Psychanalyse concrète
Le préliminaire à toute possibilité de pratique psychanalytique concrète réside dans l’analyse des rapports sociaux.
Les questions qui se posent dans le monde aujourd’hui sont nombreuses mais la question principale qui doit servir de référence est celle de la liberté de vivre, et donc des libertés concrètes pour les individus qui sont toujours pris dans un rapport social et politique. En dérivé de cette question surgissent celles de la libre disposition de soi, et donc l’analyse des aliénations multiples et enfin celle du rapport autoritaire, répressif et tutélaire qui prédomine actuellement dans l’organisation des rapports humains.
Liberté, libre disposition de soi, rapport non tutélaire à l’autre sont des aspirations qui sont dignes du XXIème siècle. Notre monde social est à un moment charnière de son existence. Il existe un choix politique dans cette période où d’autres voies sont possibles : les avancées technologiques permettent de traiter autrement les questions énoncées antérieurement, celles de la liberté, de la libre disposition de soi, de l’aliénation, de la contrainte tutélaire. De même, les moyens de production de savoirs, de savoir- y-faire, de partages des savoirs et des pratiques sont des catalyseurs dialectiques des possibles épanouissement des potentiels injustement inhibés jusque là.
Ces questions concernent beaucoup de champs sociaux : la question du rapport au travail, du rapport à la propriété, du rapport à l’égalité sociale, du rapport à la hiérarchie sociale, du rapport à toutes les formes de ségrégations et discriminations - sur le genre et le sexe, sur l’origine via le racisme - du rapport au colonialisme, au mode de production économique capitaliste, du rapport à ce qui est appelé bizarrement « maladie mentale ». La liste est incomplète tant le développement des puissances humaines - pouvoir faire dans le collectif - est actuellement entravé par une perspective destructrice.
La base humaine est celle des rapports sociaux et donc du problème fondamental de la ségrégation sociale, c’est à dire celle de la séparation dans le groupe. Telle a été la racine des tragédies du XXème siècle liées aux crises capitalistes - deux guerres mondiales - et à l’inauguration par le pouvoir capitaliste d’une nouvelle forme de ségrégation meurtrière : la barbarie nazie. Cela est un socle indispensable à prendre en considération pour toute analyse concrète des humains qui vivent toujours en société et donc pour toute analyse des douleurs dans le mental aujourd’hui.
Le concret de la vie sociale, des conditions sociales de vie, des moyens de produire et reproduire la vie sont déterminantes dans le travail psychanalytique basé sur le primat de la pratique et donc sur un rapport social.
Le transfert social implique que nous sommes à la fois agents, effets et produits des rapports sociaux que nous vivons.
Si une pratique psychanalytique implique de travailler sur une responsabilité sociale individuelle et collective,sur les effets de culpabilité et de rapport à la faute, il est essentiel de pouvoir suivre le conseil de Volodia : « Faire l’analyse concrète de la situation concrète » et privilégier « la vivante contradiction de la réalité vivante ».
Cette expression, la vivante contradiction de la réalité vivante, est une boussole essentielle. Elle indique la portée déterminante des poussées contraires dans le mouvement de l’être social vivant, ce qui pousse d’un côté, ce qui pousse de l’autre. Elle permet de cerner la logique insue, inconsciente, à l’oeuvre dans la vie humaine. C’est ce que nous allons poursuivre dans ces articles consacrés au cursus de formation « Se former pour devenir psychanalyste avec les Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale » pour avancer sur l’analyse des conditions de jouissance singulières et leur inconscient, toujours contradictoires. Artau le Mo-Mo enseigne sur un des aspects des contradictions à l’oeuvre chez l’être humain : le langage et l’histoire étymologique des mots .
Parlons donc psychanalyse sociale et commençons par le socius.
Socius dans son étymologie renvoie à un autre, un compagnon. Citons Alain Rey dans le Dictionnaire Historique de la Langue Française : « Socius, compagnon, associé (en particulier dans une affaire commerciale) et allié. Socius, comme le védique sakhâ, compagnon, remonte probablement à un mot indo-européen désignant le compagnon de guerre.» Il est intéressant de noter un aspect transférentiel, l’établissement d’un rapport : « Le mot le plus ancien de la série de socius apparaît avec le sens de communication, rapport avec des personnes qui ont quelque chose en commun »
Il est ainsi pertinent de saisir ce qui se transmet de cet aspect étymologique du socius, à savoir, une division entre le conflit ( la guerre) entre humains et le commun entre humains, en sachant que c’est aussi à partir du commun que naît le conflit et pas uniquement à partir des différences, et que l’issue d’un conflit a la possibilité d’unir dans ce qu’il y a de commun. La division est ainsi inscrite dans l’histoire étymologique du mot socius et introduit le rapport humain qui fonde et produit les groupes sociaux.
Cette division entre le conflit et le commun témoigne des poussées contraires, des contradictions vivantes et place dans la problématique analytique le fondement du rapport au meurtre et donc de la négation.
Préliminaire à toute possibilité de pratique psychanalytique concrète.