Néo réalisme ou conscience sociale.
La journée de travail de l’APPS le 22 mai 2019 avait pour thème « Il n’y a pas de maladie mentale ! » Nous allons publier sur ce blog différents articles retraçant cette journée. Aujourd’hui le texte de Soufiane Adel, cinéaste.
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Néo réalisme ou conscience sociale
En 2001, dans le cadre d’un cours sur l’histoire du cinéma, 7ème art - dont je ne connaissais que les films commerciaux rediffusés largement sur les chaînes de télévisions française - je découvre Le voleur de Bicyclette de Vittorio de Sica. Ce film en noir et blanc, sorti en 1948, m’a marqué. Ce qui m’a touché dans l’intime a été, de voir la misère, une réalité refoulée, transposée à l’écran avec des personnages élégants, un père et son fils. Je ne comprendrais que bien plus tard l’impact qu’a véritablement eu sur moi ce film, ainsi que d’autres vus avec foulée dans la course, et réalisés par Roberto Rossellini. En premier lieu Allemagne Année Zéro (1948), qui clôt une trilogie sur la guerre (Rome ville ouverte et Païsa). Le film m’a bouleversé et le jeune enfant, Edmund, ému. À partir de ce moment là, ces films ont parlé à mon inconscient social. Le fond m’a secoué. J’avais l’impression de reconnaître ces questions sociales qu’explorent ce film, et même ces films. Soudain j’étais face à une violence sociale jusqu’ici rejetée, pas verbalisée, pas vue, pas reconnue, pas pensée. Des films l’ont montrés. Une démarche cinématographique « Le néo-réalisme Italien » l’a exploré. Je faisais du design industriel, j’étais heureux de voir que des cinéastes d’outre-monts se sont emparés du cinéma tout en construisant un cadre de travail non sans contraintes. Loin de là : Pas de studio, pas d’acteurs stars, du matériel léger. On ne pense pas box-office, on ne pense pas divertissement. Cette démarche permettait d’imaginer, d’inventer, de creuser, d’aller loin. Et d’être libre. Car au centre de tout cela, « FAIRE » est devenu historique. Il est évident : explorer comme on explore des fonds marins sans parole, sortir du marasme qui finit par figer toute action, tout mouvement. Le gouffre paraît immense, profond. Abyssal, il renvoie tout de même à l’infini de l’univers. Donc il faut ouvrir les yeux, de toute part, ne pas se laisser happer par la peur. Sortir et ne pas exploser en vol. Il s’agissait de révéler la parole, là où le silence régnait, instrumentalisé par la peur, la honte, et la mort à petit feu. Le cinéma est devenu fondamental dans l’élan de ne plus refouler les rêves, les images et les montages répétés des nuits. Il fallait faire parler ce monde social sous couvercle, toujours en ébullition et dans l’obscurité. Victime des tensions électriques, enfermé, clôturée, dans une centrale magnétique. Où l’influence n’était plus physique, mais politique. Il fallait s’emparer du cinéma avec précision, éclatement et liberté. Il fallait penser aux mouvements, penser aux voix « in and out », penser à l’amour, à la solitude, à la filiation et à l’altérité. A l’organisation mondiale de la guerre, aux petits combats, aux fins conflits, qui ruine toute émancipation et toute liberté. Ouvrir grand les yeux. Ouvrir grand l’écran. Ouvrir la gueule. Regarder le corps nu, regarder le mouvement nu, écrire et parler. Ne plus se faire marcher dessus. Cheminer avec intelligence pour grandir. C’était affiché, projeté et reçu. Le « FAIRE » a remis au centre « L’engagement », la démarche politique. Ouvrir grand les yeux, ce n’est pas seulement d’explorer ce fond, il faut en imaginer les possibilités esthétiques, construire le rapport à l’abstraction, à la forme, rendu possible dans le néo-réalisme, (dans une certaine échelle) par les grandes contraintes techniques, humaines et financières. L’enjeu formel touche à l’abstraction, à la réappropriation de l’imaginaire intime et collectif, à la lecture des rêves nocturnes et des cauchemars du réel quotidien. Une mise à distance est fondamentale. Pour ensuite se plonger dans de grandes équations formelles, à plusieurs inconnues, illimitées, plus illimitées encore que l’artificielle intelligence. Cela veut dire réfléchir l’espace et le cadre. Le corps et l’interprétation. La parole, le mouvement et le silence. Inventer des ruptures, créer des passerelles entre le monde intérieur, mental et une relecture du réel, du monde social, pour s’en affranchir, s’en libérer. Cet enjeu esthétique ne met pas au centre uniquement des perspectives formelles, mais ici, ce sont aussi des perspectives politiques et prospectives. L’élargissement du champ humain et des possibilités de mettre en lumières la limite contrainte du monde organisé et l’émancipation sans limite. Il est question par rapport à cette approche du cinéma, d’être moins malade de la société, de se redresser et de « Faire ». Faire sortir ce qui est refoulé, ce qui est muet comme « Mute », sans son. Et se libérer. Soufiane Adel Cinéaste