POURQUOI UN COLLOQUE SUR LA TRANSSEXUALITÉ À LA HAVANE
Article publié dans le webzine Le Grand Soir le 03 mai 2010
Le colloque « Trans-identités, genre et culture » va se tenir à la Havane les 9, 10 et 11 juin 2010. Il est organisé par deux associations cubaines, La Sociéte Cubaine Multidisciplinaire d’Etude de la Sexualité, Le Centre National d’Education Sexuelle (Cenesex), et deux associations françaises : Le Centre Psycho-Médical Social (CPMS) de l’Elan retrouvé à Paris et une association scientifique, le TRIP (Travaux de Recherches sur l’Inconscient et les Pulsions) Pendant ces trois jours parleront et échangeront des conférenciers cubains et français mais aussi des intervenants d’Australie, du Canada, de Colombie, de France, de Grèce, du Mexique.
Le choix de La Havane s’est effectué du fait des changements d’avant-garde qui ont été impulsés par Mariela Castro et l’équipe du Cenesex qu’elle dirige, concernant les droits aux différences sexuelles. Rappelons que la transsexualité est définie par le fait psychique d’appartenir au sexe opposé à son anatomie génitale. Beaucoup de transsexuels ont ainsi un sentiment étrange d’être de l’autre sexe depuis l’enfance, d’autres bâtissent cette identité à l’âge adulte. La question transsexuelle a été définie au niveau médical en 1953 par le Docteur Harry Benjamin, endocrinologue américain « Les vrais transsexuels ont le sentiment qu’ils appartiennent à l’autre sexe, ils veulent être et fonctionner en tant que membres du sexe opposé, et pas seulement apparaître comme tels » Elle nécessite un traitement hormono-chirurgical, puis un changement d’état civil. Cela ne va pas sans un questionnement éthique et une nécessaire distinction entre transsexualité, transgenre, travestisme, trans-identité.
La transsexualité a produit un vide dans le savoir humain sur l’identité et la sexualité. Phénomène d’apparence énigmatique pour le sujet qui porte cette question, il l’est également pour la société qui le reçoit. Cet état subjectif en souffrance a subi et subit encore souvent, dans les sociétés la moquerie, la ségrégation et la discrimination. La transphobie, moins connue que l’homophobie, peut déchaîner autant de violence. Cela a été illustré en 2000 par le film Boys don’t cry qui décrit la tragédie de Brandon Teena, violé puis tué au Nebraska, aux Etats-Unis, en 1994. Mais la violence de genre, pour reprendre une expression fréquemment utilisée par Mariela Castro, est aussi verbale. Les discriminations sont parfois plus insidieuses, incluses dans les rapports sociaux, et il convient de rappeler que la France avait été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 1992 pour avoir refusé un changement d’état civil à une personne transsexuelle. Un premier obstacle à surmonter dans les droits à la transsexualité est indéniablement la répercussion financière du changement de sexe. En France, les conditions de traitement, les coûts financiers pour avoir un libre choix de médecin sont régulièrement critiqués. Les personnes trans qui empruntent majoritairement la voie du privé paieront entre 3000 et 5000 euros pour une pose de prothèses mammaires et entre 9000 et 12000 euros pour une vaginoplastie. Aux Etats-Unis selon la Fondation internationale pour l’éducation à l’identité sexuelle, l’opération peut coûter de 10 000 à 25 000 dollars voire 4 fois plus en fonction de la procédure. A Cuba le traitement est gratuit depuis 2008.
Les situations évoluent. En France le retrait du transsexualisme de la liste des maladies mentales en février 2010, à l’initiative du Ministère de la Santé et après un travail sérieux de la Haute Autorité de Santé, est un progrès très important même si les conséquences concrètes sont pour l’instant imprécises.
A Cuba, une tradition machiste et virile, très présente dans le monde de culture hispanique, s’était développée avec une forte homophobie. Situation contradictoire puisqu’une politique favorable aux droits des femmes s’était mise en place dès les années 60. Les campagnes pour les droits des LGBT initiées par Mariela Castro s’inscrivent dans cette lignée, et la dé-pathologisation de la transsexualité a pris une place structurelle qui représente un progrès décisif quant aux questions relatives aux droits à la différence sexuelle et aux droits humains. L’expérience cubaine, à laquelle sera consacrée la dernière journée du colloque, représentera un moment d’échange international privilégié, à travers l’étude de la dépathologisation de la transsexualité et de ses conséquences dans une organisation de santé centrée sur la prévention, l’inclusion, la participation sociale, la circulation d’une parole qui articule le singulier et le collectif.
Il sera également, dans un cadre multidisciplinaire, croisé différentes approches et expériences dans le but de saisir ce que nous apprennent le phénomène transsexuel, et les transsexuels eux-mêmes le feront, sur la logique de l’inconscient, la création culturelle en tant qu’elle est construction et production de lien social, la violence et l’intégration sociale. La trans-identité impliquant l’individu comme rapport social, apporte un gain de savoir concret sur ce qui fonde les discriminations et ségrégations.
Docteur Hervé HUBERT