l’abrutissement pour en sortir, faire sortie et bâtir un autre monde d’intelligibilité humaine, créer d’autres rapports sociaux.

« Si seulement nous étions moins bêtes ! » clame Galilée dans la pièce de Brecht « La vie de Galilée »

Marx auparavant avait contribué à l’analyse de cette calamité en donnant un indice : «  La propriété privée nous a rendu si stupides et si bornés qu’un objet n’est nôtre que lorsque nous le possédons »

Il me plait à rêver parfois que ce qui a été appelé « transfert social » pourrait nous émanciper de cette aliénation de la pratique de penser, en partant d’une analyse pratique de ce transfert.

Notre rôle est modeste d’autant que la pertinence de la remarque de Lénine sur la pensée doit nous interpeller nous qui sommes les travailleurs de la santé dans le mental, travailleurs de la pratique du dire et travailleurs de la pratique de penser. Cette remarque de Lénine est la suivante : « représenter le mouvement par la pensée, c’est toujours rendre grossier, figé, comme mort, et pas seulement par la pensée, mais aussi par la sensation, et non seulement le mouvement mais tout le concept »

Il faut briser les représentations et la pratique de la folie nous y convoque. La création d’Antonin Artaud nous y porte à condition d’y glisser le transfert de valeurs.

Mais il y a une autre folie, à savoir la folie du bon sens, du sens commun et de son insensibilité dans le vécu social d’un certain nombre de situations concrètes humaines. Cette folie ordinaire du bon sens est au service d’un ordre qui est masqué. Le bon sens nous dit qu’un être humain qui possède un pénis est un homme et cette représentation du « bon sens » exclue les femmes trans nées anatomiquement avec un pénis. Pour la psychanalyse classique la transidentité fait éclater la représentation de la borne phallique : la propriété privée phallique nous a rendu si stupides et si bornés que tout un pan de ce qui est nommé « clinique lacanienne » a produit des inepties ségrégatives concernant le sexe et le genre à partir de cette borne phallique.

Cette bêtise parfois meurtrière pâtit d’ignorer le savoir pratique de l’oeuvre de Marx : le savoir dialectique des contradictions.


Un des avatars de la psychanalyse classique réside certainement dans cette méconnaissance de ce savoir pratique. Freud dès 1900 dans l’interprétation des rêves a jugé : «  l’inconscient ne connait pas la contradiction », quant à Lacan plus féru de dialectique hégélienne, il n’a pour autant jamais analysé ses propres contradictions quant à l’un de ses concepts-phares : le symbolique.

La proposition que nous soutenons part de Marx et de son renversement hégélien.

Elle part également de Lénine qui dans ses réponses aux philosophes empiro-criticistes ou encore sociologues subjectivistes nous oriente vers le réel de la lutte des classes, le réel des contradictions et des antagonismes.

Nous prendrons comme exemple « sa réponse aux articles parus dans la revue Rousskoïé Bogatstvo contre les marxistes » où il critique la sociologie subjectiviste. Dans ses oeuvres complètes il s’agit du célèbre article «  Ce que sont les amis du peuple », OC tome I, p. 143 - 217, Juillet 1894, Editions sociales, Paris, Editions du Progrès, Moscou.

Je me contenterai ici de quelques extraits concernant la critique envers Nikolaï Mikhaïlovski (1842-1904), sociologue et écrivain politique russe, chef de file des populistes. Lisons et laissons nous enseigner par Lénine :

« En lisant les écrits marxistes, M. Mikhailovski s'est constamment heurté à la « méthode dialectique » dans la science sociale, à la « pensée dialectique », toujours dans la sphère des problèmes sociaux (…). Dans la simplicité de son coeur (encore si ce n'était que de la simplicité !), il s'est imaginé que cette méthode consistait à résoudre tous les problèmes sociologiques suivant les lois de la triade hégélienne. S'il avait accordé un petit peu plus d'attention à la chose, il se serait à coup sûr convaincu de l'absurdité de cette idée. Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique ‑ par opposition à la méthode métaphysique ‑ n'est ni plus ni moins que la méthode scientifique en sociologie, qui considère la société comme un organisme vivant, en perpétuel développement (et non comme quelque chose de mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux); un organisme dont l'étude requiert une analyse objective des rapports de production constituant une formation sociale donnée, et une étude des lois de son fonctionnement et de son développement. Nous tâcherons plus loin d'illustrer le rapport entre la méthode dialectique et la méthode métaphysique (qui englobe sans nul doute la méthode subjective en sociologie), à l'aide d’exemples tirés des propres développements de M. Mikhaïlovski. Notons pour le moment que quiconque lira la définition et la description de la méthode dialectique soit chez Engels (dans sa polémique contre Dühring : Socialisme utopique et socialisme scientifique), soit chez Marx (diverses annotations au Capital et la « Postface » de la deuxième édition; la Misère de la philosophie) verra qu’il n'est point question des triades de Hegel, et que tout y revient à considérer l'évolution sociale comme processus d’histoire naturelle du développement des formations économiques sociales. Comme preuve, je citerai in extenso la description de la méthode dialectique donnée dans le Vestnik Evropy [le Messager de l'Europe], année 1872, n° 5 (notice: « Le point de vue de la critique de l'économie politique chez K. Marx »), et que Marx cite dans la « Postface » de la deuxième édition du Capital. Marx y dit que la méthode qu'il a employée dans le Capital a été mal comprise. « Les critiques allemands ont crié naturellement à la sophistique hégélienne. » Et, afin d'illustrer plus clairement sa méthode, Marx en reproduit l'exposé dans la notice mentionnée. »

(OC, Voici le contenu de la postface de Marx qui reprend l’article russe du Vestnik Evropy, I.I. Kaufman:

« Une seule chose préoccupa Marx, y est‑il dit : trouver la loi des phénomènes qu'il étudie... Ce qui lui importe par-dessus tout, c'est la loi de leur changement, de leur développement, c’est‑à-dire la loi de leur passage d'une forme à l’autre, de tels rapports sociaux à tels autres.


Ainsi donc Marx ne s’inquiète que d'une chose : démontrer par une recherche rigoureusement scientifique la nécessité de rapports sociaux déterminés, et constater, et vérifier dans toute la mesure du possible, les faits qui lui ont servi de point de départ et de point d’appui. Pour cela il suffit amplement qu’il démontre, en même temps que la nécessité de l’organisation actuelle, la nécessité d’une autre organisation qui doit inéluctablement sortir de la première ‑ que l’humanité y croie ou non, qu’elle en ait ou non conscience. Marx envisage le mouvement social comme un enchainement naturel de phénomènes historiques, enchainement soumis à des lois qui non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience, et des desseins de l’homme, mais qui au contraire, déterminent sa volonté, sa conscience, ses desseins. [Avis à MM. les subjectivistes, qui dissocient l'évolution sociale de l'évolution de l'histoire naturelle, précisément parce que l'homme s'assigne des « buts » conscients et s'inspire d’idéaux définis.] Si l'élément conscient joue un rôle aussi secondaire dans l'histoire de la civilisation, il va de soi que la critique dont l’ objet est la civilisation même, ne peut avoir pour base aucune forme de la conscience ni aucun fait de la conscience. Ce n’est pas l'idée, mais seulement le phénomène extérieur, objectif qui peut lui servir de point de départ. La critique se borne à comparer, à confronter un fait, non avec l'idée, mais avec un autre fait ; seulement elle exige que les deux faits aient été observés aussi exactement que possible, et qu'ils constituent à l ‘égard l’un de l’autre deux phases différentes du développement; par-dessus tout, elle exige que la série des phénomènes, l’ordre dans lequel ils apparaissent comme phases d’évolution successives, soient étudiés avec non moins de rigueur. Marx conteste que les lois économiques soient toujours les mêmes, qu’elles s’appliquent au passé comme au présent. Au contraire, chaque période historique, selon lui, a ses propres lois. La vie économique présente dans son développement historique les mêmes phénomènes que l’on rencontre en d‘autres branches de la biologie. Les vieux économistes se trompaient sur la nature des lois économiques, lorsqu’ils les comparaient aux lois de la physique et de la chimie. Une analyse plus approfondie des phénomènes a montré que les organismes sociaux se distinguent autant les uns les autres que les organismes animaux et végétaux. En se plaçant de ce point de vue pour étudier l’économie capitaliste, Marx ne fait que formuler, d’une façon rigoureusement scientifique, la tache imposée à toute étude exacte de la vie économique. La valeur scientifique d’une telle étude, c'est de mettre en lumière les lois (historiques) particulières qui régissent la naissance, la vie, la croissance et la mort d'un organisme social donné, et son remplacement par un autre supérieur. »


Telle est la description de la méthode dialectique que Marx a retenue parmi la foule de notices sur le Capital, publiées dans les journaux et revues, et qu'il a traduite en allemand parce que cette caractéristique de la méthode est ‑ comme il le dit lui-même ‑ parfaitement juste. La question se pose : y fait‑on la moindre allusion aux triades, aux trichotomies, au caractère absolu du processus dialectique et autres absurdités contre les quelles M. Mikhaïlovski part en guerre tel un brave chevalier ? Après cette description, Marx déclare nettement que sa méthode est « l’exact opposé » de la méthode de Hegel. Pour Hegel le développement de l’idée, conformément aux lois dialectiques de la triade est le démiurge de la réalité. C’est seulement de ce point de vue, évidemment, que l’on peut parler du rôle des triades et du caractère absolu du processus dialectique. Pour moi, c'est le contraire, dit Marx : « Le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel.» Ainsi donc tout se réduit à une « conception positive des choses existantes et de leur développement nécessaire » : il ne reste aux triades que le rôle d’exposition formelle (« j’allais même jusqu’à me trouver en coquetterie avec la manière particulière de s’exprimer de Hegel », déclare Marx dans cette postface), auxquels seuls des philistins peuvent s'intéresser. On se demande maintenant : comment devons‑nous juger d'un homme qui, désireux de critiquer un des « piliers » du matérialisme scientifique, c'est‑à‑dire la dialectique, s'est mis à parler de tout, ce qui lui passait par la tête, même des grenouilles et de Napoléon, mais n’a rien dit de ce qu’est la dialectique, ni de la question de savoir si le développement de la société est vraiment un processus d'histoire naturelle, si la conception matérialiste qui considère les formations économiques de la société comme des organismes sociaux particuliers est juste, si les méthodes d'analyse objective de ces formations sont correctes, si vraiment les idées sociales ne déterminent pas le développement social, mais sont elles-mêmes déterminées par lui, etc. ? Peut-on admettre qu'il ne s'agisse là que d'un manque de compréhension ? »

Lénine insiste pour mettre en lumière chez Marx son renversement séparateur d’Hegel. Cela est l’objet de la suite directe du texte.

« Ad. 2. Après cette « critique » de la dialectique, M. Mikhaïlovski attribue à Marx ces méthodes de démonstration « au moyen » de la triade hégélienne et, bien entendu, il les combat victorieusement. « En ce qui concerne l'avenir, dit‑il, les lois immanentes de la société sont établies d'une manière exclusivement dialectique. » (…) Le raisonnement de Marx sur l'expropriation des expropriateurs, inévitable en vertu des lois du développement du capitalisme, présente « un caractère exclusivement dialectique ». L'« idéal » de Marx concernant la propriété sociale de la terre et du capital « considérée comme inéluctable et certaine, se place entièrement au bout de la chaîne hégélienne à trois anneaux ».

Cet argument est pris entièrement chez Dühring, qui s'en est servi dans sa Kritische Geschichte der Nationalökonomie und des Sozialismus (3‑te Aufl., 1879. S. 486‑487) [14]. Ce faisant, M. Mikhaïlovski ne dit pas un mot de Dühring. Mais peut‑être est‑il arrivé lui-même à cette manière de dénaturer Marx ?

Engels a donné une excellente réponse à Dühring, et comme il cite aussi la critique de Dühring, nous nous bornerons à cette réponse d'Engels. Le lecteur verra qu'elle s'applique entièrement à M. Mikhaïlovski.


« Quel rôle, poursuit Engels, joue chez Marx la négation de la négation ? » A la page 791 et suivantes, il rassemble les conclusions de l’étude économique et historique de l'accumulation dite primitive du capital, étude qui occupe les cinquante pages précédentes. Avant l'ère capitaliste existait, en Angleterre tout au moins, la petite entreprise, ayant pour base la propriété privée de l’ouvrier sur ses moyens de production. L'accumulation dite primitive du capital a consisté ici, dans l'expropriation de ces producteurs immédiats, c'est‑à‑dire dans l ‘anéantissement de la propriété privée reposant sur le travail personnel. Si cela fut possible c’est que la petite entreprise en question n'est compatible qu'avec une production et une société dont les limites naturelles sont très étroites ; 'à un certain niveau elle engendre les moyens matériels de son propre anéantissement. Cet anéantissement, la transformation des moyens de production individuels et dispersés en moyens concentrés socialement, forme l'histoire primitive du capital. Dès que les travailleurs sont transformés en prolétaires, et leurs moyens de travail en capital; dès que le mode de production capitaliste tient debout, la socialisation ultérieure du travail et la transformation de la terre et autres moyens de production (en capital), donc l'expropriation ultérieure des propriétaires privés, prennent une forme nouvelle. « Ce qui est maintenant à exproprier, ce n'est plus le travailleur indépendant, mais le capitaliste, le chef d’une armée ou d’une escouade de salariés. Cette expropriation s'accomplit par le jeu des lois immanentes de la production capitaliste du fait de la concentration des capitaux. Un capitaliste frappe à mort bien d’autres. Corrélativement à cette concentration, ou à l'expropriation du grand nombre des capitalistes par le petit, se développent sur une échelle toujours croissante l’application de la science à la technique, l’exploitation méthodique de la terre par la société, la transformation de l’outil en instruments dont la mis en oeuvre collective multiplie la puissance, et, par conséquent, l’économie des moyens de production, l’interdépendance de tous les peuples dans le réseau du marché universel, d’où découle le caractère international du régime capitaliste. A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d’évolution sociale s’accroissent la misère, l'oppression, l’esclavage, la dégradation, l'exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante, et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la concentration de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés. »


Et maintenant je demande au lecteur : où sont donc les savantes fioritures et les arabesques dialectiques, où est la confusion d'idées qui ramène toutes les distinctions à zéro, où sont les miracles dialectiques à l’intention des fidèles, et les tours de passe-passe conformes à la doctrine hégélienne du « logos » sans lesquels, selon M. Dühring, Marx n'aurait pu mener à bien son exposé ? Marx conduit sa démonstration en se référant à l’histoire et il la résume ici brièvement en indiquant que: de même que la petite industrie engendra naguère par son propre développement, les conditions de sa destruction, de même aujourd'hui le mode de production capitaliste a lui-même engendré les conditions matérielles qui doivent le faire périr. Tel est le processus historique, et s'il est en même temps un processus dialectique, ce n'est pas la faute de Marx, si fatal que cela puisse paraître à M. Dühring.

C'est seulement après en avoir fini avec sa démonstration économique et historique que Marx continue : « L'appropriation capitaliste, conforme au mode de production capitaliste, constitue la première négation de cette propriété privée qui n’est que le corollaire du travail indépendant et individuel. Mais la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. C'est la négation de la négation », etc. ( Voir la citation plus haut).

Donc, en caractérisant le processus comme négation de la négation, Marx ne pense pas à en démontrer par là la nécessité historique. Au contraire : c’est après avoir démontré par l’histoire comment, en fait, le processus en partie s'est réalisé, en partie doit forcément se réaliser encore, que Marx le désigne, en outre, comme un processus qui s'accomplit selon une loi dialectique déterminée. C'est tout. Nous avons donc affaire une fois de plus à une supposition gratuite de M. Dühring quand il prétend que la négation de la négation doit faire oeuvre de sage-femme en accouchant le futur au sein du passé, ou que Marx nous demande de faire crédit à la négation de la négation pour nous laisser convaincre que la collectivisation du sol et du capital est une nécessité » (p. 125.)

Le lecteur voit que toute cette admirable riposte d'Engels à Dühring s’applique entierement à M. Mikhaïlovski qui affirme de la même façon que l’avenir chez Marx se place uniquement au bout de la chaîne hégélienne et que la conviction de son inéluctabilité ne peut être fondée que sur la foi [*].


[*] Il ne paraît pas superflu de noter à ce propos que toute cette explication, Engels la donne dans le chapitre où il parle du grain d'orge, de la doctrine de Rousseau et d'autres exemples du processus dialectique. La seule confrontation de ces exemples avec les déclarations si nettes et si catégoriques d'Engels (et de Marx, à qui le manuscrit de cet ouvrage avait été lu préalablement) qu'il ne saurait être question de prouver quoi que ce soit par les triades, ou de faire intervenir dans la représentation du processus réel les « éléments conventionnels » de ces triades, ‑ cette confrontation suffit amplement, semble‑t‑il, pour comprendre l'absurdité qu'il y a d'accuser le marxisme de dialectique hégélienne. (Note de Lénine)


Pourquoi avoir choisi ce texte de 1894 ? Il y a plusieurs raisons bien sûr. La première est sans doute sa clarté quant à l’apport pratique essentiel de l’oeuvre de Marx et aussi d’Engels pour saisir le fonctionnement des êtres humains. Il y a également plusieurs points qui interfèrent avec l’analyse du transfert social et son fonctionnement de façon précise et rigoureuse. Il est à noter également que la critique faite à M. Mikhaïlovski nous enseigne sur le courant subjectiviste, l’éloge du concept de sujet, dans son rapport à l’analyse du fonctionnement social. Cette critique concerne également la triade d’anneaux hégéliens qui est faussement attribuée à Marx et qui là encore va avoir sa portée critique radicale sur l’oeuvre de Lacan et le courant structuraliste.

Reprenons donc quelques éléments du texte dans sa chronologie.

Tout d’abord le passage suivant : « Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique ‑ par opposition à la méthode métaphysique ‑ n'est ni plus ni moins que la méthode scientifique en sociologie, qui considère la société comme un organisme vivant, en perpétuel développement (et non comme quelque chose de mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux); un organisme dont l'étude requiert une analyse objective des rapports de production constituant une formation sociale donnée, et une étude des lois de son fonctionnement et de son développement. » L ‘enjeu est d’importance il s’agit de cerner l’outil de la méthode dialectique créée par Marx et de pouvoir s’en servir. Cet outil est à l’opposé de l’outil métaphysique que l’on retrouve chez Freud, chez Lacan et les tenants de la psychanalyse classique. L’important est bien sûr pour nous de travailler « la société comme un organisme vivant, en perpétuel développement », les théories du transfert social et du transfert de valeurs en sont nourries jusqu’à la moelle, cette conception est même notre substantifique moelle pour reprendre l’expression créée par François Rabelais. Et cela est très différent d’une autre prise conceptuelle de la société : « quelque chose de mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux » qui est une belle définition anticipée du constructivisme social et du structuralisme. Le constructivisme social nourri de phénoménologie et de théories du discours excluant l’histoire concrète matérielle (Foucault) est une des composantes des « cultural studies » qui sont parasitées par « toutes sortes de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux ». Considérer le Président des Etats-Unis comme une construction sociale est une impasse politique totale tellement évidente, ridicule et bête.

Lénine oriente vers l’essentiel soit l’étude des rapports et cela est une boussole pratique : nous citerons deux extraits qui se juxtaposent.

« un organisme dont l'étude requiert une analyse objective des rapports de production constituant une formation sociale donnée, et une étude des lois de son fonctionnement et de son développement. »

« Nous tâcherons plus loin d'illustrer le rapport entre la méthode dialectique et la méthode métaphysique (qui englobe sans nul doute la méthode subjective en sociologie), à l'aide d’exemples tirés des propres développements de M. Mikhaïlovski. »

Pour le premier extrait, Lénine insiste sur le fait que l’important est l’analyse des rapports sociaux de production et donc l’étude d’un fonctionnement social. Cela est le fondement de l’analyse du fonctionnement du transfert de valeurs.

Pour le second extrait il insiste sur le fait précédent que c’est avec l’étude des rapports que nous avancerons dans l’analyse pratique tant en théorie qu’en pratique : nous vivons dans un rapport social de production constamment.


Et cette vie où notre essence est l’ensemble des rapports sociaux a surtout une histoire :  « tout y revient à considérer l'évolution sociale comme processus d’histoire naturelle du développement des formations économiques sociales » C’est là le point différentiel avec tous les courants issus de la French Théorie, nous aurons occasion d’y revenir plus tard à partir de la phrase : « Une seule chose préoccupa Marx, y est‑il dit : trouver la loi des phénomènes qu'il étudie... Ce qui lui importe par-dessus tout, c'est la loi de leur changement, de leur développement, c’est‑à-dire la loi de leur passage d'une forme à l’autre, de tels rapports sociaux à tels autres. » Il s’agit effectivement dans notre travail sur le collectif, cela va sans dire, mais aussi et surtout dans notre travail avec l’individu social de conjuguer le deux passages : passage d'une forme à l’autre, passage de tels rapports sociaux à tels autres. Ce passage se nourrit de l’étude des contradictions qui font l’histoire, enchainements historiques : « Marx envisage le mouvement social comme un enchainement naturel de phénomènes historiques, enchainement soumis à des lois qui non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience, et des desseins de l’homme, mais qui au contraire, déterminent sa volonté, sa conscience, ses desseins. »



Quelque chose dans l’histoire humaine personnelle ou collective se produit qui échappe à la conscience, se produit à l’insu. C’est à cet endroit que nous pouvons placer un inconscient, l’insu d’une production, dans l’analyse pratique d’un rapport social. L’élément capital dès lors pour analyser se trouve dans la déduction faite par Marx : « Si l'élément conscient joue un rôle aussi secondaire dans l'histoire de la civilisation, il va de soi que la critique dont l’ objet est la civilisation même, ne peut avoir pour base aucune forme de la conscience ni aucun fait de la conscience. Ce n’est pas l'idée, mais seulement le phénomène extérieur, objectif qui peut lui servir de point de départ. » C’est ici qu‘intervient notre base de travail qui diffère totalement de la base freudienne. Notre base est la vie sociale et ses conflits. Cela s’enrichit de la phrase suivante : « La critique se borne à comparer, à confronter un fait, non avec l'idée, mais avec un autre fait ; seulement elle exige que les deux faits aient été observés aussi exactement que possible, et qu'ils constituent à l‘égard l’un de l’autre deux phases différentes du développement; par-dessus tout, elle exige que la série des phénomènes, l’ordre dans lequel ils apparaissent comme phases d’évolution successives, soient étudiés avec non moins de rigueur. » Le début de la phrase est important « La critique se borne à comparer, à confronter un fait, non avec l'idée, mais avec un autre fait ; » Ainsi dans le cadre de l’analyse de Phong https://www.apps-psychanalyse-sociale.com/single-post/2018/07/15/finding-phong-la-transidentit%C3%A9-est-une-question-sociale-universelle

il s’agit bien d’étudier le rapport de transfert de valeurs du mot «belle» un fait social, avec un autre fait social le « pas belle » et d’en saisir l’effet et la conséquence dans un autre fait social « le fait de l’acceptation de la mère à la transition de Phong » « Belle » et « pas belle » sont des mots matériels qui ont une portée matérielle et historique dans leur rapport. Ce rapport fonctionne en anneaux, enchainements d’anneaux et toute transition transidentitaire illustre parfaitement la théorie de Marx du processus de transformation sociale. Elle l’illustre et l’explicite avec cette référence aux anneaux de Lenine : « ce que nous avons appelé, transfert social, transfert de valeurs dans la vie sociale s’éclaire avec cette mise en fonction des anneaux dégagés par Lénine. La vie sociale, la vie humaine devient une chaîne d’anneaux de valeurs tranférentielles. Ainsi le transfert de valeurs fonctionne sous forme d’anneaux, de chaînes d’anneaux, et il convient pour intervenir sur ce transfert de prendre en considération ce transfert sous forme d’anneaux et ainsi analyser l’ordre de succession des anneaux, les formes de ces anneaux, leur assemblage. »

Cela éclaire une autre phrase à la portée essentielle faisant suite à l’enchaînement historique déjà souligné, celui qui indique le mouvement social comme un enchainement naturel de phénomènes historiques, enchainement soumis à des lois qui non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience, et des desseins de l’homme, mais qui au contraire, déterminent sa volonté, sa conscience, ses desseins. » Cette phrase à la portée essentielle dans le travail différentiel que nous mettons en oeuvre est : « Avis à MM. les subjectivistes, qui dissocient l'évolution sociale de l'évolution de l'histoire naturelle, précisément parce que l'homme s'assigne des « buts » conscients et s'inspire d’idéaux définis. » L’’évolution sociale ne peut être dissociée de l’histoire matérielle naturelle. Il pourrait bien sûr être discuté autour de l’expression « histoire naturelle ». Il pourrait être fait allusion au darwinisme social. Ce que nous retenons ici est le fait qu’aucun mouvement d’évolution sociale ne peut être compris, produit sans référence à l’histoire. Que les phénomènes soient acquis ou innés peut importe, l’important est qu’il y a une histoire où nous sommes agents, effets et produits des rapport sociaux. Et dans la phrase « Marx envisage le mouvement social comme un enchainement naturel de phénomènes historiques, enchainement soumis à des lois qui non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience, et des desseins de l’homme, mais qui au contraire, déterminent sa volonté, sa conscience, ses desseins. » outre la question de la détermination soustraite ) la conscience il y a la question de la détermination qui s’impose. Quelque chose s’impose et là aussi nous retrouvons le phénomène transidentitaire où quelque chose s’impose dans la transition, le passage. Voilà ce qu’il y a dans cette histoire naturelle, une logique qui détermine et s’impose. Cela nous permet de lire autrement la phrase : » Les vieux économistes se trompaient sur la nature des lois économiques, lorsqu’ils les comparaient aux lois de la physique et de la chimie. Une analyse plus approfondie des phénomènes a montré que les organismes sociaux se distinguent autant les uns les autres que les organismes animaux et végétaux. En se plaçant de ce point de vue pour étudier l’économie capitaliste, Marx ne fait que formuler, d’une façon rigoureusement scientifique, la tache imposée à toute étude exacte de la vie économique. La valeur scientifique d’une telle étude, c'est de mettre en lumière les lois (historiques) particulières qui régissent la naissance, la vie, la croissance et la mort d'un organisme social donné, et son remplacement par un autre supérieur. »

Un organisme social est un enchaînement dynamique vivant voué à la transition, au passage, à la métamorphose, et cela règle notre travail d’analyse pratique du transfert dans la conjonction avec la phrase qui nourrit notre concept dynamique de transfert du social dans le mental : « Le mouvement de la pensée n'est que la réflexion du mouvement réel.»

Cette orientation que nous mettons en forme à l’APPS n’a donc rien en commun avec la psychanalyse freudienne. Entre 1895 et 1896 Freud élabore son esquisse d’une psychologie scientifique dans son échange avec le chirurgien Fliess. Il pourrait à ce moment là adressé à Freud la critique que Marx fait aux économistes dans le texte choisi par Lénine: «  Les vieux économistes se trompaient sur la nature des lois économiques, lorsqu’ils les comparaient aux lois de la physique et de la chimie. Une analyse plus approfondie des phénomènes a montré que les organismes sociaux se distinguent autant les uns les autres que les organismes animaux et végétaux » Effectivement dans l’esquisse Freud choisit le fondement de la chimie et de la physique. Il choisit surtout la base métaphysique de la Vorstellung, la représentation. La détermination freudienne est celle de la libido et Georges Politzer en a montré les dangers. Il s’agit de notre première intervention d’importance dans le champ marxiste : http://hubertherve75.over-blog.com/2020/09/herve-hubert-entre-apport-et-aporie-de-la-critique-marxiste-retour-sur-la-critique-de-georges-politzer-faite-a-la-psychanalyse.persp

La causalité psychique est donc sexuelle. Nous n’allons pas de ce côté et ne pensons pas en terme de causalité psychique mais de mouvement de transfert d’un conflit social de valeurs dans le mental. Nous n’allons pas dans cette orientation du fait de notre expérience pratique mais aussi du fait de la base choisie par Freud : métaphysique et transcendantale. Cette base est propice au tours de passe-passe du fait de la prédilection à organiser des substitutions de représentations abstraites. La différence entre le contenu latent et le contenu manifeste dans l’interprétation des rêves en est l’illustration frappante. La psychanalyse freudienne prétend dire pour la personne plus qu’elle ne voulait dire pour elle-même ainsi que Maico Fernando Costa a pu le mettre en évidence http://hubertherve75.over-blog.com/2020/09/critique-des-fondements-de-la-psychologie-et-la-psychanalyse-sociale-article-de-costa-maico-fernando.html

Il y a donc une substitution transcendantale, métaphysique et abstraite au départ de la psychanalyse freudienne et Lacan ne bousculera pas cette base faisant au mieux une philosophie transcendantale de l’histoire d’une personne.


Nous avons donc au total avec la psychanalyse classique une formation philosophique, c’est à dire idéologique. Cela est très important. Avec le concept de transfert social notre base est la vie sociale conflictuelle et nous en faisons l’analyse transférentielle pratique à partir de l’outil matériel concret de valeur. Nous considérons que partir d’une base idéologique, donner le primat à l’idéologie est une erreur grave qui facilité les meurtres sociaux dans son application concrète. Dans ce texte de 1894 p. 153, Lénine distingue bien les deux bases, en s’appuyant sur Marx. A propos des bouleversements humains il indique en effet : « Le changement de la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure. Lorsqu'on étudie de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel– qu’on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse–des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversements sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production (… ) . Cette idée du matérialisme en sociologie était déjà par elle-même une idée géniale »


Le fait que l'explication des faits sociaux doit être cherchée dans les rapports matériels, et non dans les rapports idéologiques, est en effet géniale et a été oubliée dans la plupart des théories depuis le début des années 1960. L’extension de l’idéologie au « logos des idées », à la logique des idées en général et en faire un « non primat » est une vraie révolution par rapport au discours dit critique de gauche en Europe ou aux Etats-Unis, plus ou moins radical qui se cantonne à analyser et étudier les formes politiques et juridiques, les formes culturelles et religieuses.

Lénine avait conscience de ce danger : « Jamais ‑ pas plus dans le passé qu’aujourd’hui, les membres la société ne se sont représenté l'ensemble des rapports sociaux au milieu desquels ils vivaient comme quelque chose d’un tout bien défini, inspiré d’un principe fondamental ; au contraire, la masse s'adapte inconsciemment à ces rapports et elle est si loin de les concevoir comme des rapports sociaux historiques particuliers que, par exemple, l'explication des rapports d’échange, qui présidèrent à la vie des hommes pendant des siècles, n'a été donnée que ces tout derniers temps. Le matérialisme a supprimé cette contradiction en poussant l'analyse plus à fond jusqu'à l’origine même des idées sociales de l'homme; et sa conclusion que le cours des idées dépend du cours des choses est seule compatible avec la psychologie scientifique. »


Il insiste encore à un autre endroit du texte sur la séparation dans le rapport sociaux entre les rapports sociaux matériels et les rapports sociaux idéologiques. « Définissant leur conception du monde, ils ( Marx et Engels) l’appelaient simplement matérialisme. Leur idée fondamentale (exprimée avec une précision absolue, par exemple dans le passage précité de Marx) était que les rapports sociaux comportent des rapports matériels et des rapports idéologiques. Ces derniers ne sont qu'une superstructure érigée sur les premiers et s'établissant en dehors de la volonté et de la conscience de l'individu, comme (un résultat) une forme de l'activité de l'homme pour assurer son existence L'explication des formes politico‑juridiques, ‑ dit Marx dans ce passage – doit être recherchée dans les « conditions matérielles de la vie ». Avec le concept de transfert d’une problématique sociale dans le mental nous sommes donc au coeur de l’articulation entre les rapports sociaux matériels et les rapports sociaux idéologiques en partant de la base de la vie sociale, les « conditions matérielles de la vie ».



J’illustrerai simplement cette manière nouvelle de travailler en reprenant la question sociale universelle de la transidentité que j’ai mis en évidence dans l’article pré-cité sur le film Finding Phong.

Que se passe-t-il dans la transidentité sinon une transformation de valeurs, transformation de valeurs de genre ? Une valeur de genre masculine dans le cas précis se transforme en valeur de genre féminine. Cette valeur de genre est une valeur matérielle enchaînant trois anneaux matériels, l’anneau Mot, l’anneau Image et l’anneau sensation de Corps. C’est à partir d’un des trois anneaux qu’un éveil vers une nouvelle identité va se mettre en route. L’ordre des anneaux assemblé va être peu à peu bouleversé. Une dynamique basée sur la privation va se mettre en place avec des valeurs contradictoires des mots, des images, des sensations de corps mis en miroir. Je reprends ici l’essentiel de mon commentaire qui concerne le moment de la transition maternelle, celle où la mère de Phong accepte sa valeur de genre féminine en public. « Cela tourne autour de ce que porte le mot « fille » attribué à Phong dans le groupe familial. Dans le groupe ainsi formé ce qui fonctionne est simple: une valeur fonctionne par rapport à une autre valeur. La valeur d’un mot fonctionne pour une personne dans un rapport à la valeur d’un autre mot. Il en est de même pour une image ou pour une sensation de corps. Ce jeu de valeurs portées fonctionne dans un rapport au social et la privation que ce social fait vivre. Ce qui va fonctionner dans ce moment de rencontre du groupe familial Phong / Frères / Soeur / Mère est le binaire Fille / Belle, celui que Phong place dans son être au monde comme dynamique d’un plus de valeur. Ce jeu de valeurs rencontre le jeu des signes, de ce qui en est fait signe pour une valeur, signe-valeur et comment cela fonctionne à l’insu des personnes du groupe quant à une acceptation ou un refus. Ici vient se glisser un ternaire. Que se passe-t-il dans le retournement maternel ? Les deux frères disent chacun à leur manière que Phong / Fille / Belle cela ne colle pas : elle n’est pas fille ou si elle est fille elle n’est pas belle. C’est ce nouage dans le discours filial qui fait passer la mère du refus de perdre son beau petit garçon à une acceptation de gagner une fille qui est belle. Tout dépend de la valeur du mot belle dans un rapport à la valeur du mot fille et de quoi fait-il signe ? La mère a perçu le mot belle - plus de valeur d’échange avec les hommes pour Phong - comme un rabaissement : avec ce mot Phong devient pour la mère femme facile, femme légère qui se donne aux hommes pour être reconnue comme femme. Mais elle la trouve belle, elle trouve Phong belle, contrairement à ce que disent ses fils. Elle n’accepta pas la dévalorisation faite par ses fils. Le renversement est fait. « Il » est devenu « Elle « pour la mère. Un transfert de valeurs s’est produit et il y a un insu dans cette production, un inconscient social qui est aussi un inconscient singulier singularisé dans ce contexte et uniquement dans ce contexte social. »


Il est donc nécessaire de développer ce transfert de valeurs qui circule dans les rapports sociaux et qui n’est pas strictement économique. Cela concerne donc l’échange.


Dans notre article Les anneaux de Lénine II nous précisons ce rapport entre l’échange, la production, la circulation et la valeur. Je reprends ce passage de l’article.

Dans les Manuscrits Grundrisse de 1857 Marx détaille le rapport entre l’échange et la production. Il évoque la circulation de valeurs dans son rapport à la production. Il insiste sur la caractère du « moment déterminé de l’échange » rapporté à la production mais aussi à « l’échange considéré dans sa totalité ».:Voici le texte : 


« La circulation elle-même n'est qu'un moment déterminé de l'échange ou encore l'échange considéré dans sa totalité. Dans la mesure où l'échange n'est qu'un facteur servant d'intermédiaire entre la production et la distribution qu'elle détermine ainsi que la consommation; dans la mesure d'autre part où cette dernière apparaît elle-même comme un facteur de la production, l'échange est manifestement aussi inclus dans cette dernière en tant que moment. »

Cette conception correspond à la formule que j’ai proposé pour définir le fonctionnement humain dans le transfert social  : « Nous sommes agents, effets et produits des rapports sociaux. »    qui se retrouve d’une autre manière un peu plus loin dans le texte de Marx : « l'échange (exchange) entre marchands (dealers) est, de par son organisation, à la fois déterminé entièrement par la production et lui-même activité productive. »                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Dans ce contexte, le point important est « l'échange considéré dans sa totalité » Encore une fois nous reprenons pour faire corrélation entre valeur d’échange entre les marchandises et valeurs d’échange entre les hommes, la proposition de Marx exprimée dans la section I du Capital Livre 1 de mettre, à certains égards, en position homologue les hommes et les marchandises, dans un rapport transférentiel en miroir ainsi que la note de bas de page concernant la forme-valeur relative en atteste : « A certains égards, il en va de l’homme comme de la marchandise. Comme il ne vient pas au monde muni d’un miroir, ni de la formule du Moi fichtéen, l’homme se regarde d’abord dans le miroir d’un autre homme. C’est seulement par sa relation à l’homme Paul son semblable que l’homme Pierre se réfère à lui-même en tant qu’homme. Mais ce faisant, le Paul en question, avec toute sa copropriété paulinienne en chair t en os, est également reconnu par lui comme forme phénoménale du Genre humain. » ( Le Capital Livre I, Editions Sociales, Paris, 1983, p. 60.


Nous avions souligné dans l’article 1 du triptyque le fait que Lénine dans son ouvrage de 1899 «  Le développement du capitalisme en Russie » ( O. C Tome 3 ) souligne la découverte fondamentale de Marx qui est l’effet de la division sociale du travail. Lénine le souligne dans le passage suivant  : « Le marché de ces marchandises se développe grâce à la division sociale du travail ; la séparation des travaux productifs métamorphose leurs produits respectifs en marchandises, en équivalents réciproques et les fait servir d’articles d’échange, les uns pour les autres » ( O. C Tome 3, p. 28)

Cet échange renvoie au transfert de valeurs qui fait aliénation. Lénine indique dans la phrase précédant l’extrait choisi que les marchandises sont des produits qui ne deviennent des valeurs d’usage que par leur conversion en valeur d’échange (argent ), par leur aliénation.

Cela avait été introduit par Marx dans les Grundisse  (Manuscrits de 1857 -58 , Editions sociales, tome 1, Paris, 1980, p. 135) où il écrit : « Ce qui appartient essentiellement à la circulation, c'est que l'échange apparaît comme un procès, une totalité fluide d’achats et de ventes. La première présupposition de la circulation est la circulation des marchandises elles-mêmes en tant que circulation naturelle, partant de multiples côtés. La condition de la circulation des marchandises est qu'elles soient produites comme valeurs d’échange, non pas comme valeurs d'usage immédiates, mais médiatisées par la valeur d’échange. Le présupposé fondamental est donc l'appropriation grâce à et par la médiation du déssaisissement et de l'aliénation. La circulation en tant que réalisation de la valeur d'échange implique : 1) que mon produit n'est produit que dans la mesure  où il l'est pour d'autres, qu'il est donc une singularité dépassée, un universel; 2) qu'il n'est produit pour moi que dans la mesure où il a été aliéné, où il est devenu produit pour d'autres ; 3) qu'il ne l'est pour autrui que dans la mesure où lui-même aliène son produit ; ce qui, déjà inclut, 4) que la production n'apparaisse pas comme fin en soi pour moi, mais comme moyen. La circulation est le mouvement où l'aliénation universelle apparaît comme appropriation universelle, et l'appropriation universelle comme aliénation universelle. Même si l'ensemble de ce mouvement apparaît comme un procès social, et si les moments singuliers de ce mouvement émanent de la volonté consciente et des fins particulières des individus, la totalité du procès n’en apparaît pas moins comme une connexion objective, qui naît de façon tout à fait naturelle ; totalité qui, certes, provient de l'interaction des individus conscients, mais ne se situe pas dans leur conscience, n’est pas subsumée comme totalité sous les individus. Leur propre entrechoquement produit une puissance sociale qui leur est étrangère, placée au-dessus d’eux ; qui est leur relation réciproque comme procès et pouvoir indépendants d'eux. La circulation, parce que totalité du procès social, est aussi la première forme dans laquelle non seulement, comme dans une pièce de monnaie, par exemple, ou dans la valeur d'échange, le rapport social apparaît comme quelque chose qui est indépendant des individus, mais comme la totalité du mouvement social lui-même. La relation sociale, réciproque des individus en tant que puissance au-dessus des individus, devenue autonome, qu’on la présente désormais comme puissance naturelle, comme hasard, ou sous quelque forme que ce soit, est le résultat nécessaire de ce que le point de départ n'est pas  l’individu social libre. La catégorie de circulation en tant que première totalité parmi les catégories économiques est très bonne pour montrer ça. »


Il me paraît important de développer l’analyse de ce passage dans l’optique de préciser notre théorie du transfert de valeurs. Marx insiste pour mettre en avant le primat de la valeur d’échange dans le fonctionnement des valeurs, dans leur circulation fonctionnelle. C’est la phrase «  La condition de la circulation des marchandises est qu'elles soient produites comme valeurs d’échange, non pas comme valeurs d'usage immédiates, mais médiatisées par la valeur d’échange » qui éclaire l’apparence simple où la circulation fonctionnerait comme un procès, une totalité fluide d’achats et de ventes . Après l’évocation de ce primat de la valeur d’échange dans la circulation Marx enchaine son raisonnement : « Le présupposé fondamental est donc l'appropriation grâce à et par la médiation du dessaisissement et de l’aliénation » qui est donc calqué sur « La condition de la circulation des marchandises est qu'elles soient produites comme valeurs d’échange, non pas comme valeurs d'usage immédiates, mais médiatisées par la valeur d’échange. » Le dessaisissement et l’aliénation viennent-ils en déplacement de la valeur d’échange de par leurs fonctions de médiation ? Cela parait probable au regard de la fonction attribuée ultérieurement à la valeur d’échange dans le passage du Capital consacré au fétichisme. Restons sur le texte de 1857. Dans le texte en allemand nous avons Entausserung qui a été traduit par dessaisissement et Verausserung qui a été traduit par aliénation.  Le dessaisissement est l’action d’une personne qui renonce volontairement à la propriété d’un bien, soit donc le renoncement à un avoir, à l’attribution d’un avoir, à l’attribution d’une valeur. Verausserung se traduit classiquement par aliénation, vente. Mais cela correspond à l’aliénation au sens juridique. Le verbe correspondant Verausser signifie aliéner, vendre, mais aussi se défaire de. Il y a plusieurs façons possibles de « se défaire de » et l’extériorisation en est un. Cela rejoint l’analyse qui est proposée par Franck Fischbach dans son introduction à sa traduction des « Manuscrits économico-philosophiques de 1844 ». Il indique en effet : « (…) Marx a d’ailleurs un terme pour exprimer le mouvement d’extériorisation : c’est le terme de Veräusserung dont il fait usage ( certes en un faible nombre d’occurences), non dans le sens juridique d’aliénation, mais pour exprimer un mouvement d’aller vers le dehors ou l’extérieur, parfaitement rendu en français par extériorisation » ( Franck Fischbach,Manuscrits économico-philosophiques de 1844, Editions Vrin, Paris, 2007, p. 21.) C’est ainsi que je le traduirai dans le texte de Marx se défaire d’un avoir, d’une attribution d’une valeur en l’extériorisant. Cela correspond bien au fait que quelque chose est dessaisi et aliéné dans la médiation de la valeur d’échange au détriment de la valeur d’usage mais dans notre orientation de transfert de valeurs, les précisions apportées me paraissent fécondes surtout dans la perspective des anneaux Mots-Images-Corps, d’autant que le radical Aussern signifie dire, exprimer, proférer, émettre et que le substantif Ausserung signifie dires, propos. Nous pouvons donc formuler dans le cadre du transfert de valeurs pour un individu social, les formules : « renoncement à l’attribution de la valeur d’un dire ou d’une expression ( Image - Corps ) » pour Entausserung et « se défaire de l’attribution de la valeur d’un dire ou d’une expression ( Image - Corps ) en l’extériorisant » pour Verausserung.


Nous avons là quelque chose de très précis dans la dynamique de la circulation du transfert de valeurs. Entausserung renvoie à une perte de l’expression de valeur et Verausserung à une extériorisation de valeur. La contradiction est introduite dans le processus de circulation du transfert de valeurs, et avec elle le mécanisme de poussées contraires. C’est un mécanisme fondamental que nous mettons là en évidence et qui peut nourrir l’explication logique des différentes formes transidentitaires, mais aussi des phénomènes de déréalisation, dépersonnalisation, discordances etc…C’est aussi une proposition pour lire et interpréter autrement ce texte fondamental de Marx.


Le terme de « transfert de valeurs » me paraît, dans sa connexion à celui de « rapport de valeur » , très porteur de potentiels dans les analyses tant individuelles que collectives.

J’ai extrait ce terme « transfert de valeurs, Wertübertragung » du chapitre VI « Capital constant et capital variable » qui fait partie de la 3ème section du Livre I « La production de la plus-value absolue ». Ce terme n'est pas "sans valeur" par rapport à la question psychanalytique, ayant la même racine que le vocable Ubertragung de Freud. Le Wert vient lester l’Ubertragung freudien métaphysique. Il concerne le destin de la valeur du moyen de production sur la valeur du produit, plus généralement la transformation de valeur sur un produit.

Le résumé qu’en fait Marx paraît simple : « Comme tout autre composante du capital constant, la machinerie ne crée aucune valeur, mais transfère sa propre valeur au produit qu’elle sert à fabriquer. Dans la mesure où elle a de la valeur et, par conséquent, transfère de la valeur au produit, elle crée une composante de la valeur de celui-ci. »


Cependant Marx note un double caractère dans ce transfert : Il y a dans le travail qui prend en compte la valeur des moyens de production à la fois conservation de valeur et transformation de valeurs. C’est à cet endroit que Marx évoque à nouveau son parallèle entre le fonctionnement humain et le fonctionnement de la marchandise : « Pendant que le travail productif transforme les moyens de production en éléments formateurs d'un nouveau produit, leur valeur est sujette à une espèce de métempsycose. Elle va du corps consommé au corps nouvellement formé. Mais cette transmigration s'effectue à l'insu du travail réel. Le travailleur ne peut pas ajouter un nouveau travail, créer par conséquent une valeur nouvelle, sans conserver des valeurs anciennes, car il doit ajouter ce travail sous une forme utile et cela ne peut avoir lieu sans qu'il transforme des produits en moyens de production d'un produit nouveau auquel il transmet par cela même leur valeur. La force de travail en activité, le travail vivant a donc la propriété de conserver de la valeur en ajoutant de la valeur. »


Il est retrouvé la connexion via la transformation de valeur avec le miroir humain dans ce passage où la transmigration des âmes se fait dans un rapport à l’inconscient, l’insu du travail réel, l’insu du faire.

Ce rapport à la transmigration des âmes, la métempsycose, revient dans un autre passage où il est question de la résurrection des morts : « Le travailleur conserve donc la valeur des moyens de production consommés, il la transmet au produit comme partie constituante de sa valeur, non parce qu'il ajoute du travail en général, mais par le caractère utile, par la forme productive de ce travail additionnel. En tant qu'il est utile, qu'il est activité productive, le travail, par son simple contact avec les moyens de production, les ressuscite des morts, en fait les facteurs de son propre mouvement et s'unit avec eux pour constituer des produits. »

Ce qui se conserve et se transforme dans un processus sur ce qui est produit comme valeur via un passage par la mort de la fonction d’une valeur intéresse au plus haut point l’analyse pratique du transfert social dans sa dynamique transférentielle : une valeur ne fonctionne plus, meurt, dans un rapport contradictoire avec une autre valeur. Ces valeurs matérielles sont pour la psychanalyse sociale des mots, des images, des sensations corporelles.


J’ai donc fait extension de ce concept de transfert de valeur pour avoir des repères d’intelligibilité pratique du fonctionnement humain qui est toujours dans un rapport de valeurs. L’outil concerne le triptyque Valeur / Fonction / Rapport dans la vie sociale individuelle ou collective. Cela modifie totalement l’outil psychanalytique du transfert.


Le processus de transformation se produit par la mort de la fonction d’une valeur dans un rapport social. Cette mort est le produit d’un meurtre et cela est le point fondamental retrouvé dans toute histoire individuelle et collective. La transidentité est le paradigme de cette dynamique : meurtre de la valeur homme dans la transformation vers le genre féminin, et inversement et de façon moins binaire meurtre de la valeur d’un nom, meurtre de la valeur d’une image, meurtre de la valeur d’une sensation corporelle. Ce meurtre comme tout fait humain peut avoir deux fonctions contradictoires dans les mouvements de nouages et connexions : celle de passage ou celle de fixation, passage transférentiel ou fixation transférentielle, passage d’un état en mouvement à un autre état en mouvement ou fixation à un état qui n’est pas en mouvement.


Ces repères nous permettront de comprendre ce qui apparaît souvent comme ayant un trait irrationnel, à savoir la sacralité et la transcendance, irrationalité liée toujours à ce qui peut faire mouvement ou fixation, nouage-dénouage, connexion-déconnexion : l’amour et donc l’énamoration, la mort et donc le meurtre, le sens et donc la jouissance.


La transcendance est certainement le point le plus insidieux de la philosophie, qu’elle soit idéaliste ou matérialiste, le plus obscurantiste, et également le plus fort à nourrir les oppressions et les abrutissements. Partir du «  si seulement nous étions moins bêtes » oblige à une analyse pratique des rapports sociaux qui alimentent la transcendance. C’est un point différentiel auquel tient Lénine, notamment dans son analyse de la Logique de Hegel. Certes Hegel peut être catalogué comme le philosophe de la transcendance insidieuse, il n’empêche que l’analyse faite par Lénine de l’apport de Hegel par rapport à Kant met à plat toute une forme de transcendance. Il repère ainsi une réflexion contre le transcendant au sens de séparation de la vérité (objective) et de l’empirique, ( OC 38 ) Il signale également : « Hegel fait en passant une remarque intéressante : ‘’ de façon transcendantale, c’est-à-dire, à proprement parlé, subjective et psychologique’’… ‘’ transendentalement, c’est-à-dire dans le sujet’’. Il repère également que pour la psychologie, le sentiment ou l’intuition prédominent. Il note enfin dans sa judicieuse note «  Hegel contre Kant » : «  C’est-à-dire que chez Kant ‘’le Moi est une forme Vide (‘’une représentation pour soi’’) sans analyse concrète du processus de la connaissance ».


Autant de repères qui nous donnent des pistes pour bâtir l’analyse pratique psycho-sociale tant dans le collectif que dans l’individuel social sur une base matérialiste et historique loin du subjectivisme psychanalytique.


Il convient de saisir le rapport de la transcendance avec le meurtrier. Je l’avais souligné dans l’article « De la CIA à la Mafia, d’Hiroshima à Fukushima, de Fukushima à Fukuyama, l’odeur capitaliste de la fin de l’histoire résonne avec Nagasaki, triomphe de l’État post-nazi » :  « L’État moderne est l’État hégélien, soit une certaine idée de la servitude : « L’humanité a été affranchie moins de la servitude que par la servitude » écrit Georg Friedrich Wilhelm Hegel dans sa Philosophie de l’Histoire. Il met en pièces le vivant : « L’Église a soutenu le combat contre la barbarie de la sensualité grossière d’une manière aussi barbare et terroriste » et la terreur de l’au-delà était nécessaire pour « émousser l’esprit déchaîné et le dompter jusqu’à ce qu’il devienne calme » écrit-il encore.


« Y’a comme un défaut » dans le costume de la philosophie de l’histoire qui guide l’État moderne et rend la terreur nécessaire, terreur qui s’appuie sur la transcendance. Ce qui passe aux oubliettes de la forclusion dans la philosophie d’Hegel est le meurtre de l’autre. L’anecdote du philosophe voyant passer dans sa ville d’Iéna le cavalier Napoléon et s’exclamant avoir vu l’Esprit à cheval, en dit long sur la phénoménologie qui s’y raccorde.


Dans son ouvrage consacré à la philosophie de François Châtelet, Gilles Deleuze débute par un point essentiel : la fonction des transcendances. Après avoir souligné que ce qui distinguait Châtelet était sa manière de récuser Dieu, et toute transcendance. « Toutes les transcendances, toutes les croyances en un monde autre, il les appelle “outrecuidances” ». Je vais citer l’extrait de l’ouvrage Les années de démolition choisi par Deleuze à cette occasion du fait même de la puissance du texte et de son actualité brûlante : « Dans notre jargon de philosophes, un principe posé à la fois comme source de toute explication et comme réalité supérieure, nous appelons cela transcendance. Le mot est joli et je le trouve commode. Les outrecuidants, petits ou grands, du leader de groupuscule au président des États-Unis, du psychiatre au P.-D.G., fonctionnent à coups de transcendance, comme le clochard à coups de rouge. Le Dieu médiéval s’est éparpillé, sans pour autant perdre de sa force et de son unité formelle profonde : la Science, la Classe ouvrière, la Patrie, le Progrès, la Santé, la Sécurité, la Démocratie, le Socialisme — la liste serait trop longue — en sont autant d’avatars. Ces transcendances ont pris sa place (c’est-à-dire qu’il est encore là, omniprésent), qui exercent avec une férocité accrue leurs tâches d’organisation et d’extermination » .

Il est très important de souligner cette définition par Deleuze des différentes formes de transcendances : « toutes les croyances en un monde autre », en un au-delà, et cela renvoie directement à la thèse II de Marx adressée à Feuerbach que j’ai commenté dans l’article «  la pensée humaine vit dans un rapport social ». Tel est le défi de l’analyse concrète du transfert social qui tient compte au contraire de la psychanalyse classique des transcendance en tant qu’elles sont « un principe posé à la fois comme source de toute explication et comme réalité supérieure ».


Et nous carburons à la transcendance dans le monde capitaliste d’aujourd’hui comme au temps du Dieu médiéval. Il n’est pas fructueux cependant d’entendre cette formule percutante de Châtelet comme une formule transhistorique c’est-à-dire anhistorique comme le suggérerait une analyse foucaldienne. Il ne s’agit pas d’un pur déplacement abstrait d’un Dieu médiéval éparpillé. Il convient au contraire sauf à combattre la transcendance par le mécanisme transcendantal (!) de faire l’analyse concrète des conditions historiques concrètes aujourd’hui. La Science peut apparaître comme le déplacement du Dieu médiéval dans une circonstance particulière à un moment historique donné de même pour la Classe ouvrière, la Patrie, le Progrès, la Santé, la Sécurité, la Démocratie, le Socialisme. Dans son article qui a fondé mes débuts pratiques en psychiatrie «  Lettre à un jeune psychiatre sur l’anti-psychiatrie » le psychiatre communiste français Lucien Bonnafé pourfendait les pseudo-critiques où surgissaient « la retombée inépuisable des modèles fixistes, éternitaires et abstraits qui demeurent pour moi l’objectif central contre lequel doit se mobiliser tout combat idéologique » ( Lucien BONNAFE, « Dans cette nuit peuplée », p. 108 )


Et il argumentait justement la critique de cette pseudo-critique en commençant lui aussi par la science : « La ‘’science’’ est dénoncée comme funeste, non le moment d’existence historique que constitue le travail scientifique et son système d’application, mais ‘’la science’’ en soi, procédure mentale bien commode pour s’éviter le travail pour un nouvel esprit scientifique et pour un sytème d’application non perverti. » Et il poursuit avec la culture, la famille, le modèle médical, la psychiatrie ( Lucien BONNAFE, idem)


Cette boussole de la lutte contre les « modèles fixistes, éternitaires et abstraits », ceux-là même où la ‘’chose ’’ en soi, et sa nomination devient une procédure mentale bien commode pour s’éviter le travail pour un nouvel esprit scientifique et pour un sytème d’application non perverti, est donc une boussole essentielle pour ne pas tomber dans la philosophie petite bourgeoise ignorant le fondement de la lutte des classes, le meurtre pour le profit, la dialectique historique et matérialiste. Inversement l’absence de prise en considération de cette transcendance comme déplacement d’un meurtre peut donner des phénomènes où des meurtres collectifs sont à l’oeuvre. Le rapport entre meurtre, transcendance et terreur est un fait historique qui doit être analysé et traité pratiquement sous peine de répétitions historiques catastrophiques. Un point très important est à mettre en avant : l’analyse ne doit pas avoir pour base l’idéologie mais la base pratique du transfert de valeurs. Nous suivons en cela l’orientation fondamentale dégagée par Lénine : « il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel– qu’on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse–des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. » (opus cité plus haut).


Il convient de travailler avec les repères contenus dans « matérialisme et empiriocriticisme » où Lenine investigue la fonction du mot latin « transcensus » qui veut dire passage, et qu’aussi bien les disciples de Kant que de Hume utilisent pour marquer une différence de principe entre le phénomène et la chose en soi. (OC 14, p. 118). Là se trouve la révélation « d’une absurdité criante, qu’on aurait peine à exhumer autrement d’un fatras de balivernes professorales, pédantesques et pseudo-savantes » ( opus cité p. 117 )


C’est donc avec Marx mais aussi Lénine que nous pourrons avec l’analyse du transfert matériel et historique de valeurs circulantes en individuel et en collectif reprendre le conseil donné par Georges Politzer : « Les faits auxquels la psychanalyse a touché doivent être repris pour être compris correctement ». Il s’agit bien de partir d’une autre base, celle de l’analyse des contradictions vivantes de la vie sociale et de l’individu social, pour transformer la vie, transformer l’ordre du monde.


Hervé Hubert, le 13 juin 2021


« Percurso para a análise prática psicossocial : ensaio sobre a transferênrcia social » livre édité en portugais par

EDITORA CRV 2022 ISBN 978-65-251-23 84-6

Le titre peut être traduit par « Parcours pour une analyse pratique psycho-sociale : essai sur le transfert social »


Illustration : ©Kasimir Malevitch




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